Rien de si réjouissant: avec l’inflation et la hausse des primes maladie, le pouvoir d’achat a diminué pour la majorité des Suisses, et cela avant les chiffres d’après-pandémie. La pyramide des salaires en Suisse serait stable depuis 2008, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), qui s’en est félicité lors de sa conférence de presse du 19 mars.
A 6788 francs bruts pour un temps plein en 2022, le salaire médian n’aurait pas connu de fortes variations ces dernières années. De même, l’OFS s’est réjoui que l’écart de salaires entre hommes et femmes continue à diminuer, se réduisant désormais à 9,5%. Mais il y a théorie et réalité. Décryptage.
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Une médiane ne dit pas grand-chose
Un salaire médian de 6788 francs bruts à temps plein, qui signifie que la moitié des Suisses gagnent plus, et l’autre moitié gagne moins, est loin de raconter toute l’histoire. Il ne dit rien des valeurs salariales extrêmes.
Or les très hauts revenus n’ont jamais été aussi hauts, notamment chez les négociants de matières premières comme Trafigura, dont les patrons résident à Genève (Cologny, Pregny-Chambésy), ou comme Gunvor, Mercuria et Vitol. Les salaires distribués au sommet par ces firmes ont atteint 8 ou parfois 9 chiffres ces trois dernières années, à la faveur de l’explosion des prix des matières premières. Ce qui est positif pour les finances du canton de Genève, notamment.
A l’autre extrémité, les statistiques sur les bas revenus sont insuffisantes tant à Genève que sur Vaud, mais on sait que les salaires les plus bas ont baissé sur Vaud depuis 2014 et avant les effets de la pandémie. L’aide sociale y est passée de 11% en 2011 à 14% en 2020, et les subsides aux assurances maladie ont doublé en 10 ans.
Au niveau suisse, le taux de pauvreté est passé de 6,7% à 8,7% entre 2014 et 2019, des chiffres déjà vieux de 4 ans qui n’incluent pas les effets de la pandémie. Ils signifient que plus de personnes vivent sous le minimum vital de l’aide sociale.
Comparer avec 2008 minimise la hausse des hauts revenus
L’OFS affirme qu’entre 2008 et 2022, les 10% des personnes les mieux payées ont vu leur rémunération augmenter de 13,5%, et les 10% les moins bien payées ont vu la leur augmenter de 14,3%. Cela signifierait qu’il n’y a pas eu de creusement des inégalités de revenus. Mais prendre 2008 comme point de départ signifie qu’on part d’une année record pour les très hauts salaires, puisque cette année se situait au pic de la bulle financière qui a précédé le krach de 2009.
Dès lors, la hausse de 13,5% des personnes les mieux payées apparaît moins spectaculaire que si l’OFS avait pris une autre année de référence, comme 2013 (il y a 10 ans), au sortir de la Grande Récession et de la crise de l’euro. Or sur cette dernière décennie, les très hauts salaires ont rebondi beaucoup plus vite que les salaires du bas de l’échelle, principalement en raison d’une performance boursière record (actions suisses, européennes et américaines), stimulée par les banques centrales, et favorisant le segment le plus aisé de la population.
Les différences entre les sexes continuent à diminuer
On peut se réjouir, comme l’annonce l’OFS, que l'écart global de salaires (valeur médiane) entre les femmes et les hommes continue à se réduire progressivement, passant de 11,5% en 2018 à 9,5% en 2022, à taux plein. Mais il faut souligner que ces écarts sont mesurés pour des taux d’activité théoriques de 100%, c’est-à-dire en supposant un plein-temps.
Or ce n’est pas la réalité de nombreuses femmes, qui travaillent 2,5 fois plus que les hommes à temps partiel, en raison de leurs circonstances de vie et des conditions de travail (maternité, sous-emploi, contrats temporaires). La proportion de femmes occupées à temps partiel est passée de 50% à 60% entre 1991 et 2020, et celle des hommes à temps partiel est passée de 10% à 20%. Les comparaisons de taux à 100% ne reflètent donc pas ce qui est effectivement encaissé à la fin du mois.
Le salaire réel baisse, et l’essentiel est là
Enfin, l’information la plus importante, c’est celle sur les salaires réels, qu’a donnée non pas l’OFS, mais le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO): une fois l’inflation déduite, les salaires réels ont baissé de 0,8% entre 2020 et 2022, en raison du renchérissement lié à la pandémie et à la guerre en Ukraine. Une inflation qui a un impact nettement plus élevé sur les salariés du bas de l’échelle que sur les hauts revenus.
Cette baisse du salaire réel vient conclure une longue période de stagnation des salaires réels en Suisse, un effet de 30 ans de globalisation, qui a duré depuis 2009 et jusqu’à la pandémie. Entre 2009 et 2018, les rémunérations réelles n’ont progressé que de 0,8% en moyenne annuelle en Suisse, puis ont connu un recul en 2019 en raison de l’inflation, tandis que sur la même période les dividendes ont grimpé de plus de 50% (à savoir la part des profits redistribuée aux actionnaires par les sociétés cotées au SMI).