«La science est essentielle pour la société, à chacune de nos étapes dès le petit déjeuner», souligne dans un entretien à Keystone-ATS le professeur de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). De jeudi à samedi, Genève accueille le premier sommet de l'Anticipateur pour la science et la diplomatie (GESDA).
Cette initiative lancée par la Suisse, le Canton et la Ville de Genève vise à accompagner les défis scientifiques des prochaines décennies pour que ceux-ci bénéficient à l'ensemble de la société.
«La science a perdu contact avec la société»
Pour Didier Queloz, qui prononcera samedi le principal discours de clôture du sommet, la crise du coronavirus a montré clairement les besoins de la science. «Comment peut-on en arriver à ce que 40% des Suisses ne veuillent pas se faire vacciner? Nous avons perdu le contact avec la société», juge M. Queloz, qui blâme aussi les scientifiques qui n'arrivent pas suffisamment à expliquer.
Pour lui, il faut davantage comprendre comment une population réagit psychologiquement et socialement. Le monde scientifique doit aussi être mieux représenté parmi les parlementaires ou ceux qui gouvernent.
Le professeur genevois n'épargne pas non plus les médias, qui manquent selon lui d'expertise dans un pays où la population vote régulièrement. «Je souhaite voir une fois à la 'Une' ce qu'est l'ARN-messager» et le vaccin que cette technologie alimente.
Didier Queloz, centre de l'attention
D'autant plus que le changement climatique réclame l'engagement de chacun. «Depuis plus de 30 ans, la science a alerté. Et nous savons ce que nous aurions à faire, notamment réduire les émissions de CO2», dit le professeur de l'EPFZ. «Mais je ne vois pas comment nous allons éviter une hausse significative du niveau des mers». La pandémie ne constitue qu'un petit problème par rapport aux défis qui attendent le monde, selon lui.
Devenu une «rock star de la science» depuis son Prix Nobel avec le Vaudois Michel Mayor, M. Queloz relève à quel point le prix est «contre-intuitif» par rapport au travail collectif qui aboutit aux résultats scientifiques. Après cette récompense, «vous devenez une sorte d'ambassadeur de la science». «Pour moi la science est un moyen d'organiser la curiosité sur les faits», dit-il.
Ce rôle d'ambassadeur l'éloigne de la recherche. Mais il lui donne la responsabilité de soutenir les prochaines générations de scientifiques. A ce titre, il est inquiet de l'"impact dramatique» à long terme des possibles difficultés pour les chercheurs suisses dans le programme Horizon Europe, en raison du blocage entre Bruxelles et Berne sur l'accord institutionnel.
Ciblant la volonté suisse d'un arrangement «parfait», il note que les Britanniques ont réussi à maintenir leur présence malgré leur départ de la famille européenne. Et de dénoncer l'opposition de certains partis politiques contre l'UE qui fait, selon lui, du tort aux scientifiques et, à terme, à la compétitivité de la Suisse.
Lutter contre un fossé
Dans sa nouvelle activité à l'EPFZ, le Prix Nobel veut lutter contre un autre fossé, celui entre les différentes disciplines scientifiques qui empêchent certaines possibilités de recherche. Il veut par exemple mettre en réseau l'astrophysique, la chime et la biologie.
«Un jour, nous fabriquerons des vies en laboratoire», assure-t-il. «On peut s'en inquiéter mais il faut le comparer avec le pouvoir d'auto-destruction que nous avons déjà», alors «ce serait le moindre de nos problèmes», insiste-t-il. Tout dépend comment la société exploite la science, comme l'a montré la mise au point de la bombe atomique lors de la 2e Guerre mondiale. «La science ne décide pas», affirme M. Queloz.
Des centaines de responsables politiques, diplomates ou chercheurs sont attendus de jeudi à samedi à Genève. La Suisse sera notamment représentée par la secrétaire d'Etat Martina Hirayama. Le président américain Joe Biden a dépêché une conseillère scientifique, la sociologue et écrivaine Alondra Nelson.
(ATS)