Est-ce le retour de la fortune pour Pomp it Up? «Oui, on a survécu sans Nike. On a survécu à une injustice.» En tout cas cette année. Pomp it Up a réalisé son meilleur chiffre d’affaires depuis 2017 grâce à Adidas. Guillaume (dit «Toto») Morand, qui donne ce 6 juin une conférence de presse au Flon à Lausanne, ne cache pas sa joie: «En 2024, on a assisté à un événement très rare, où on a vu le marché basculer d’une marque à une autre, c’est-à-dire de Nike à Adidas, en quelques mois. Nous étions les seuls sur le coup en Europe, sur le marché autrichien et suisse. Nos concurrents n’étaient pas là.»
L’essor d’Adidas en 2024, c’est une sacrée revanche pour le fondateur des magasins Pomp it Up, qui fait part d’une «année exceptionnelle» grâce à la reprise de la marque allemande, sur laquelle Pomp it Up avait misé depuis que Nike et Converse (même groupe) l’ont lâché en 2020. Le géant à la virgule lui a signifié en 2020 la fin de la collaboration, après 30 ans, effective à fin juin 2022.
Nike avait décidé de miser sur les ventes digitales et n’avait renouvelé le contrat de distribution qu’avec quelques distributeurs triés sur le volet, dont Foot Locker et Snipes. On pensait que c’en serait fini de Pomp it Up. La chaîne de magasins était à vendre durant ces années. «J’ai déposé un dossier de vente chez l'UBS et j’ai cherché des acheteurs à l’étranger pour racheter la boîte, sans succès», raconte Toto Morand, qui a refusé de vendre à de purs financiers.
«On a vendu énormément de soldes»
Il décide alors de se battre en misant sur d’autres marques: «On a pris le risque en achetant plein de petites marques. Mais il est impossible de faire manger une basket à quelqu’un qui n’en a pas envie: si les gens veulent des Air Force blanches, vous ne pourrez pas leur vendre des Puma noires.» Initialement, Pomp it Up a eu peu de succès avec de nouvelles marques en 2023. «On a vendu énormément de soldes», précise l'intéressé.
En 2023, Pomp it Up fait part de mauvais résultats financiers, tout en liquidant tout son stock Nike, mais n’a fait part d’aucune fermeture ni de licenciements: «On a dissous les réserves qu’on avait accumulées pendant 30 ans. Dès lors, la situation financière s’est beaucoup détériorée.» Mais Toto Morand a pris un gros risque: en effet, il est toujours distributeur d’Adidas, qui a fermé plusieurs comptes, mais a conservé Pomp it Up.
«Je pensais que je ne ferais plus jamais le chiffre d’affaires de Nike»
Une aubaine. Adidas a toujours fait partie de l’ADN de Pomp it Up et devient sa carte maîtresse. Toto Morand renverse une situation apparemment désespérée en achetant, avant tout le monde, pour des millions de commandes de modèles Adidas. Et il choisit les bons modèles. Ne le sachant pas encore, il se réveillait la nuit, fin 2023, en cauchemardant sur des scénarios de faillite.
«2023, c’est certainement l’année où j’ai pris le plus de risque, sur Adidas, en pariant que certains modèles allaient monter. J’ai commandé des Gazelle et des Samba, alors que tout le monde était encore sur les Yeezy.» Entre avril et décembre 2023, les ventes d’Adidas marchent bien pour Pomp it Up, mais ce n’est pas l’explosion. «J’ai alors pensé: bon, en mars, on va déposer le bilan. Je pensais que je ne ferais plus jamais le chiffre d’affaires de Nike.»
Les ventes décollent grâce à Adidas
Mais en 2024, coup de théâtre: ses chiffres décollent avec Adidas. Ils n’ont jamais été aussi bons depuis 7 ans. Les modèles de Nike s’essoufflent, sans produits de remplacement, tandis qu’Adidas devient très tendance chez les jeunes avec ses modèles «Samba» et «Gazelle». Pari gagné pour Toto Morand. Et une moins bonne nouvelle pour les concurrents de Pomp it Up, restés très liés à Nike, dont ils vendaient jusqu’à récemment 80% de leurs produits, et qui vont baisser à 60%.
En outre, ils n’ont pas commandé à temps, comme Pomp it Up, les modèles Adidas qui allaient cartonner chez les jeunes. «Ils se retrouvent surstockés en Nike et ont une suroffre de Nike, avec des modèles moins demandés», note le Lausannois. Nike a-t-il fait un mauvais pari en rompant avec de nombreux détaillants? Cette marque est celle qui affichait le plus de soldes aux Etats-Unis sur l’année écoulée, tandis qu’Adidas explosait, selon Toto Morand, qui doute que la stratégie de Nike soit la bonne, puisque la marque s’est invisibilisée dans la plupart des boutiques des grandes villes.
Pour 2025, «ce n’est pas gagné»
Pour 2025, Toto Morand reste prudent: «Grosse inconnue. L’avenir est complètement incertain.» Les concurrents de Pomp it Up «ont loupé le début des modèles tendance d’Adidas en 2024, mais ils ne vont pas louper la fin, surtout Zalando». L’entrepreneur vient de passer ses commandes pour décembre 2024 – mai 2025: «Ce n’est pas gagné. Il faut essayer d’anticiper ce qui va marcher, mais c’est toujours très difficile. Mais il faut être là.»
Rien ne garantit qu’Adidas continuera sur cette lancée, mais peut-être que l’année prochaine encore, Pomp it Up fera les bons choix grâce au flair de son patron. En attendant, Pomp it Up «n’est plus à vendre, répond son patron, car il n’y a pas vraiment d’acheteur, ou pas d’acheteur auquel je suis prêt à vendre. Nous passons un super bonne année et nous essayons de profiter de ce moment, en nous positionnant bien sur ce nouveau trend».
Un commerce de détail suisse en crise
Tout cela s’inscrit dans le contexte d’un commerce de détail helvétique en crise, et pour lequel se bat Guillaume Morand, y compris sur le front politique. Il évoque une évolution du marché du détail qui favorise toujours plus quelques acteurs, toujours plus rares, à savoir le duopole Migros-Coop, les grands groupes internationaux dans la grande consommation, ou alors les groupes suisses qui se confinent dans l’ultra-luxe.
«On voit d’année en année des enseignes suisses historiques qui disparaissent, regrette le fondateur de Pomp it Up. Cette année, c’est Jelmoli qui a provoqué un séisme à Zurich, quand cette enseigne phare a décidé de fermer ses portes», explique Guillaume Morand. La concentration dans le commerce de détail a commencé dès les années 2000. Dans la chaussure, le Suisse Voegele et l’Allemand Ochsner ont longtemps dominé à deux le marché, effectuant de nombreux rachats et causant la fermeture d’innombrables petites marques. «Aujourd’hui, après la disparition de Voegele, il y a peu de survivants en dehors d’Ochsner, à part des groupes familiaux comme le Genevois Aeschbach, constate Toto Morand. Même les grosses enseignes suisses disparaissent ou se font absorber par des multinationales européennes. L’avenir de Manor et Globus, derniers grands magasins de Suisse, est incertain.»
Decathlon en profite
Cette situation a profité au groupe français Decathlon, entré en Suisse avec des prix compétitifs et qui profite de la décision de Migros cette année de vendre sa marque Sportxx. «Dès lors, il ne restera dans le commerce de détail de sport que Ochsner Sport (Allemand) et Decathlon (Français), ainsi que les distributeurs de sneakers Snipes (Allemand) et Foot Locker (Américain)», relate Toto Morand. Mais l’exemple de Pomp it Up cette année montre une chose, selon l’entrepreneur vaudois: «Les petits peuvent concurrencer les mastodontes, sur une niche et sur une période donnée. Cette année, nous avions le meilleur choix et les meilleures quantités.»