La réponse est plutôt dure: pas de sitôt. Revenir aux sommets de 2021 nécessiterait un retour de l’argent facile, qui n’est pas à l’ordre du jour. Le bitcoin et les autres cryptos connaîtront donc une évolution plus pédestre que supersonique ces prochains mois.
Les sommets atteints en 2021 par les cryptomonnaies n’auraient jamais été possibles sans l’abondance de crédit bon marché. Sans cet excès d’argent facile, les cryptomonnaies auraient connu une ascension beaucoup, beaucoup plus lente. Et les tweets d’Elon Musk sur dogecoin ne l’auraient pas fait bondir de 6000% en quatre mois. Ce qui a attiré une telle masse de petits investisseurs et de spéculateurs en 2020-2021 et créé une véritable mania, c’est d’abord la possibilité d’emprunter de l’argent à 0% pour le placer dans les cryptos et autres titres spéculatifs. Et cela a fonctionné à merveille: le prix du bitcoin a plus que décuplé (+1000%) entre mars 2020 et novembre 2021. Le prix d’ethereum a même été multiplié par 36 (+3600%). Puis, une chute brutale a effacé toute leur hausse de 2021. Que s’est-il passé?
Comme illustré par le graphique ci-dessous, la hausse devait tout à l’argent gratuit des banques centrales et en particulier de la Fed américaine. On voit ici comment le prix du bitcoin explose exactement au moment où les liquidités fournies par la Fed explosent, et chutent quand le robinet monétaire se ferme.
En mars 2020, face à la crise du Covid, la Fed a injecté 3000 milliards de liquidités dans les marchés en trois mois. Un véritable électrochoc, suivi d’encore 2000 milliards sur dix mois. En tout, cela équivaut à un investisseur qui aurait acheté pour 5000 milliards d’actifs boursiers en très peu de temps: cela ferait monter l’ensemble du marché (comme ce fut le cas) et disparaître le risque de baisse. C’est ainsi que l’euphorie spéculative a inondé les cryptos. Mais ce n’est pas tout: en parallèle, la Fed a baissé ses taux d’intérêt à 0,25%. C’est cela qui a rendu le crédit très bon marché pour les boursicoteurs, comme évoqué plus haut. Pouvoir emprunter de l’argent à seulement 0,25%, pour le placer dans tout ce qui gagne plus que 0,25%, voilà qui a favorisé une folle spéculation.
Une explosion générale
Le bitcoin, l’ethereum, mais aussi des dizaines d’autres cryptomonnaies beaucoup moins valables ont atteint les sommets que l’on a vus, simplement parce qu’il y avait trop d’argent emprunté qui cherchait à se placer quelque part. C’est là qu’on a aussi vu exploser les applications qui vous proposent d’immobiliser ou de prêter vos cryptos en échange d’un rendement fixe, généralement à deux chiffres. L’argent placé sur ces plateformes a fondu de 70% sur six mois. Et pour ne rien arranger, les piratages de ces applications ont atteint un nombre record cette année.
A posteriori, la bulle 2020-2021 des cryptos est si énorme, qu’en comparaison, la bulle précédente de 2018, que l’on croyait géante, paraît minuscule en termes de volumes.
L’explication se trouve encore et toujours dans les liquidités: il y avait 4000 milliards de liquidités de moins sur le marché, et les taux d’intérêt étaient plus élevés. Résultat: au pic de 2021, les volumes échangés étaient quatre fois plus élevés qu’au pic de 2018, selon coinmarketcap.com. En outre, la bulle 2018 doit beaucoup à l’introduction, pour la première fois, de produits dérivés (instruments spéculatifs) sur les cryptomonnaies.
Les dérivés sont des instruments qui permettent de parier sur les variations de prix d’un titre, et de parier agressivement sur sa baisse aussi. Lorsque ces dérivés ont été lancés, des traders qui étaient très familiers des dérivés mais peu familiers des cryptos sont entrés sur ce marché pour spéculer via ces instruments, qu’ils connaissent bien. D’où l’ampleur qu’ont immédiatement prise les transactions, en particulier sur le bitcoin. On a vu des volumes d’achats élevés à travers les dérivés, qui ont tiré le prix à la hausse, puis des ventes massives lorsque les paris se sont dénoués. Les dérivés ont ouvert la porte à de plus nombreuses transactions spéculatives.
Et maintenant?
Depuis que les banques centrales ont annoncé, fin 2021, leur intention de cesser la politique d’argent facile, les investisseurs endettés se sont retirés du marché: l’air est sorti, comme on dit dans le jargon du métier. La bulle d’argent facile s’est dégonflée. C’est à ce moment que l’on a pu voir quels actifs boursiers étaient les plus «gonflés» d’air. Et les cryptomonnaies l’étaient bien plus que le Nasdaq par exemple, l’indice des valeurs technologiques américaines, qui a pourtant attiré une énorme spéculation. Mais de son plus haut d’octobre 2021 à son point bas de mai, force est d’admettre qu’il n’aura pas perdu plus de 30%, soit la moitié de ce qu’ont perdu les cryptomonnaies. L’argent qui s’y est placé est donc plus solvable que celui qui s’était amassé dans les cryptos.
Le rebond n’est pas pour demain
Nous avons vu que le marché des cryptomonnaies a été un aimant pour l’argent facile. En l’absence de ce dernier, il y a beaucoup moins d’action sur bitcoin, ethereum et les autres, car seuls sont restés les investisseurs sérieux, engagés pour le long terme. Ainsi, dans ce nouveau climat d’austérité monétaire, le bitcoin fait du surplace, oscillant autour des 20'000 dollars depuis juin (contre 65'000 en novembre 2021). De même, l'ethereum évolue dans un couloir entre 1000 et 2000 dollars, lui qui avait frôlé les 5000 dollars il y a un an.
Étant donné que l’inflation est loin d’être vaincue dans les pays développés, les politiques monétaires n’auront aucune possibilité de redevenir accommodantes ces prochains mois. Elles resteront sobres (poursuite des hausses de taux d’intérêt, fin de la stimulation des marchés). Les États-Unis et l’UE ayant vu leur dette croître encore avec la guerre en Ukraine, les milliers de milliards créés pour stimuler les marchés financiers semblent d’autant moins à l’ordre du jour. Les cryptomonnaies, qui devront convaincre les investisseurs par leurs seuls mérites, risquent donc bien de connaître une évolution plus pédestre que supersonique ces prochains mois.