Une solidarité à sens unique
L'économie appelle les ménages à économiser l'énergie, mais ne va pas les aider face à l'inflation

Les représentants de l'économie - Swissmem, l'Union patronale suisse et Economiesuisse en tête - demandent à la population d'économiser l'énergie pour éviter une pénurie. Mais ils ne sont pas prêts à aider les ménages privés à faire face au renchérissement de la vie.
Publié: 05.09.2022 à 06:00 heures
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Dernière mise à jour: 05.09.2022 à 13:10 heures
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Cette semaine, le directeur de Swissmem, Stefan Brupbacher, a lancé un appel à l'ensemble de la population suisse pour qu'elle économise dès maintenant l'énergie afin d'éviter une pénurie d'électricité et de gaz.
Photo: AFP
Sven Zaugg

Au fond, Stefan Brupbacher et Monika Rühl ont le même métier – ils travaillent comme représentants d’intérêts: il est directeur de Swissmem, l’association de l’industrie des machines et de l’électronique, elle est directrice d’Economiesuisse, l’association faîtière de l’économie. Ensemble, ils ont plaidé auprès du Conseil fédéral pour que l’économie ne soit pas la seule à faire des efforts d'économie d'électricité, mais aussi les ménages privés.

Mercredi, le gouvernement fédéral les a invités à une conférence de presse à Berne. Stefan Brupbacher en a profité pour lancer un appel à l'ensemble de la population pour qu'elle économise dès maintenant l'énergie afin d'éviter une pénurie d’électricité et de gaz. De son côté, Monika Rühl a souligné que la paix sociale en Suisse pourrait être menacée si l’énergie venait à manquer.

Se serrer la ceinture, enfiler des pulls – la directive est claire. Et c’est ainsi que des températures plus basses pourraient bientôt régner dans les foyers - par solidarité vis-à-vis de notre économie.

Des hausses de prix «supportables» pour les ménages?

Dans le même temps, la vie quotidienne devient de plus en plus chère: en août, les prix à la consommation étaient supérieurs de 3,5% à ceux d’il y a un an, soit le niveau le plus élevé depuis le début des années 1990.

À cela s’ajoute la hausse des primes d’assurance maladie: selon une étude de l’entreprise de conseil Accenture, il faut s’attendre dans certains cantons à une augmentation des primes allant jusqu'à 10%!

Et puis il y a la hausse des charges locatives. L’association des locataires prévoit des dépenses supplémentaires pouvant atteindre 1500 francs – par an et par ménage.

Mais alors que la Confédération et l’économie demandent aux habitants du pays de faire preuve de solidarité, ils se montrent peu solidaires de leur côté. Le gouvernement du pays estime que les hausses de prix enregistrées jusqu’à présent sont «supportables» pour les ménages.

Les associations patronales pointées du doigt

Sur le front des salaires également, une lutte acharnée, comme la Suisse n'en a plus connu depuis des décennies, se profile à l'horizon: les syndicats réclament 4 à 5% d’augmentation de salaire.

Pierre-Yves Maillard a déclaré vendredi devant les médias: «Au vu de l’augmentation effarante des coûts, on devrait s’attendre, dans un pays où les associations patronales s’efforcent soi-disant d’assurer la concorde nationale et la paix sociale, à ce qu’au moins la compensation générale du renchérissement ne soit même pas discutée».

Les employeurs rétorquent par la crainte d’une «période d’incertitude économique». Un argument de longue tradition: crise financière, franc fort, pandémie de coronavirus, crise énergétique. Il n'y a pas une année sans crise.

«Une augmentation générale des salaires est irréaliste»

Le président de l'Union patronale suisse, Valentin Vogt, déclare: «Je veux éviter que les travailleurs ne se fassent de faux espoirs.» En raison de la pénurie de personnel qualifié dans la restauration, l’informatique et d’autres branches, il est tout à fait possible que les salaires y augmentent plus que la moyenne. Mais, «une augmentation générale des salaires, comme le demande le syndicat, n’est pas réaliste», ajoute-il. Renchérissement ou pas, augmentation des coûts fixes ou pas.

Ce ne sont pas de bonnes nouvelles, surtout pour les près de 160'000 personnes qui sont considérées en Suisse comme des «working poor»: ces employés qui, même en travaillant dur, ne peuvent plus couvrir leurs charges fixes.

Mais la situation devient également très tendue pour les ménages dont le revenu se situe juste au-dessus du seuil de pauvreté de 4000 francs. Selon l’Office fédéral de la statistique, 722'000 personnes sont considérées en Suisse comme ayant un faible revenu. La plupart d’entre elles vivent dans des villes, c’est-à-dire là où l’on se chauffe principalement au gaz – et où les prix explosent.

Ce n'est pas vrai, selon cet expert de l'EPFZ

Mais l’économie suisse ne peut-elle vraiment pas se permettre d’augmenter les salaires?

«Si», répond Michael Siegenthaler, expert du marché du travail au Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l’EPFZ: «Les bénéfices et le chiffre d’affaires de nombreuses entreprises ont augmenté au premier semestre. Il y a pratiquement le plein emploi, et certaines branches recherchent désespérément du personnel qualifié.» Le pouvoir de négociation des travailleurs qualifiés est particulièrement important cette année, poursuit l'expert.

Mais la question de savoir si les travailleurs peuvent effectivement s’attendre à une hausse significative des salaires dépend fortement de la branche concernée. Selon les enquêtes du KOF auprès des entreprises, ce sont surtout les employés de l’hôtellerie-restauration qui peuvent s’attendre à une nette augmentation de salaire (plus 4,5%). L’industrie manufacturière s’attend à une augmentation de 2,2% lors des prochaines négociations salariales, la construction à une augmentation de 2,3 points de pourcentage et le commerce de détail à une augmentation de 1,6 point de pourcentage.

La paix sociale en Suisse bientôt menacée?

Que reste-t-il? C’est très simple: si les entreprises continuent à rogner sur les revendications salariales des employés, si les prix continuent à augmenter de manière incontrôlée et si, de plus, une situation de pénurie s’installe effectivement, la paix sociale en Suisse invoquée par la présidente d’Economiesuisse pourrait bien être menacée...

(Adaptation par Quentin Durig)


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