L'Allemagne souffre et l'industrie automobile, cœur de cette fière nation industrielle, traverse sa plus grande crise depuis des années. Au siège du groupe Volkswagen à Wolfsburg, pas un jour ne passe sans que des manifestations soient organisées, dans un contexte où les représentants des salariés ont récemment dénoncé un plan social «historique» visant à «saigner» les sites allemands du géant automobile.
La morosité ambiante chez notre voisin n'est en outre pas sans conséquence pour l'industrie locale, comme l'indique Martin Hirzel, président de l'association faîtière de l'industrie Swissmem: «La crise en Allemagne touche aussi la Suisse, en particulier l'industrie de la sous-traitance automobile».
Les exportations de la branche de la sous-traitance, qui compte environ 32'000 collaborateurs, ont ainsi reculé de 7,8% au cours des neuf premiers mois de l'année. Au troisième trimestre, le recul a même atteint les 14,8% par rapport à l'année précédente. «C'est massif», commente l'ancien CEO du sous-traitant automobile Autoneum. Et d'ajouter: «De nombreuses entreprises ont donc gelé les embauches et on observe ponctuellement des licenciements et un recours au chômage partiel».
Délocalisations, fermetures et possibles ventes
Dans son rapport semestriel, le groupe bernois Feintool, sous-traitant de pièces de précision pour le secteur automobile, parle de «surcapacités» dans le secteur des moteurs électriques en Europe. L'entreprise, qui emploie 3200 personnes dans le monde, a d'ores et déjà annoncé en mai des mesures d'économie drastiques: la production en grande série de pièces de découpage fin sera transférée de Suisse en République tchèque d'ici fin 2025. À Lyss, dans le canton de Berne, 70 des 200 salariés perdront leur emploi.
Le son de cloche est tout aussi sombre chez Komax, spécialiste de la fabrication de machines automatisant les processus de traitement des câbles. Le groupe, qui réalise environ 75% de son chiffre d'affaires avec des clients de l'industrie automobile, s'attend à une chute de 20% de son chiffre d'affaires en 2024.
Le groupe, qui emploie 3400 personnes, a pris une série de mesures pour réduire les coûts: les sites de production de Rotkreuz et Cham, tous deux situés dans le canton de Zoug, seront supprimés et regroupés au siège principal de Dierikon dans le canton de Lucerne. Komax a en outre décrété un gel des embauches, introduit le chômage partiel et procédé à des licenciements.
La crise allemande a également de lourdes conséquences pour Georg Fischer. Le géant industriel de Schaffhouse a parlé cette semaine de «forts vents contraires» dans le secteur automobile. Pour la division GF Casting Solutions, qui réalise les trois quarts de son chiffre d'affaires dans ce secteur, la direction de l'entreprise a annoncé qu'elle examinait «toutes les options stratégiques».
En d'autres termes, la direction envisage de céder le fabricant de composants de construction légère. Les collaborateurs de GF à Schaffhouse et Stabio, au Tessin seraient concernés.
Tous ne sont pas condamnés à mourir de faim
Le sort de Swiss Steel Group est, lui aussi, étroitement lié à l'industrie automobile: «Nous fournissons des solutions sur mesure d'une qualité élevée et constante pour les composants de moteurs, les pompes à haute pression, les systèmes d'échappement, les composants de châssis, les systèmes hydrauliques et pneumatiques, les boîtes de vitesses, la direction et les airbags», commente le groupe sidérurgique.
Ces dernières années, la demande s'est toutefois raréfiée. Dans son rapport semestriel publié à la mi-août, l'entreprise d'Emmenbrücke située dans le canton de Lucerne tirait la sonnette d'alarme: «Le secteur automobile, notre plus grand segment de clientèle, a été touché par un environnement difficile».
Pour les entreprises de Suisse centrale, l'incertitude règne: il y a deux semaines, la «NZZ am Sonntag» et la «SonntagsZeitung» avaient rapporté que l'entreprise était au bord de l'effondrement. Une information contestée avec véhémence par le groupe.
En revanche, pour d'autres grandes entreprises comme Dätwyler, SFS et Ems-Chemie, toutes fortement liées à l'industrie automobile, les chiffres et les perspectives sont meilleurs. A ce sujet, Anja Schulze, directrice du Swiss Center for Automotive Research à l'université de Zurich, déclarait récemment: «La situation est très différente pour chaque entreprise», arguant que de nombreuses entreprises ne sont pas uniquement actives dans le secteur automobile, mais aussi dans d'autres branches. «Cela donne un peu d'air», explique cette dernière.
Dépendants de l'Allemagne, même en Chine
Faisant partie des rares entreprises suisses à fournir directement les constructeurs automobiles, Autoneum semble lui aussi stable. Au premier semestre, l'entreprise, qui emploie 16'500 personnes, a même pu légèrement augmenter son chiffre d'affaires ainsi que son bénéfice.
Sur le marché intérieur européen, Autoneum n'échappe cependant pas aux turbulences: Dans l'usine de Bocholt en Rhénanie du Nord-Westphalie et reprise en 2023 par l'équipementier automobile allemand Borgers, près de la moitié des 395 postes de production sont voués à disparaitre d'ici à 2027.
Le groupe Winterthour (Zurich), qui produit également à Sevelen (Saint-Gall), mise quant à lui sur la croissance en Asie. Selon le rapport semestriel de l'entreprise, les premières «initiatives» consistant à l'ouverture d'usines à Changchun (Chine) et Pune (Inde), ont déjà été mises en œuvre. Le rachat de fournisseurs automobiles locaux est par ailleurs à l'étude afin d'obtenir un accès direct aux producteurs automobiles chinois.
Cet exemple illustre bien le problème de dépendance à leurs clients allemands que rencontrent de nombreux sous-traitants suisses en Asie : «Certains sous-traitants suisses produisent certes directement en Chine, mais le plus souvent pour Volkswagen et d'autres constructeurs occidentaux», explique Martin Hirzel. En revanche, il n'est pas facile de faire des affaires avec les constructeurs automobiles chinois en plein essor comme BYD.
Même constat du côté d'Anja Schulze: «Les sous-traitants automobiles suisses ont réduit leur dépendance vis-à-vis de l'Allemagne ces dernières années, mais pas de manière significative», même si sa dernière étude montre tout de même que la clientèle s'est considérablement élargie.
Pas de crainte de coupes franches
Un autre aspect permet également à l'économiste d'afficher un optimisme prudent quant à la crise actuelle: «L'industrie suisse a été sans cesse contrainte de travailler sur sa compétitivité en raison du franc fort et pour autant, nous n'avons pas subi de désindustrialisation».
Martin Hirzel ne veut pas non plus répandre la panique: «Contrairement à l'Allemagne, je ne vois pas de problème structurel en Suisse», souligne-t-il. «L'industrie tech suisse est moins gourmande en énergie, très innovante et plus diversifiée, tant au niveau des branches que des débouchés». Pour autant, la Suisse ne doit pas se faire d'illusions : «Sans nos voisins, on ne peut toujours pas faire grand-chose». Et pour cause, 55% des exportations sont aujourd'hui destinées à l'UE et 23% cent à l'Allemagne.
Au vu de ces chiffres, on comprend sans peine que la Suisse a tout intérêt à ce que la situation s'améliore rapidement pour son grand voisin.