C’est une nouvelle addiction qui serait en train d’émerger dans le monde: la crypto-dépendance, comprenez l’addiction au commerce des cryptomonnaies. Pour Jan Gerber, directeur d’un établissement zurichois chargé de soigner cette affection, cette pathologie est «un problème émergent et réel, en Suisse aussi».
Le quarantenaire dirige Paracelsus Recovery: une clinique cinq étoiles chargée d’accompagner les crypto-dépendants (mais aussi ceux qui souffrent d’autres addictions comme les drogues, le jeu ou le sexe) dans leur rétablissement et guérison. Les patients de cet établissement sont loin d’être de simples citoyens intéressés par le secteur: stars hollywoodiennes, célèbres PDG, membres de la famille royale saoudienne, ou encore oligarques russes déboursent jusqu’à 95’000 francs pour s’offrir une prise en charge complète.
Une équipe d’experts au chevet des clients
Les journalistes ne sont pas autorisés à pénétrer au sein de Paracelsus Recovery. Jan Gerber reçoit donc Blick dans une salle de réunion sur l’Utoquai de Zurich, avec vue sur le lac. Cela fait à peine un an que le propriétaire soigne avec son équipe la crypto-dépendance.
Le séjour de soin à 95’000 francs dans des villas secrètes comprend la prise en charge des clients par une équipe de 20 personnes: thérapeutes, médecins, nutritionnistes, mais aussi cuisiniers, chauffeurs de limousine et instructeurs de yoga se relaient pour aider les crypto-dépendants.
Coup marketing, ou vrai problème de société?
Malgré ce qu’assure le directeur de Paracelsus Recovery, difficile d’affirmer que la crypto-dépendance est un problème qui prend une véritable ampleur en Suisse. S’agirait-il d’un coup de marketing de la part de la clinique de luxe? Ou cette tendance vient-elle d’un problème plus profond et réel dans la société?
«Il n’existe pas de statistiques ou de chiffres validés à ce sujet. Le problème est encore relativement récent», tranche Franziska Eckmann, directrice de la Centrale suisse de coordination et d’information sur les addictions de l’Office fédéral de la santé publique (Infodrog). Dans le système suisse de monitorage des addictions, la dépendance au commerce des cryptomonnaies ne figure encore dans aucune catégorie.
La fondation d’utilité publique Addiction Suisse est, elle aussi, dans le flou: «L’ampleur du problème n’est pas claire, car jusqu’à présent, il n’existe aucune étude qui montrerait combien de personnes ont un rapport problématique avec les cryptomonnaies dans notre pays», détaille la porte-parole Monique Portner-Helfer.
Cliniques bondées aux Etats-Unis
La situation à l’étranger laisse toutefois transparaître une tendance qui pourrait être mal recensée en Suisse. En Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, par exemple, certaines cliniques de crypto-dépendance affichent complet. Les demandes auraient grimpé en flèche cette année, notamment à cause des difficultés rencontrées par le Bitcoin et autres monnaies numériques ces derniers mois.
Sur les réseaux sociaux, les vidéos de jeunes négociant quotidiennement des cryptomonnaies ou donnant des conseils à ce sujet pullulent. D’après une étude de l’université finlandaise de Vaasa, l’obsession pour ce sujet peut avoir des conséquences néfastes. L’équipe de chercheurs a démontré que les crypto-traders sont également plus exposés à la dépendance aux jeux de hasard et à Internet.
Bientôt une maladie reconnue?
Le commerce des cryptomonnaies présente des parallèles avec la dépendance au jeu. Avec la grande volatilité des cours, les gains rapides et importants possibles attirent les joueurs. Sauf que la possibilité de gros gains potentiels ne vient pas sans le risque de perte. Le trading de cryptomonnaies pourrait s’apparenter à une visite au casino pour certains.
La fondation Addiction Suisse confirme ce parallèle: «Par exemple, lorsque les investissements sont effectués à très court terme – comme dans le cas du daytrading (ndlr: faire des allers-retours spéculatifs dans la même journée ou séance) – et que les personnes concernées pensent maîtriser les événements et connaître les cours en très peu de temps», compare la porte-parole d’Infodrog.
Contrairement aux jeux de hasard, l’addiction liée au commerce de cryptomonnaies n’est pas encore une addiction comportementale reconnue et répertoriée dans la classification internationale des maladies. Mais cela pourrait bientôt être le cas: les spécialistes discutent de ce sujet au niveau international. Il serait même temps que cela soit le cas, estime la fondation Addiction Suisse. «Il est probable qu’il y ait déjà des cas correspondants dans des cliniques spécialisées dans les addictions en Suisse», estime Monique Portner-Helfer.
«Cela ne s’arrête jamais»
Pour Jan Gerber, le CEO de Paracelsus Recovery, il n’est pas tout à fait juste de comparer la crypto-dépendance et la dépendance aux jeux d’argent, même s’il y a des similitudes. «En Suisse, nous connaissons les effets des jeux d’argent depuis des décennies. Il existe des campagnes de prévention et des mesures. L’offre pour le commerce des cryptomonnaies est plus subliminale, nuance l’entrepreneur. Il n’y a pas de clôture des transactions. Le cours du bitcoin évolue 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Cela ne s’arrête jamais.»
Pour le quarantenaire, il y a une différence de taille entre les deux addictions: «Ceux qui vont régulièrement au casino savent qu’ils sont exposés au hasard. Négocier des cryptomonnaies donne l’impression d’être plus innocent, car il est possible de s’informer sur les entreprises.»
Jan Gerber est convaincu que la crypto-dépendance n’est pas seulement un problème de riche. «Nous avons pu observer ces dernières années et ces derniers mois un nombre croissant de demandes sur ce thème. Souvent, des personnes qui n’ont certes pas les moyens de s’offrir nos prestations, mais qui demandent tout de même conseil et nous appellent.»
«Les Suisses sont très discrets»
À 95’000 francs le séjour, les personnes qui se font soigner à la clinique Paracelsus Recovery ne paient pas seulement le luxe, mais aussi la discrétion. «Une star hollywoodienne ne peut pas se rendre dans une clinique normale. Le risque d’être reconnu et de se retrouver dans les médias ne ferait qu’aggraver ses problèmes personnels, justifie Jan Gerber. C’est notre créneau. Nous avons une longue expérience et savons exactement comment ces personnes peuvent passer inaperçues.»
Pour lui, Zurich est le site optimal pour sa clinique. «Ici, nous n’avons pas la presse à scandale et les Suisses sont très discrets, précise encore le quarantenaire. Avec des lunettes de soleil et un chapeau, personne ne se fait aborder ici.» Selon lui, il est arrivé une fois qu’un patient mondialement connu aille prendre un café au Bellevue de Zurich. «Quelqu’un lui a demandé un autographe. C’est tout», se souvient Jan Gerber.
Enfin, dernier point offert par Paracelsus Recovery, et pas des moindres: un peu d’humanité. «Pour un citoyen moyen, il est très difficile de ressentir de l’empathie pour cette clientèle, souligne encore Jan Gerber incluant les thérapeutes. Mais nous comprenons la souffrance de ces personnes. Leur douleur est réelle – indépendamment de leur nom de famille ou de l’argent qu’ils gagnent.»