«Un échange entre PwC et la Finma»?
PwC avait émis un avis positif juste avant l'effondrement de Credit Suisse

Vingt-quatre heures seulement avant les premiers entretiens avec l'UBS, le cabinet d'audit PwC avait donné une évaluation positive de la situation de Credit Suisse.
Publié: 08.05.2023 à 07:07 heures
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Dernière mise à jour: 08.05.2023 à 07:09 heures
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Le siège de PricewaterhouseCoopers à Oerlikon, au nord-ouest de Zurich.
Photo: EQ Images
Beat Schmid

L’effondrement de Crédit Suisse (CS) est digne d’un feuilleton à suspense. Et la société d’audit PwC y tiendrait un second rôle sinistre, apprend-on.

PwC – ou PricewaterhouseCoopers – fait partie, avec Deloitte, EY et KPMG, de ce que l’on appelle les Big Four. Il s’agit des quatre plus grandes sociétés d’audit du monde. PwC a son siège à Londres et compte plus de 328’000 collaborateurs dans le monde entier. En Suisse, la société opère depuis Zurich-Oerlikon. Or, l'éthique de cette boîte gigantesque pourrait être remise en question.

Un «going concern»

Que s’est-il passé? Rembobinons. Revenons peu avant l’effondrement de Credit Suisse, en mars dernier. En tant qu’organe de révision externe, PwC a délivré à la grande banque ce qu’on appelle, dans le jargon, le «going concern». Autrement dit, la société d’audit a considéré que la continuité des activités du CS était assurée.

Concrètement, l’expert-comptable a donné son feu vert à la suite des opérations, dans un document accompagné de la publication du rapport annuel et de l’attestation qu’il contient, signée par Matthew Falconer, Global Lead Partner de PwC et expert-comptable responsable du CS, ainsi que par un autre expert du cabinet d'audit.

À la page 4 du rapport d’audit de PwC, on peut lire: «Our conclusions are based on the audit evidence obtained up to the date of our auditor’s report» (ndlr: «Nos conclusions sont basées sur les preuves d’audit obtenues jusqu’à la date de notre rapport d’audit», en français).

Une date critique

Le principal problème? La date de signature de ce rapport d’audit. Il s’agit du mardi 14 mars. Or, un jour plus tard seulement, le mercredi après-midi, une première rencontre sur la situation difficile de Credit Suisse a eu lieu entre des représentants du gouvernement suisse, de la Banque nationale suisse (BNS) et de la Finma, et Colm Kelleher, le président de l’UBS.

C’est ce qui ressort d’un document publié cette semaine par l'UBS à l’intention de l’autorité américaine de surveillance des marchés boursiers. Lors de cette rencontre, il a été convenu que des «mesures décisives» devaient être prises concernant CS d’ici à «la fin du week-end».

Ce mercredi soir, la BNS et la Finma ont en outre annoncé, dans une déclaration commune, que la BNS mettrait des liquidités à la disposition de CS «en cas de besoin». Mais dans la nuit de mercredi à jeudi, c’était déjà le cas: à 01h49 précises, la banque a envoyé un communiqué indiquant qu’elle avait l’intention de retirer jusqu’à 50 milliards de francs de liquidités d’urgence de la Banque nationale.

«PwC aurait dû refuser de certifier»

Est-il possible que les affaires aient encore roulé pour le mieux ce 14 mars 2023, jour où PwC a signé ce document? L’experte suisse en gouvernance Monika Roth a beaucoup de mal à le croire. Elle est formelle: «PwC devait avoir vu le 14 mars que la banque ne pouvait plus être sauvée», assène-t-elle. La boîte d’audit aurait dû refuser l’attestation ou menacer de renoncer à son mandat, assène-t-elle.

Alors pourquoi a-t-elle donné son assentiment? Pour Monika Roth, c’est bien clair: il s’agit d’un indice fort qu’il pourrait y avoir eu «un échange entre PwC et la Finma».

Autre point intéressant: dans la déclaration commune avec la BNS, la Finma a confirmé que «Credit Suisse remplit les exigences particulières en matière de capital et de liquidités pour les banques d’importance systémique».

Une grande dépendance

Il semblerait pourtant que les déclarations de la Finma et l’attestation de PwC n’avaient aucune valeur. Qu’en dit la spécialiste? «Je ne suis pas plus étonnée que PwC ait donné son avis peu avant l’effondrement», affirme l’experte bâloise. Cela montre qu’il existe de «grandes interdépendances» entre la révision externe et une grande banque, poursuit-elle.

«Le volume des mandats représente des dizaines de millions de francs, soulève-t-elle. Ce qui incite faussement à prendre des gants avec le client. C’est ce qu’on appelle tout simplement un conflit d’intérêts.» Pour l’année 2022, PwC a reçu, selon son rapport annuel, 78 millions de francs pour des prestations de contrôle.

Lorsqu’il s’agit d’une telle somme d’argent, il est compréhensible que les experts-comptables ne jouent pas dans la même cour. «On voit que les grands cabinets d’audit peuvent tout à fait se montrer sûrs d’eux lorsqu’il s’agit de mandats plus petits et moins lucratifs, avance Monika Roth. Ils n’hésitent pas à se montrer insistants auprès du conseil d’administration.» Elle s’engage en outre pour un changement de système: «Ce n’est pas la banque elle-même qui devrait engager l’expert-comptable, mais la Finma!»

Dans les faits, il est difficile de déterminer si PwC a réellement fauté. Seuls les actionnaires lésés pourraient examiner le rôle de l’organe de révision, par exemple par le biais d’une enquête spéciale, explique le professeur de droit économique bernois Peter V. Kunz. «Mais s’il n’y a plus d’assemblée générale de CS à l’avenir, ce qui est probable, rien ne pourra se passer sur ce point», regrette-t-il.

Peter V. Kunz affirme qu’en vertu du droit des obligations, une action en responsabilité pour révision serait «certes envisageable». Mais il estime qu’une telle action n’aurait guère de chance réaliste de succès. «En général, les compétences et les obligations de contrôle des organes de révision sont un peu surestimées», évalue le juriste.

*Le journaliste Beat Schmid (54 ans) écrit dans le SonntagsBlick sur des sujets financiers. Il est l’éditeur du média en ligne tippinpoint.ch

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