Imaginez la scène: vous rentrez d’une journée de travail particulièrement éreintante, ponctuée d’imprévus et d’urgences quand votre petite dernière vient vous trouver et vous demande, avec sa bouille sérieuse: «Mais en fait, tu gagnes combien au travail toi?» Si, là tout de suite, vous êtes très tenté de lui répondre: «Pas assez mon poussin, vraiment pas assez pour me farcir toutes ces réunions en plus de l’haleine de mon chef», vous vous ravisez.
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Que répondre à une telle question? Existe-t-il un âge à partir duquel parler de sa rémunération à ses enfants? Faut-il seulement évoquer le sujet avec eux? Un sujet épineux auquel s’est récemment intéressé le New York Times dans sa chronique «The Ethicist» qui décrypte des situations et dilemmes de la vie quotidienne sous l’angle de l’éthique. Se penchant sur le cas d’une enfant de huit ans désireuse de connaitre le montant précis de la fiche de paie de ses parents, le philosophe Kwame Anthony Appiah adresse la crainte de ces derniers de voir le montant de leur salaire divulgué dans la cour de récré: «Il serait préférable que nous vivions dans un monde où les gens pourraient parler ouvertement de leurs revenus sans être confrontés à un ensemble d’attitudes de classe largement pernicieuses», et d’ajouter que «les enfants de huit ans ne devraient pas être tenus de garder des confidences».
Élaborer une réponse en fonction de l’âge de l’enfant
Selon Isabelle Henzi de Boissoudy, fondatrice et directrice de la plateforme d’information pour les parents lafamily.ch, lorsqu’il est question de parler d’argent à ses enfants, il est important de ne pas laisser sa question sans réponse tout en tenant compte de leur âge: «En règle générale, on dit qu’il faut toujours expliquer la vérité d’une situation à un enfant d’une manière appropriée à son âge puisqu’on ne parle pas de la même manière à un petit de quatre ans qu’à un ado de quinze ans».
Selon la spécialiste, un bon point de départ consiste à interroger son enfant sur les raisons de sa curiosité: «S’il est encore petit, on peut lui demander: ‘Mais toi, pourquoi tu veux savoir combien je gagne? Est-ce qu’on t’en a parlé à l’école?’ En effet, il n’y a pas de raison qu’un tout jeune enfant se pose ce genre de question s’il n'en a jamais entendu parler.» Et d’ajouter: «En cas d’inquiétude par rapport à l’argent, il faut alors le rassurer en lui disant que vous gagnez assez d’argent pour qu’il ne manque de rien.»
Aborder la question du budget
À partir de 13-14 ans, une telle question peut, toujours selon Isabelle Henzi de Boissoudy, servir de «porte d’entrée» pour évoquer le sujet de l’établissement et de la gestion d’un budget ainsi que la différence entre les dépenses obligatoires et les dépenses non essentielles, associées au plaisir.
Selon la spécialiste, il est là aussi important d’entamer la discussion en lui posant des questions: «Pourquoi veux-tu savoir ça? Est-ce que tu te fais du souci, est-ce que vous en avez parlé à l’école ou avec tes amis, est-ce que tu as besoin de quelque chose?» «Si, dans le cadre de ces échanges, votre ado vous explique qu’il aimerait effectivement tel ou tel habit, appareil technologique, jeu vidéo, vous pouvez alors, dans une perspective pédagogique, lui demander en retour s'il a une idée de comment il pourrait obtenir cette chose qui lui fait envie. Si vous le sentez réceptif, pourquoi ne pas évoquer avec lui la possibilité de se mettre à la recherche de quelques heures de babysitting ou de cours d’appui afin de pouvoir gagner un peu d’argent?»
En revanche, précise la spécialiste, si vous avez l’impression que vous avez déjà eu de nombreux échanges pédagogiques ces derniers temps, vous pouvez aussi simplement lui indiquer qu’il est libre de demander l’objet en question pour Noël ou encore pour son anniversaire: «Si chaque question que votre ado vous pose débouche sur une leçon éducative en bonne et due forme, il se peut qu’il sature… et vous aussi. En matière d’éducation, tout est toujours une affaire de dosage.»
Et en cas de problèmes d’argent?
Que faire si la question de votre enfant intervient dans un contexte où vous rencontrez effectivement des difficultés financières? Là encore, selon Isabelle Henzi de Boissoudy, la réponse varie en fonction de l’âge de celui-ci: «Il est important que les enfants soient au courant que leurs parents font le maximum pour les mettre en sécurité. Avec les plus petits, il n’est pas nécessaire d’aller plus loin dans les explications pour ne pas risquer de les affoler. Avec les ados, vous pouvez développer un peu plus et leur dire 'En ce moment, c’est un peu compliqué, mais on fait de notre mieux’», conclut Isabelle Henzi de Boissoudy.