Cuisine japonaise à Genève
C'est quoi l'omakase, le concept culinaire de ce nouveau restaurant?

Au Sachi, on s'assoit au comptoir, on choisit le nombre de plats, et on laisse le chef faire, tout en discutant avec lui. Une manière originale de découvrir la gastronomie japonaise.
Publié: 21.10.2022 à 16:49 heures
Chef Mitsu et sa brigade cuisinent sous les yeux des clients
Photo: Fabien Goubet
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Fabien GoubetJournaliste Blick

Tout juste ouvert à Genève, le Sachi est, paraît-il, le premier restaurant proposant une expérience «omakase» (prononcez omakasé) en Suisse. Blick y a été invité la veille de l'ouverture et a pu échanger avec le chef Mitsuru Tsukada et son équipe.

L'omakase, c'est un concept où il n'y a pas de menu et où l'on s'en remet à l'inspiration du chef, et rien d'autre. Tout est entre ses mains et c'est alors la confiance qui prime. Le mot omakase signifie d'ailleurs «je m'en remets à toi», ou plus simplement «je te fais confiance». À sa charge ensuite de cuisiner selon les produits, les saisons, et aussi un peu à la tête du client, car tout se passe sous ses yeux, faisant de ce repas gastronomique un spectacle et une vraie rencontre avec les cuisiniers.

Un concept plus récent qu'il n'y paraît

La philosophie omakase vient des restaurants de sushis japonais. Contrairement à ce que l'on pourrait supposer, elle n'a rien d'une tradition séculaire, mais date des années 1990, relate le guide Live Japan. Avant cela, les sushis n'étaient pas vraiment à la mode. Seules quelques rares enseignes très chères en proposaient à un discret public de fins connaisseurs.

Avec la bulle spéculative survenue à la fin des années 1980 dans l'archipel, la culture du sushi a changé. Beaucoup de nouveaux riches voulaient consommer ces produits qui leur étaient auparavant inaccessibles. Ce public aux poches pleines de cash ne connaissait rien aux sushis, à leur culture complexe et aux codes alors en vigueur. C'est ainsi que l'omakase est apparu, pour faciliter la vie à ces nouveaux clients parfaitement incapables de citer ne serait-ce qu'une espèce de poisson. Pas besoin d'être un sushi-geek: on laisse faire le chef.

Plus récemment, l'omakase a été repris dans nombre de restaurants, souvent haut de gamme - et c'est sur ce créneau que se situe le Sachi, sis au rez-de-chaussée du luxueux Mandarin oriental. Dans un cadre zen et sophistiqué, une dizaine de sièges attendent les clients au comptoir. On y choisit le nombre de plats désirés - 6, 8, ou 10 - et c'est la seule décision qu'on aura à faire de tout le repas.

Du japonais authentique, mais avec un twist

Mitsuru Tsukada, Chef Mitsu comme on l'appelle, décrit ses plats comme issus de «la cuisine japonaise authentique et traditionnelle, mais avec un twist». Ce twist, ce sont ses inspirations glanées dans ses expériences à l'étranger.

Natif de Saitama au Japon, chef Mitsu a travaillé à Londres où il été formé par le maître Nobu Matsuhisa, connu pour sa cuisine fusion jetant des ponts entre l'Asie et l'Amérique latine. Il est ensuite parti en Grèce, s'imprégnant de la culture méditerranéenne, comme on le constate dans son assiette de filets de rougets aux poivrons et jus corsé, qu'il prépare avec une pointe de wasabi. Il est ensuite venu en Suisse où il a rejoint le restaurant Izumi à l'hôtel Four Seasons des Bergues à Genève en 2013, avant de passer au Sachi, changement qu'il voit à 48 ans comme «un nouveau défi dans sa carrière».

Les plats varient au fil des saisons et des arrivages, et le chef estime que la carte est complètement renouvelée toutes les deux semaines. S'il a choisi d'articuler sa cuisine autour du concept omakase, c'est parce que «c'est une autre façon d'entrer en contact avec le chef et de découvrir chaque fois de nouveaux produits et saveurs de saison», dit-il. Et aussi de travailler avec son équipe: il connaît tous ses sous-chefs, rencontrés lors de ses expériences précédentes. «On est comme une famille», glisse-t-il.

Photo: Fabien Goubet

Un show de poisson froids

Au comptoir, c'est autant un repas qu'un spectacle. Chef Mitsu distille ses directives à voix basse, et ses ouailles s'activent dans un ballet silencieux, fluide et hypnotisant. Un vrai spectacle, partie intégrante de l'expérience omakase. Ici un cuisinier épluche délicatement des figues pochées. Là, un autre débite de fines tranches de bœuf avec une précision chirurgicale. On regarde tout cela en «loucedé», telle une petite mouche invisible, jusqu'à ce que l'un des chefs lève les yeux, et lance la discussion avec un sourire. On parle bouffe, sushis, puis de tout et de rien. Ce bavardage est ponctué d'assiettes et de sushis qui arrivent sous notre nez. C'est vachement plus agréable que discuter avec son coiffeur!

Difficile de décrire les plats avec beaucoup de précision puisqu'il n'y a pas de menu. Ils sont improvisés à la minute et ne font pas l'objet d'une appellation très compliquée. Fromage mariné au soja, effiloché de poulet au wasabi, huître braisée à l'échalote noire, boeuf au mirin et champignons sautés font partie des souvenirs emportés ce jour-là. Sans oublier cette délicieuse soupe au bouillon dashi, à base d'algues kombu et de flocons de bonite, d'une limpidité impressionnante. On dirait de l'eau de source. «Pour les bouillons japonais, tout repose sur la pureté des saveurs», explique Chef Mitsu.

La fraîcheur des sashimis est exceptionnelle, la qualité des produits renversante. Bar, kingfish (une espèce de maquereau du Pacifique) et thon se partagent l'assiette. Ce dernier est taillé dans la partie ventrale de l'animal. Appelé toro ou otoro, il est persillé, gras à souhait, comme de la charcuterie. C'est le plus cher des morceaux. Le meilleur aussi, sans aucun doute.

Préparés avec du riz encore chaud, ce qui permet de renforcer les saveurs vinaigrées, les sushis sont délicieux. Przemyslaw Izbicki, dans le métier depuis quinze ans mais qui dit «être en formation toute sa vie», me sert un nigiri à la daurade rouge, puis un autre aux œufs de saumon qu'il appelle le «sous-marin». Remballez votre wasabi et votre fiole à sauce en forme de poisson: le chef assaisonne lui-même le riz avec une sauce au soja maison, agrémentée de saké et de mirin. Ces bouchées exquises entraînent ce constat évident: habitués aux infâmes sushis des supermarchés et des boui-bouis douteux, qui tirent la qualité et les prix de ce plat vers le bas, on ignorait finalement totalement ce qu'était un authentique sushi. Là, on comprend pourquoi on a appelé ce restaurant le Sachi, qui signifie «bonheur» en japonais.

L'omakase est une expérience à vivre pour tous les amateurs de cuisine japonaise moderne, ou plus simplement pour ceux qui veulent faire l'expérience authentique de sushis de haut vol et de poissons d'exception. Mais ce plongeon dans l'inconnu a de quoi intimider. Pour ces personnes, le restaurant propose quelques tables et une carte traditionnelle. Mais après avoir vécu cette expérience quasi régressive où des types en toque nous donnent presque la becquée, ce serait presque dommage.


Le Sachi
Quai Turretini 1 à Genève
Menus omakase à 110, 140 et 180 francs.

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