Pour les cryptoenthousiastes, c’est un choc. Surtout si l’on s’est décidé à entrer tard dans les cryptomonnaies. Depuis leur pic de novembre, les bitcoins et autres cryptomonnaies connaissent une véritable dégringolade, la plus vertigineuse de leur histoire. Si vous avez acheté pour 1000 dollars de bitcoins en novembre, au sommet de la bulle spéculative, il ne vous en reste plus que 360 aujourd’hui. Soit une perte de 65% en 7 mois. Et si vous avez acheté du bitcoin à n’importe quel moment depuis un an et demi, votre compte est actuellement dans le rouge.
Bitcoin: une chute de 65% depuis le sommet de novembre
Si c’est pour ethereum, l’autre principale cryptomonnaie, que vous avez opté en novembre dernier, votre compte en dollars affiche 74% de baisse. Et ces deux, ce sont les cryptomonnaies de loin les plus stables. Toutes les autres essuient des pertes similaires ou supérieures sur la période, ce qu’on peut aisément vérifier sur le site coinmarketcap. Globalement, la valeur de marché des cryptos a été divisée par trois depuis novembre, passant d’un pic de 3000 milliards à moins de 1000 milliards aujourd’hui.
Pour apporter un peu de contexte, le graphique ci-dessus montre bien que le cours du bitcoin reste largement au-dessus des niveaux de mars 2020. Celles et ceux qui, en pleine pandémie, avaient eu l’idée d’investir 1000 dollars en bitcoins autour du 13 mars 2020, ont encore aujourd’hui 4600 dollars sur leur compte, malgré l’effondrement récent.
Quant aux précurseurs qui auraient déposé 1000 dollars en bitcoins fin 2015 et n’y auraient plus touché, ils auraient 70’000 dollars aujourd’hui (gain de +6900%), de quoi compléter leur 3e pilier à peu de frais.
Bitcoin: +6900% entre fin novembre 2015 et ce 14 juin 2022
Mais pour les nouveaux venus, la déception est immense. Surtout au vu des promesses vertigineuses de gains faciles qu’ont offertes certaines cryptomonnaies ultra-spéculatives comme dogecoin, qui grâce à l’intérêt manifesté par Elon Musk l’an dernier, s’était apprécié de 17’000% entre décembre et mai 2021. Avant de s’effondrer bien sûr. Il vous aurait donc fallu vendre le 7 mai pour décrocher le pactole.
Dogecoin, une cryptomonnaie gag qui a fait 17’000% entre le 18 décembre et le 7 mai 2021
Il y a également d’autres cryptos encore plus bidon, appelées «shitcoins» qui, si vous rentriez et sortiez au bon moment, vous offraient des hausses de 300’000%. Il est évidemment difficile de vendre au bon moment, car les cryptoinfluenceurs qui pompent ces projets sur Telegram et YouTube ne vous avertissent jamais du moment où eux vont (discrètement) vendre avant de filer par une porte dérobée… fonder un autre shitcoin.
Mais surtout, les investisseurs ont été éblouis par quelques parcours légendaires, notamment le club des 20 cryptomilliardaires apparus ces dernières années, qui inclut les fondateurs des principales cryptobourses comme Binance et Coinbase, qui ont désormais leur propre liste dédiée dans le magazine Forbes.
Sauf que la fête est finie: même ces multimilliardaires ont vu leur fortune littéralement fondre ces dernières semaines. Désormais, on voit triompher les cryptosceptiques comme Christine Lagarde, Bill Gates et Warren Buffet, pour lesquels «les cryptomonnaies n’ont aucune valeur». Alors qu’est-ce qui a pu si mal tourner? Comment expliquer cette débâcle qui semble remettre en cause le concept même de cryptomonnaie? Six facteurs clés sont en cause.
1. Parce qu’il y a moins d’argent facile
C’est la cause principale, la mère de toutes les causes. Le cours du bitcoin et des autres coins a été porté, depuis 2020, par l’argent spéculatif emprunté à très bon marché. Ce placement a profité du soutien massif des banques centrales aux marchés financiers et des taux d’intérêt 0%. Or depuis que l’inflation s’est manifestée dans l’après-Covid, et qu’elle s’est aggravée avec la guerre en Ukraine en février, les banques centrales ont annoncé qu’elles allaient relever les taux d’intérêt et resserrer les conditions monétaires. Ce qui a soudain rendu la spéculation nettement plus risquée. Le crédit devient déjà plus cher sur les marchés financiers, et les spéculateurs se «dérisquent» (comme dit le jargon), à savoir se désendettent et se retirent des placements les plus volatils comme les cryptomonnaies. Chacun des derniers cycles boursiers l’a montré: les cryptomonnaies montent plus que les actions dans les phases haussières, mais elles chutent aussi davantage dans les phases baissières. Bref, c’est elles que les spéculateurs vendent en premier.
2. Parce qu’il y a eu quelques grosses débâcles
L’univers des cryptos a donné des sueurs froides aux investisseurs. Vous avez certainement entendu parler de la chute, en mai, du stablecoin TerraUSD, un projet promu comme particulièrement sûr. Cette cryptomonnaie très bien établie qui était censée être arrimée au dollar, a vu sa valeur plonger. En cause, l’engouement excessif des spéculateurs pour le stockage de ce coin, qui leur rapportait des rendements de 20%. La débâcle d’un projet présenté comme très sérieux a balayé bien des certitudes. Puis ce mois de juin, on assiste aux déboires de Celsius Network, acteur central du prêt de cryptomonnaies, qui fait à nouveau paniquer les investisseurs. En difficulté, la plateforme a provoqué la panique en interdisant mi-juin à ses clients de retirer l’argent de leur propre compte, avec cette annonce sur Twitter:
Cela rappelle bien des situations de 2008 lors desquelles des hedge funds avaient bloqué les remboursements des clients. Les cryptomonnaies apparaissent alors comme les hedge funds d’hier repackagés en version numérique.
3. Parce que les Russes ont vendu
Initialement, les Russes ont été de très gros investisseurs en cryptomonnaies. Mais avec la guerre, il s’est vite avéré que les sanctions allaient aussi s’appliquer aux cryptoactifs. Cela leur a ôté toute vertu de valeur refuge. La Suisse a par exemple annoncé que les cryptomonnaies ne permettraient pas d’échapper pas aux gels d’avoirs russes déposés en Suisse. C’est pourquoi, comme l’a rapporté Reuters en mars, des ventes massives de cryptomonnaies par des Russes ont eu lieu via des courtiers suisses. Certains clients russes auraient demandé de liquider des comptes de cryptomonnaies à 2 milliards, voire à 6 milliards, d’après Reuters. On parle donc de comptes gigantesques qui ont le potentiel de secouer fortement le marché. L’argent ainsi libéré est allé se réfugier notamment à Dubaï, dans de l’immobilier de luxe, du cash traditionnel et d’autres valeurs refuge.
4. Parce que plusieurs mythes fondateurs sont tombés
Le marketing des cryptomonnaies les présentait comme différentes en tout point du marché des actions. Or il n’en est rien. On a pensé que le bitcoin était indépendant des fluctuations des indices Nasdaq ou S&P: mais il chute en même temps que les actions, et de manière plus amplifiée. On a pensé que la détention de cryptomonnaies était inaliénable, mais les cryptobourses peuvent être piratées. Ce n’est pas tout. La cryptobourse Coinbase a averti qu’elle peut saisir vos avoirs si elle a besoin de se recapitaliser, exactement comme les banques chypriotes avaient ponctionné les comptes de leurs clients en 2013. Et comme mentionné, Celsius Network a bloqué les remboursements de ses clients ces derniers jours.
On a pensé que le risque systémique n’existait pas chez les cryptos, mais il se manifeste en ce moment même dans la finance décentralisée (DeFi) exactement comme dans l’univers des produits dérivés classiques. On a pensé que le bitcoin était de «l’or digital». Mais non. Tous les procédés de spéculation vus lors du krach des subprimes sont actuellement dévoilés dans le monde des cryptos: crise de liquidités, réhypothécation, concentration extrême… Les cryptos ont prouvé qu’elles n’ont rien d’une valeur refuge comme l’or ou l’immobilier. Enfin, on a pensé que les gouvernements ne pouvaient rien contre les cryptos; mais on a vu combien elles dépendent d’une connexion web. Quand des pays (Iran, Kazakhstan) coupent l’internet national, transférer des cryptos devient impossible depuis ces pays, surtout en l’absence de satellites privés. Bref, la sécurité, la décentralisation et l’inviolabilité associées aux cryptomonnaies étaient surestimées.
5. Parce que les banques centrales contre-attaquent
Depuis deux à trois ans, chaque grande banque centrale est en train de développer sa propre cryptomonnaie nationale ou y réfléchit. C’est une forte concurrence pour les cryptomonnaies. En Chine, le cryptoyuan, par exemple, ou yuan digital, a déjà été lancé. Il offre tous les avantages des cryptomonnaies, sans leurs risques: stockage sur smartphone, transfert de pair à pair, impossibilité de falsifier, signature électronique, système de stockage crypté. Mais seules les cryptomonnaies non gouvernementales risquent l’effondrement, les fraudes et piratages, et les interdictions par des gouvernements. Bref, la fameuse «adoption de masse» tant attendue par les adeptes des cryptos est en train d’arriver… pour le cryptoyuan.
6. Parce que les écolos ne sont plus de la partie
Depuis une année, une des grandes désillusions de certains adeptes des cryptomonnaies a été le bilan écologique catastrophique de ces monnaies numériques. Il y a bien eu des tentatives de greenwashing, mais l’évidence est là: le minage de bitcoins consomme actuellement autant d’énergie qu’un pays entier, comme les Pays-Bas. Les émissions de carbone pour produire 1 milliard de dollars de bitcoin sont plus élevées que pour n’importe quelle activité humaine. 1 milliard de bitcoins achetés, c’est l’équivalent de 1,2 million de voitures conduites pendant une année, ou de 12,7 millions de barils de pétrole. Cela mène certains investisseurs à attendre des alternatives de cryptomonnaies vertes.
Même si – soyons réalistes – la vaste majorité de ceux qui sortent en ce moment des cryptomonnaies le fait sans aucune raison écologique, mais seulement par peur de perdre tout ce qui leur reste.