Si le sort de la burqa est depuis peu scellé au niveau fédéral, le burkini, maillot de bain pour femme couvrant le tronc ainsi qu’une grande partie des membres et de la tête, n’a quant à lui pas fini de faire des vagues.
Dernier déluge politique en date: en Ville de Genève, les élus de gauche veulent revenir sur l’interdiction du vêtement dans les bassins, avec un projet lancé en 2020 déjà, qui vise à ce que «les tenues de bain autorisées sur les plages publiques cantonales» soient également «autorisées dans les piscines municipales», lit-on dans le rapport de commission.
Il n’existe aucune loi fédérale ni cantonale réglementant le port du burkini – ses adeptes sont donc libres de l’arborer pour plonger dans le Léman, par exemple. Et ce dans toute la Suisse. Mais il est officiellement interdit dans les piscines genevoises, bien qu’en réalité toléré, expliquent nos confrères de «GHI». C’est-à-dire que l’on ferme les yeux jusqu’à ce qu’un autre usager ne se plaigne. Et chaque commune fait comme bon lui semble. Même régime pour le topless.
Une telle conjoncture est discriminante, jugent les dépositaires du texte. Pour le contexte, le projet de délibération avait déjà été refusé par six «non» (PDC, PLR, MCG et UDC) contre trois «oui» (PS) et cinq abstentions (Verts, EàG et un PS) au mois de juin 2022. Au niveau national, le sujet revient régulièrement sur la table, comme en attestait encore la «RTS» cet été, relevant les inégalités entre les communes: Sion et Nyon tolèrent là où, à Genève, seules une ou deux piscines, comme celle du Lignon, ouvrent leurs portes aux porteuses d’un burkini. Une situation que les dépositaires veulent changer, en revenant à la charge lors des séances du conseil municipal de mardi et mercredi.
«Symbole de l’islamisme»?
Pour la droite, cette nouvelle montée au créneau est indigeste. Bertrand Reich, président du PLR Genève, n’a pas attendu d’être assis à l’Hôtel de Ville pour se fendre d’un commentaire sur Twitter. Pour lui, c’est clair: «[…] Ce symbole de l’islamisme n’a pas à être autorisé.»
Contacté par téléphone, le libéral-radical aborde cette fois les questions de la sécurité et de l’hygiène avant de parler laïcité: «Rien que pour ces raisons, un burkini n’est pas adapté à la baignade. Il y a les germes et les bactéries, c’est bien pour cela que les vêtements longs de manière générale sont interdits dans les piscines. Quant à la sécurité, il est difficile d’utiliser un défibrillateur sur des vêtements mouillés…»
Et de revenir à des préoccupations culturelles, en invoquant le soutien de nos sociétés européennes aux femmes iraniennes qui baissent leur voile ou crient leur colère au risque de leur vie: «Oui, le burkini est un symbole de l’islamisme, et de tout ce qui va avec: notamment de ce qu’il se passe en Iran en ce moment. Il serait paradoxal d’autoriser ce symbole au moment même où, dans ces régions, des femmes se battent et certaines meurent pour combattre l’islamisme, et que nous disons les soutenir, en tant que société, dans leur combat pour la liberté.»
Et le topless, alors? Celles qui désirent se baigner seins nus sont également concernées par le projet, qui dit vouloir, en creux de la problématique du burkini, harmoniser les règlements de baignade dans les piscines et plages genevoises en général. De ce côté-là, le dessein de la gauche ne gêne pas l’élu, qui distingue le topless et le burkini comme deux sujets très différents: «Pour dire le fond de ma pensée, personnellement, je ne comprends pas pourquoi l’on a interdit le topless dans les piscines. Théoriquement, les femmes peuvent se trouver seins nus à quelques mètres d’une piscine… Mais pas dedans. D’autant plus qu’il est désormais admis que se baigner topless n’est pas indécent.»
Toujours les mêmes corps scrutés
Pourquoi la gauche rallume-t-elle – à l’arrivée de la saison froide qui plus est – la mèche de ce vieux débat clivant? Simplement parce que ça ne passe toujours pas, explique l’élue socialiste Olivia Bessat-Gardet, cosignataire du texte: «L’idée est, ni plus ni moins, de permettre à toutes et tous d’accéder aux installations sportives de la ville sans discriminations. Il faut vivre avec son temps.» Et de citer un autre bon élève genevois, en plus de la piscine du Lignon: «La commune de Vernier, notamment, autorise largement diverses longueurs de maillots de bain à la piscine depuis au moins cinq ans. Et personne ne s’en est encore ému.»
Pour la socialiste, l’argumentaire de son compère de droite est peu compréhensible: «On peut brandir les arguments sécuritaires ou hygiéniques, mais il faut se demander ce qui pose réellement problème à la droite, au lieu de se cacher derrière des costumes de bain.»
Encore et toujours une question de genre? Oui, pour l’élue. Elle affirme: «Le burkini est un exemple parmi d'autres. Au final, qui est concerné-e par ces mesures, si ce n’est les femmes? À droite, on convoque l'exemple de l’Iran en disant soutenir les femmes qui se mobilisent pour leur liberté, et dans le même temps, on commente et on réglemente leur manière de s'habiller, ici, au nom de cette même liberté. La question revient toujours à la liberté des femmes de disposer de leur corps comme elles l’entendent, qui est loin d’être acquise.»
Le burkini sera-t-il officiellement admis à Genève l’été prochain? Le topless risque-t-il de passer plus facilement, pour des raisons culturelles? Réponse au Conseil municipal ce soir, à moins que la question ne soit renvoyée à un autre jour, ou à nouveau en commission.