La place financière - et le ministre des Finances - espère que la suppression de l'impôt anticipé stimulera l'activité commerciale au point que les caisses de l'Etat pourront compter sur davantage de recettes fiscales. Est-ce réaliste?
C'est une thèse assez discutable. L'étude sur laquelle s'appuie cette promesse se base sur des entretiens avec des experts et des estimations subjectives. Elle part simplement de l'hypothèse d'une certaine stimulation du produit intérieur brut - sans démontrer de manière transparente pourquoi une suppression de l'impôt anticipé stimulerait autant les affaires.
Mais c'est possible?
C'est théoriquement possible, bien sûr. Mais en règle générale, des impôts plus bas entraînent déjà une baisse des recettes fiscales. L'analyse des partisans repose sur des bases fragiles. Ils partent par exemple du principe que la Suisse peut attirer la moitié de ce type de placements en provenance du Luxembourg. Pourquoi la moitié? Pourquoi pas la totalité ou seulement 10%? Ainsi, les partisans ne fournissent pas de preuve concluante que cette suppression stimulerait l'économie au point de compenser les pertes fiscales. Nous avons un point de comparaison: la suppression du droit de timbre d'émission sur les obligations en 2012. A l'époque aussi, on disait que cela «stimulerait sans aucun doute» le marché des capitaux et générerait ainsi des impôts supplémentaires sur les bénéfices et les revenus.
Et c'est le contraire qui s'est produit?
Exactement. Le volume des émissions a baissé de 18%. Ce qui peut aussi être dû à d'autres facteurs. Mais il faudrait justement l'étudier soigneusement.
Pourtant si un impôt disparaît, l'attractivité du produit augmente.
Bien sûr. Mais on pourrait aussi dire: baissons la TVA sur les yaourts, car cela stimule le commerce des yaourts! La question décisive est toujours la suivante: quelle est l'ampleur de tels effets? Et aucune réponse sérieuse n'a été apportée à cette question dans le cas de l'impôt anticipé.
Les partisans disent aussi que l'impôt anticipé vaut la peine d'être aboli, parce qu'il devient ainsi moins cher de se procurer des capitaux étrangers par le biais d'obligations. Pouvez-vous expliquer cela?
La logique est la suivante: comme les obligations suisses deviennent plus attrayantes, la demande augmente et donc aussi le prix. Les investisseurs étrangers sont prêts à payer plus cher. Et donc, l'emprunt devient plus avantageux pour les débiteurs. Tout est vrai - mais là encore, il s'agit de l'ampleur de l'effet, et il n'existe aucune estimation à ce sujet. L'affirmation selon laquelle il est possible d'économiser jusqu'à 200 millions de frais d'intérêts est un scénario, rien de plus. J'aimerais que l'on fasse preuve d'un peu plus de prudence.
En d'autres termes, les partisans argumentent avec des spéculations parce qu'ils n'ont pas de meilleurs arguments?
C'est du moins le soupçon qui plane. Celui qui veut abolir l'impôt anticipé devrait avoir des arguments mieux étayés. D'autant plus que, du point de vue suisse, l'impôt anticipé sur les obligations est un impôt attractif. Il est en effet presque exclusivement payé par des investisseurs étrangers et non par des Suisses et Suissesses.
Face à la hausse des taux d'intérêt, les opposants de gauche mettent en garde contre une baisse des recettes fiscales de 800 millions de francs. Est-ce un calcul justifié?
Non, cela me semble également exagéré. Cette estimation se base sur un niveau de taux d'intérêt de 4%. Cela n'est pas non plus exclu, mais il n'y a actuellement personne pour prédire un tel niveau de taux d'intérêt. Si les partisans exagèrent les effets dynamiques, les opposants les ignorent complètement. Une acceptation du projet devrait tout à fait créer de nouveaux emplois bien rémunérés et donc des recettes supplémentaires d'impôt sur le revenu. La question cruciale est: combien? Cela suffira-t-il à compenser le manque à gagner?
La gauche affirme également qu'avec cette abolition, la Suisse crée de nouvelles possibilités d'évasion fiscale. Est-ce vrai?
Il deviendra en effet plus intéressant de ne pas déclarer ses avoirs en obligations - et donc d'éluder l'impôt. Ce pourquoi le Conseil fédéral voulait garantir l'honnêteté fiscale par une obligation de déclaration. Le Parlement a rejeté cette idée. Mais ici aussi: L'ampleur de cet effet n'est pas claire. Et cette diminution des recettes n'est pas non plus prise en compte dans les calculs des partisans.
(Adaptation par Nora Foti)