Une société étrangère visée
Enquête pour blanchiment d'argent via des transactions immobilières

Le ministère public zurichois examine de près les affaires d'une société immobilière soupçonnée non seulement d'avoir violé la Lex Koller, mais aussi d'avoir blanchi de l'argent.
Publié: 15.07.2021 à 06:05 heures
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Dernière mise à jour: 15.07.2021 à 17:17 heures
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Les riches étrangers sont particulièrement bien accueillis dans les environs de la station huppée de Gstaad, dans l'Oberland bernois.
Photo: Shutterstock
Pascal Tischhauser, Jocelyn Daloz (adaptation)

Que de riches étrangers s’arrachent des biens immobiliers en Suisse, en dépit de la lex Koller qui interdit cette pratique, n’est, en soi, pas une surprise. Les plus fortunés de ce monde sont tout particulièrement friands de villas dans l’Oberland bernois, notamment autour de la ville thermale de Gstaad, tandis que le gouvernement bernois n’y regarde pas de trop près tant que les rentrées fiscales sont au rendez-vous, comme le révélait Blick en mai.

Ce qui est plus surprenant, ce sont certaines sources de financement. Il n’est en effet pas rare que les investissements fonciers provenant de l’étranger ne cachent de vastes opérations de blanchiment d’argent. C’est du moins ce qui ressort d’un cas flagrant survenu à Zurich, sur lequel le ministère public se penche actuellement.

Cinq accusés

Au centre de l’affaire, il y a l’Allemande, Lilly F.*, jeune femme de 26 ans qui aurait fréquenté une école hôtelière en Suisse. A tout juste 20 ans, elle achète une société immobilière, SwissHüsli*, prétendument pour 5000 francs, le 3 septembre 2015. Mais elle l’achète rétroactivement au mois de septembre de l’année précédente. Durant cette année-là, cette entreprise était une «coquille vide», selon la plainte pénale déposée par le Conseil de district de Zurich contre cinq personnes impliquées. Le ministère public de Zurich confirme avoir reçu la plainte, que Blick a pu consulter.

En septembre 2014, SwissHüsli a réalisé des transactions immobilières à hauteur de plusieurs millions de francs, avec de l’argent provenant probablement du père de Lilly F., qui vit à l’étranger, ce qui représenterait une tentative de contourner la Lex Koller interdisant aux étrangers sans résidence en Suisse d’acheter du terrain. Le père de Lilly, un certain Viktor K.* né à Odessa, est le principal suspect dans cette affaire. Il est citoyen allemand depuis longtemps et a même germanisé son nom de famille. Il est actif à Berlin dans le secteur des jeux d’argent, mais possède également une adresse à Monaco.

Un an presque jour pour jour avant que Lilly F.* ne reprenne SwissHüsli à un prix avantageux, elle avait déjà acheté un immeuble zurichois d’une valeur de 5,2 millions de francs ainsi qu’un immeuble en copropriété à Oberwil-Lieli, dans le canton d’Argovie, pour 9,4 millions de francs. Le 21 janvier 2015, elle s’est offert deux autres maisons: une à Dietikon pour 16 millions de francs et une à Zurich-Wiedikon pour 10 millions.

Une fille fêtarde, simple relais de son père

Rien ne semble pourtant destiner Lilly F.* à devenir une magnate immobilière. Les personnes concernées décrivent la jeune femme comme une «fêtarde» qui ne s’intéresse pas au secteur de l’immobilier et qui le connaît encore moins. Elle est accusée d’avoir simplement agi comme une femme de paille et de n’être que formellement la propriétaire de plusieurs sociétés immobilières, signant des contrats pour le compte de son père, qui se cache derrière sa fille et l’entreprise bidon qu’elle possède.

En fin de compte, tout semble appartenir à Viktor K., soupçonné de surcroît de blanchir de l’argent non taxé provenant de jeux d’argent en Allemagne en l’investissant dans l’immobilier suisse via des comptes dans différents pays. Les autres accusés, qui occupaient des postes à responsabilité dans les différentes entreprises impliquées, auraient rendu les transactions immobilières possibles et contribué à dissimuler qui était le propriétaire effectif de ces biens fonciers suisses.

Sociétés offshore au Panama

Selon la plainte pénale, SwissHüsli a dépensé 40,6 millions de francs pour des propriétés en l’espace de cinq mois. Le conseil de district de Zurich argue que l’entreprise ne pouvait pas disposer de cet argent en fonds propres.

Alors d’où venait l’argent était-il canalisé dans cette entreprise bidon? En partie, il est passé par le 16ème étage d’un gratte-ciel au Panama avec une vue imprenable sur l’océan Pacifique, où est inscrite Alpha*, une entreprise offshore au nom du père de Lilly.

10 millions de francs du Panama au Liechtenstein

Environ 10 millions de francs auraient ainsi transité des comptes de l’entreprise Alpha* entre 2014 et 2017 vers les comptes liechtensteinois de la société Property*, liée à SwissHüsli. L’un des accusés apparaît à différents postes de direction dans les deux sociétés. Un autre des accusés est président du conseil d’administration de l’une des sociétés de gestion de fonds impliquées.

Les deux Suisses auraient produit des documents qui ne correspondent pas aux faits. Un autre ressortissant suisse, qui vit à l’étranger, est accusé d’avoir prétendu être l’ayant droit économique de SwissHüsli alors que Lilly avait déjà racheté la société.

Un autre montant de 4,5 millions de francs suisses a été transféré par un prétendu «client» sur les mêmes comptes du Liechtenstein. Property, à son tour, a accordé des prêts importants à SwissHüsli, selon la plainte pénale.

Deux cas présumés de blanchiment d’argent

En outre, un ami polonais de la famille K. a accordé un prêt d’un montant de 1,1 million d’euros. Il a été décomposé en neuf paiements. Les transferts ont été effectués à partir de trois banques différentes en l’espace d’un mois et demi.

Cela a attiré l’attention de la Banque Raiffeisen Rapperswil-Jona, dans le canton de Saint-Gall, un an plus tard. Raiffeisen a donc déposé deux soupçons auprès des autorités compétentes à l’encontre de l’ami polonais et de SwissHüsli, qui avaient tous deux des comptes à la succursale Raiffeisen de Rapperswil. Cette dénonciation a également été confirmée par le ministère public de Zurich.

Lilly F. a accordé elle-même un prêt de 800'000 francs à «son» entreprise SwissHüsli. Enfin, l’entreprise «Property» aurait ensuite accordé un autre prêt de 4,7 millions de francs à une société immobilière de Lucerne.

Cette société est basée à l’adresse même d’Oberwil-Lieli où SwissHüsli possède des résidences.

Une propriété dans le canton de Fribourg

Ces opérations financières complexes auraient eu pour objectif de noyer les soupçons, pense le Conseil de district zurichois. Après les quatre premiers achats de propriétés de SwissHüsli, les conspirateurs auraient craint que leurs manigances ne soient trop apparentes, malgré le fait que Lilly possède un passeport suisse depuis septembre 2018.

Ce qui est certain, c’est que les activités commerciales de SwissHüsli ne sont plus claires à partir de janvier 2015. L’entreprise vend une propriété et en dégage un bénéfice de 300’000 francs, puis liquide celle de Zurich-Wiedikon en 2019 après de précédents investissements de 10 millions. En juillet 2020, c’est la villa luxueuse de Dietikon qui est vendue, pour 16,4 millions.

Entre-temps, SwissHüsli n’achète plus de biens directement, mais s’offre des sociétés immobilières entières, ce qui lui a permis d’acquérir d’autres biens immobiliers à Zurich et à Granges-Paccot dans le canton de Fribourg.

Les autorités judiciaires zurichoises ont informé le procureur général de Berlin, qui s’intéresserait de près aux activités commerciales de Viktor et aux rentrées fiscales que celui-ci aurait fraudées. Tant que l’enquête est en cours, les cinq accusés sont présumés innocents.

*Noms d'emprunt

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