Pas de bling-bling, seul un autocollant à côté de la porte tournante indique que l'entreprise la plus populaire de Suisse se trouve dans ce bâtiment vitré Zurichois: Twint. «Bonjour, je m'appelle Markus», se présente simplement le directeur de l'application de paiement, créée en 2016. Interview.
Markus Kilb, quand avez-vous payé en espèces pour la dernière fois?
En Suisse? Je ne m'en souviens pas. (Il sort son porte-cartes) J'ai toujours un billet de 50 euros sur moi. Au cas où je me rendrais à Munich, où vivent mes deux enfants adultes. Sans argent liquide, je risque d'avoir des problèmes là-bas.
Pas de francs suisses?
Non, ici je n'ai plus besoin de porte-monnaie. Dans mon porte-cartes, je n'ai que ma carte AVS, ma carte d'identité, mon permis de conduire et mon permis de séjour. Sinon, tout ce qui est important est sur mon portable. Ma femme a un porte-monnaie supplémentaire pour l'Allemagne (rires).
En Allemagne, il n'y a rien de comparable à Twint?
Non, on a un peu raté le coche.
A quoi cela tient-il ?
En Suisse, les banques ont dit: «Nous voulons un système de paiement mobile qui réponde aux besoins spécifiques des clients suisses.» Cette détermination du secteur financier a fait défaut en Allemagne. Bien sûr, on y utilise différents portefeuilles mobiles, mais jamais dans une telle mesure.
Que répondez-vous au reproche selon lequel Twint serait le fossoyeur de l'argent liquide?
Payer avec Twint n'est pas une religion. Nous ne prescrivons pas aux gens de ne plus payer en espèces. Au contraire: nous voulons aussi aider les clients qui souhaitent retirer de l'argent liquide. C'est pourquoi nous proposons également une fonction de retrait d'espèces via Twint.
Désormais, Twint permet de déposer sur l'application les cartes clients Migros, Coop et autres. Un pas de plus vers l'abandon du porte-monnaie!
Nous réfléchissons chaque jour à ce que nous pouvons faire pour simplifier la vie des clients: payer, faire ses courses, se garer ou faire le plein. En Suisse, il existe de très nombreuses cartes de fidélité utilisées très activement. Il était donc évident de les intégrer dans l'application Twint, afin que les clients puissent les sortir virtuellement.
Si nous ne faisons plus que tendre notre téléphone portable partout pour payer, ne perd-on pas le lien avec l'argent?
Je ne le pense pas. Twint est très transparent. Je viens d'acheter un croissant chez le boulanger. Cette transaction apparaît immédiatement sur mon compte d'application. On n'a pas une vue d'ensemble aussi rapide avec une carte de débit. Et l'argent est en sécurité. L'argent liquide peut tomber, ou même être volé.
Beaucoup de gens ne vérifient pas constamment leurs transactions. Quand le billet de 100 francs a disparu, on s'en rend compte tout de suite...
Mon expérience est la suivante: les Suisses sont très conscients de leur argent. Même les personnes qui ne font pas partie de la branche ont des connaissances très élevées en matière de finances, plus que dans d'autres pays. Nous ne pensons pas qu'il y ait une perte de contrôle. De plus, à partir d'un certain montant, le client doit encore faire une validation supplémentaire. Cela aide beaucoup.
Avec la fonction «Payer plus tard», on peut acheter à crédit et payer 30 jours plus tard. Les centres de conseil y voient une incitation à s'endetter.
Le fait d'acheter un bien ou un service sur facture, les Suisses le font probablement depuis plus longtemps que je ne suis au monde. Nous avons simplement intégré cette fonction dans l'application. Et là aussi, nous avons des processus qui garantissent une utilisation responsable. Déjà, il faut avoir plus de 18 ans. De plus, notre partenaire, la société Swissbilling de Cembra, vérifie la solvabilité à chaque transaction.
Twint est l'entreprise qui a la meilleure réputation en Suisse, devant la Migros. Pensez-vous que les gens dans la rue savent au moins qui se cache derrière?
Nous n'en faisons pas un mystère. La majorité des clients utilisent Twint par leur banque.
Mais la réputation des banques ne semble pas déteindre sur Twint.
Je ne pense pas qu'il y ait une différence. Pour nous, les banques représentent la stabilité. Elles sont synonymes d'une offre fiable, durable et de très bonne qualité. Nous en sommes fiers.
Comment fonctionne la collaboration?
Les banques acquièrent chez nous la licence pour Twint et obtiennent ainsi le droit de mettre l'application à la disposition de leur clientèle.
En Suisse, Twint est presque sans concurrence. Un nouvel arrivant sur le marché ne serait pas une bonne chose?
Nous avons déjà de la concurrence. Chacun d'entre nous a aussi d'autres possibilités de paiement: espèces, cartes de crédit, cartes de débit. Le marché est rapide et il nous arrive aussi de faire des erreurs.
Par exemple?
Nous avons pensé qu'il pourrait être intéressant d'intégrer la livraison de repas dans l'application Twint. La livraison de nourriture est très demandée dans le monde entier. Mais chez nous, cela n'a pas du tout fonctionné.
Pourquoi?
Parce que nous n'avons rien mis sur le marché qui offre une réelle valeur ajoutée aux clients. Notre clientèle trouve certes formidable de se faire livrer des repas et de payer ensuite avec Twint. Mais presque personne ne voulait commander directement sur Twint.
Twint compte cinq millions d'utilisateurs. Peut-on encore se développer à ce stade?
Absolument. Nous pouvons encourager encore plus de clients à utiliser Twint dans toutes les situations de paiement. Et alors que nous sommes désormais l'un des plus grands fournisseurs dans le commerce en ligne, il y a encore quelques commerçants qui n'acceptent pas Twint. Ce sont eux que nous voulons convaincre.
De quels commerçants s'agit-il ?
Nous voulons inciter encore plus de snack-bars, de restaurants pop-up ou de stands de marché. Jusqu'à présent, ils disaient souvent qu'ils ne voulaient pas construire une autre ligne électrique sur leur stand de vente ou le rendre résistant aux intempéries pour un appareil. Nous pouvons proposer à un exploitant de marché d'accrocher le code QR Twint directement entre les pommes de terre, sans infrastructure technique.
De nombreux commerçants n'hésitent-ils pas à utiliser Twint à cause des frais de 1,3% sur les achats?
Une étude récente de la Banque nationale suisse confirme que les commerçants n'estiment pas que les coûts de Twint sont plus élevés que ceux des cartes de débit. C'est également notre feed-back. Les commerçants sont heureux de pouvoir participer au trafic des paiements sans numéraire. Contrairement aux cartes de débit et de crédit, ils ne doivent pas investir dans un terminal, n'ont pas besoin d'infrastructure ni de personnel pour Twint. De plus, nous ne connaissons aucun fournisseur qui propose aux petits commerçants une offre complète plus avantageuse que la nôtre.
Qui est le client typique de Twint?
Nos clients couvrent tout l'éventail des âges. Des jeunes à ceux qui ont plus de 90 ans. Avec Twint, il n'est pas nécessaire d'être féru de technologie. L'application est immédiatement compréhensible pour tous et facile à utiliser.
Pourtant, les personnes âgées sont souvent plus sceptiques face aux offres numériques.
Je n'ai pas cette impression. Bien sûr, certains ont besoin d'un peu plus de temps, car ils ont construit leur monde différemment. Mais nous constatons une volonté d'essayer de nouvelles choses. C'est un soulagement de ne plus avoir à saisir de code PIN ou à sortir de petites cartes.
A propos de cartes de fidélité: que fait Twint avec les données? Savez-vous maintenant ce que j'achète à la Migros?
Non, nous ne recevons aucune information sur le panier d'achat. Les données sont toutes en Suisse. Elles sont traitées exclusivement ici, et nous n'avons jamais eu de fuites de données.
On lit des cas où des escrocs tentent de passer à la caisse avec Twint.
Les systèmes Twint n'ont à aucun moment été compromis. Ce qui arrive avec chaque moyen de paiement, c'est que des escrocs tentent de se procurer les données d'accès des clients via des attaques de phishing. Le nombre est toutefois faible par rapport aux plus de cinq millions de clients.
En 2021, vous avez annoncé que Twint serait bientôt utilisé à l'étranger. Où en êtes-vous aujourd'hui?
Nous nous concentrons entièrement sur la Suisse et essayons d'y développer le meilleur système de paiement possible.
L'étranger n'est donc plus à l'ordre du jour?
Nous sommes cofondateurs de l'European Mobile Payment System Association. Nous avons constaté à cette occasion que les fournisseurs de paiement mobile ont parfois des conditions et des mécanismes totalement différents des nôtres. C'est pourquoi nous ne pouvons pas les réunir avec Twint aussi rapidement que nous l'aurions souhaité. En revanche, le secteur en ligne se porte bien. Nous permettons à de nombreux commerçants internationaux de proposer le paiement avec Twint à leur clientèle en Suisse. C'est très utilisé.
Pour quoi dépensez-vous le plus d'argent sur Twint?
Pour des expériences communes avec ma femme. Aller au théâtre, inviter des amis à dîner, partir en voyage.
Votre dernière destination ?
Nous sommes allés en Autriche pour la clôture de la Coupe du monde de ski. Nous avons payé le voyage en train avec Twint auprès des CFF.
Avec qui avez-vous vibré ?
Avec la Suisse bien sûr! Et plus particulièrement avec Lara Gut. Je suis déjà tout à fait suisse.