M16: voici le nom de code d’une des souris utilisées dans le laboratoire de Zurich. L’animal n’aime visiblement pas le clic de l’appareil photo: ses moustaches tremblent et il court nerveusement dans tous les sens. La souris M16 ressemble à une souris domestique trop petite… À ceci près qu’elle a une vitre vissée sur la tête à la place d’une partie de son crâne. Ce qui se cache en dessous intéresse les chercheurs de l’Institut de pharmacologie et de toxicologie de l’Université de Zurich. Ils veulent en savoir plus sur le métabolisme énergétique du cerveau.
«Nous en savons encore trop peu à ce sujet», déclare Bruno Weber. Ce neuroscientifique et professeur d’imagerie expérimentale dirige un groupe qui étudie le cerveau. Il explique l’importance de connaître le fonctionnement du métabolisme énergétique avec l’exemple de la maladie d’Alzheimer: «L’un des premiers signes de la maladie d’Alzheimer est que le métabolisme du sucre dans le cerveau ne s’opère plus correctement – mais on ne sait pas encore pourquoi.»
L’implant de mesure est un disque en verre inséré chirurgicalement sur les souris. C’est très similaire à ce qui se fait chez les humains. C’est une chirurgie «en miniature», avec des normes comparables à celle des opérations sur les humains pour l’anesthésie et la gestion de la douleur. M. Weber montre un ensemble d’équipements dans le laboratoire: «Certains d’entre eux proviennent des salles d’opération de l’hôpital universitaire.»
À chaque souris son humain
Weber ne touche pas les souris lui-même, car ce ne sont pas «ses» souris. Les responsabilités sont strictement réglementées: ce sont toujours les mêmes personnes qui doivent s’occuper des mêmes souris. L’étudiante diplômée qui travaille avec la souris soulève brièvement l’animal de sa cage, ce que M16 supporte.
«Je m’assure de ne pas porter de parfum et d’utiliser les mêmes produits d’hygiène», explique-t-elle. En effet, exposer les souris à trop d’odeurs différentes ou à de nouvelles senteurs peut leur provoquer du stress. Ces précautions ne servent pas seulement à préserver l’animal. Elles ont également un impact sur la recherche car les animaux stressés se comportent différemment et cela peut fausser les observations.
Aujourd’hui, lundi, le Conseil des États examine l’initiative visant à interdire les expériences sur les animaux. Les initiateurs du projet avancent que les expériences sur les animaux sont moralement répréhensibles et que l’on peut acquérir des connaissances et faire avancer la recherche sans avoir recours aux expériences sur les animaux.
M. Weber n’est pas du tout d’accord avec cette dernière affirmation: son équipe observe notamment la circulation du sang dans les plus petits vaisseaux sanguins, ce qui n’est pas possible sans un cœur qui pompe le sang et donc un animal vivant. C’est pourquoi l’expérimentation animale est irremplaçable pour la recherche selon lui.
Des règles strictes
Il est peu probable que l’initiative aboutisse. Le Conseil fédéral et le Conseil national ont déjà recommandé son rejet, et même certaines franges du mouvement de protection des animaux ont exprimé leur opposition. Les exigences de l’initiative sont importantes: non seulement les expériences sur les animaux seraient automatiquement définies comme des actes de cruauté punissables envers les animaux, mais l’expérimentation sur les humains serait également largement interdite.
Pour la recherche, l’initiative serait «un désastre», selon M. Weber. Les expériences sur les animaux sont déjà très strictement réglementées aujourd’hui. «Chaque série d’expériences doit être soigneusement documentée et une autorisation n’est accordée que si la balance des intérêts entre la charge sur les animaux et le gain de connaissances est bonne», précise-t-il. Plus l’intervention est grave, plus les conditions sont strictes.
Dans la plupart des cas, ces expériences sur les animaux sont réalisées sur des souris, les autres espèces sont relativement rares. «Les souris sont faciles à garder et à élever», déclare M. Weber. Il nous montre ensuite la pièce dans laquelle vivent les souris: dans des boîtes soigneusement empilées, elles vont et viennent en courant. Seule la lumière rouge est autorisée à briller ici. Pour les souris, c’est actuellement la nuit car elles ne perçoivent pas la lumière rouge.
Traquer les cellules grâce à la lumière
La lumière est une composante cruciale des expériences. C’est elle qui permet de mettre en évidence les anomalies de fonctionnement du métabolisme du cerveau grâce à la vitre implantée dans le crâne des souris. Pour leurs observations les chercheurs étudient soit des souris avec une prédisposition génétique à la maladie d’Alzheimer, soit des souris chez qui ils ont provoqué des accidents vasculaires cérébraux.
Ils suivent ensuite l’évolution du métabolisme du cerveau sur plusieurs mois. Ils injectent par exemple du sucre dans les souris afin de suivre son absorption et sa distribution dans les différentes cellules du cerveau. Un microscope à fluorescence permet de suivre le chemin du sucre dans le corps et le cerveau des animaux. Les chercheurs affirment que les animaux ne sentiraient rien.
Bien sûr, les différences entre les souris et les humains sont considérables, explique M. Weber. Mais: «Les souris ont un cortex cérébral dont la structure est très similaire à celle des humains», dit-il. Les cellules sont similaires et sont également «câblées» de manière comparable. Cela signifie que nous pouvons apprendre beaucoup d’elles. Et si les accidents vasculaires cérébraux ou les maladies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer étaient mieux compris, il serait possible d’envisager leur traitement.