Jean-Claude Biver s’est imposé, en cinq décennies, comme la référence de la haute horlogerie suisse. Originaire du Luxembourg, ce diplômé de HEC Lausanne a commencé par redonner vie à Blancpain dans les années 1980, puis Omega dans les années 1990, avant de ressusciter Hublot dans les années 2000, marque qu’il a ensuite revendue en 2008 au groupe LVMH pour près de 500 millions de francs. Il prend ensuite la direction du pôle horlogerie du groupe LVMH puis celle de TAG Heuer et de Zenith.
Après avoir réduit ses activités en 2018 pour raisons de santé, il créé la surprise l’an dernier en annonçant le lancement, avec son fils Pierre, 22 ans, de leur propre marque de montres haut de gamme, JC Biver. Mi-mai, leur premier modèle a été adjugé 1,27 million de francs lors d'une vente aux enchères à Genève. Une somme qui sera reversée à une œuvre de bienfaisance, a-t-il fait savoir.
Pour Blick, le charismatique et hyperactif entrepreneur livre, avec son inimitable enthousiasme, ses cinq principes pour réussir sa vie professionnelle.
Se différencier
Jean-Claude Biver a une devise en forme de mantra: «Il faut faire en sorte d’être toujours premier, unique et différent!» C’est, pour lui, l’un des socles sur lequel construire tout le reste, un pilier essentiel quel que soit son domaine d’activité. Ce conseil, il le répète souvent aux étudiants qui viennent l’écouter en conférence. «Trop souvent, les gens foncent tête baissée, sans avoir suffisamment aiguisé leur idée. Lorsqu’on développe un projet, un contexte, il faut regarder ce qui existe, non pas pour s’en inspirer, mais au contraire pour développer sa propre idée originale dans le but de la rendre première, unique et différente.»
Le professionnel insiste sur ce premier point qui constitue une manière de distancer toute éventuelle concurrence. Sans cette réflexion, il devient, selon lui, difficile de faire décoller son entreprise dans notre monde où la concurrence est rude et tous azimuts. Pour appuyer son propos, il cite en exemple la vigneronne valaisanne Marie-Thérèse Chappaz qui fut la première à se lancer dans le vin bio il y a plus de 40 ans.
Apprendre de ses erreurs
«L’erreur est nécessaire, fertile et constructive. À condition bien sûr de la reconnaître, puis de l’analyser en profondeur pour en tirer un maximum d’enseignements afin de tracer un meilleur chemin.» Le premier enseignement étant, précise Jean-Claude Biver, de ne jamais reproduire deux fois la même. «L’idée que l’erreur est formatrice n’est malheureusement pas très présente en Europe et encore moins dans nos systèmes éducatifs.
C’est bien moins le cas aux États-Unis par exemple ou dans les pays anglo-saxons en général. » Là-bas, ceux qui ont échoué plusieurs fois avant de réussir sont souvent très respectés, car on voit en eux des modèles d’intelligence et d’abnégation: «On est moins vulnérables après qu’avant une erreur. Les Américains l’ont bien compris. Celui qui a connu l'échec a moins de risque d’échouer à nouveau que celui qui n’a jamais rien tenté de significatif!»
Faire preuve d’abnégation
Jean-Claude Biver estime qu’il faut persister dans son idée malgré les échecs intermédiaires, qui seront presque inévitables dans un parcours d'entrepreneur. «La réussite vient rarement du jour au lendemain. Par exemple, les capsules de café n’ont pas connu d’emblée l’incroyable succès planétaire que l’on sait. Ce concept novateur a mis du temps à s’imposer.»
Le piège face aux contrecoups serait de s’arrêter en cours de route. «Il faut insister et ne pas se dire 'cette fois, j’arrête, je ne vais pas y arriver'». Mais notre monde va vers plus de liberté et moins de travail.» En cause notamment, la volonté d’immédiateté: «Beaucoup de jeunes prennent ce chemin facile du «tout, tout de suite». Or ce n’est clairement pas celui des grands succès professionnels qui exigent beaucoup de temps, de travail et de passion.»
Cultiver sainement le doute
Pour le patron horloger, il ne faut jamais chasser le doute mais l’apprivoiser et écouter ce qu’il a à nous dire. Le businessman y voit même un «grand allié»: «Le doute nous avertit d’avance des dangers qui pourraient se présenter à nous. Il permet d’ajuster notre comportement au fil du temps, tel un pilote de Formule 1 dans un virage. C’est une formidable soupape de sécurité. Une sorte de preuve par neuf.» Lors de ses conférences sur les campus d’élite du monde entier, il constate que certains d'étudiants n’ont pas de doutes, mais uniquement des convictions. «Ceux-là me font peur!»
Trouver et nourrir sa passion
C’est un secret de polichinelle: Biver marche à la passion. Pour lui, c’est le meilleur carburant et le complément idéal et indispensable à l’idée «première, unique et différente». «Un grand peintre n’arrête jamais de créer: il ne travaille pas, il est passionné. La passion transforme le travail en quelque chose de ludique, voire d’addictif. Elle nous replace dans la peau d’un enfant qui serait à ce point pris par son jeu qu’il en oublierait de manger.»
L'homme d'affaires estime que trop peu de gens cherchent, et donc trouvent, quelle est leur passion. « C'est dommage, car la passion ne nous tombe en général pas dessus. Jusqu’à mes 23 ans, je n’avais pas de passion, j’étais un hippie qui se demandait ce qu’il allait bien pouvoir faire des soixante années à venir... Puis l’art horloger m’a happé à la Vallée de Joux. Cela fera cinquante ans cette année que j'ai trouvé ma passion. Aujourd’hui, alors que je lance la marque JC Biver avec mon fils Pierre, je réalise qu'elle reste intacte. Quel privilège!»
En collaboration avec Large Network