Première mondiale à Lausanne
Un paraplégique remarche grâce à une interface cerveau-machine

Grâce à une interface numérique sans fil entre le cerveau et la moelle épinière, un patient paraplégique a retrouvé un contrôle naturel du mouvement de ses jambes. Cette nouvelle prouesse d'une équipe du CHUV et de l'EPFL est publiée dans la revue «Nature».
Publié: 24.05.2023 à 17:30 heures
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Gert-Jan, patient néerlandais âgé de 40 ans, entouré des professeurs Grégoire Courtine et Jocelyne Bloch.
Photo: keystone-sda.ch

C'est une première mondiale qui fait grand bruit et ouvre de nouvelles perspectives pour les personnes paralysées. «Nous avons utilisé une interface cerveau-machine qui transforme la pensée en action», résume Grégoire Courtine, professeur en neurosciences à l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), et à l'Université de Lausanne (UNIL).

Le patient, âgé de 40 ans, est atteint d'une lésion de la moelle épinière au niveau des vertèbres cervicales à la suite d'un accident de vélo qui l'a laissé paraplégique il y a douze ans. Il a pu retrouver un contrôle naturel du mouvement de ses jambes paralysées, ce qui lui permet de se tenir debout, marcher à l'aide de béquilles ou d'un déambulateur, et même monter un escalier.

Devant la presse à Lausanne, le patient a indiqué pouvoir marcher 200 mètres et se tenir debout sans l'aide des mains pendant deux à trois minutes. Il a ajouté avoir réalisé la semaine dernière des travaux de peinture dans sa maison sans l'aide de personne.

Deux implants électroniques

Deux types d’implants électroniques ont été nécessaires. «L'un est installé au-dessus de la région du cerveau qui est responsable des mouvements des jambes», explique la neurochirurgienne Jocelyne Bloch, également professeure au CHUV, à l’UNIL et à l’EPFL. Ce dispositif comportant 64 électrodes permet de décoder les signaux électriques générés par le cerveau lorsque le sujet pense à marcher.

Parallèlement, un neurostimulateur connecté à seize électrodes a été positionné sur la région de la moelle épinière qui contrôle le mouvement des jambes. Grâce à des algorithmes basés sur des méthodes d’intelligence artificielle adaptatives, les intentions de mouvement sont décodées en temps réel.

Ces intentions sont ensuite converties en séquences de stimulation électrique de la moelle épinière, qui à leur tour activent les muscles des jambes pour réaliser le mouvement désiré. Ce pont numérique opère en mode sans fil, permettant ainsi au patient de se déplacer en toute autonomie.

Récupération de fonctions neurologiques

En s’entrainant assidument à marcher, le patient a progressivement récupéré des fonctions neurologiques qu’il avait perdues depuis son accident. Les scientifiques ont pu quantifier des améliorations remarquables de ses capacités sensorielles et motrices, même lorsque le pont numérique était désactivé. Cela laisse supposer que des nouvelles connexions nerveuses se sont formées.

L'équipe lausannoise devenue célèbre pour avoir fait remarcher des rats, puis des humains paraplégiques, travaille depuis plusieurs années sur ce sujet et améliore sans cesse la technologie utilisée. En l'occurrence, le dispositif implanté dans la moelle épinière date de cinq ans et a été testé sur plusieurs patients. En revanche, la commande par la pensée est nouvelle.

L'interface a dû être calibrée avec l'aide du patient qui a été invité à se représenter des mouvements, ceux de la jambe par exemple. L'algorithme a ensuite été entraîné à traduire les signaux cérébraux correspondants en impulsions à l'intention des motoneurones.

«Une nouvelle ère»

Selon Jocelyne Bloch et Grégoire Courtine, une stratégie identique pourrait être utilisée pour restaurer la fonction des bras et des mains. Elle pourrait aussi s’appliquer à d’autres indications cliniques, telle que la paralysie provoquée par un accident vasculaire cérébral.

Ce concept d'interface numérique entre le cerveau et la moelle épinière ouvre «une nouvelle ère dans le traitement des déficits moteurs», écrivent les auteurs. Des chercheurs de l'Université et du CHU Grenoble Alpes (F), avec le centre de recherche Clinatec, ont également contribué à ces travaux. Un soutien du Conseil européen de l'innovation a été obtenu en vue d'une commercialisation.

(ATS)

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