L'invasion russe en Ukraine remue les fondations de tout ce qui semblait immuable. L'armée suisse est réarmée, la neutralité helvétique est ouvertement remise en question par certains, des dizaines de milliers de réfugiés sont accueillis comme si de rien n'était.
Et si, par-dessus le marché, les agriculteurs bio comme Urs Brändli étaient responsables de la famine en Afrique? C'est en tout cas ce qu'affirmait ce week-end Erik Fyrwald, patron du groupe agrochimique Syngenta. Selon lui, le bio serait une lubie des pays riches, qui sacrifie la quantité de production à la qualité et participe dès lors à la famine en Afrique. Le chef de la multinationale n'hésite pas à demander l'abandon de l'agriculture biologique dans une interview publiée dans la «NZZ am Sonntag».
Le bio nuit au climat - vraiment?
La famine est une réalité: rien qu'en Afrique, environ 60 millions de personnes souffrent de la faim. La guerre en Ukraine et les pertes d'approvisionnement qu'elle a provoquées aggravent la misère.
Selon Erik Fyrwald, on ne peut tout simplement plus se permettre le bio. Premièrement, la culture bio nécessiterait plus de surface, car le rendement par hectare serait plus faible, jusqu'à 50% de moins. Deuxièmement, le bio entraînerait également plus d'émissions de CO2 que l'agriculture conventionnelle.
Les déclarations du chef de Syngenta sont une attaque frontale contre les agriculteurs bio comme Urs Brändli. Le président de l'association faîtière Bio Suisse dément catégoriquement être responsable, même en partie, de la famine dans le monde. Il rétorque par une contre-question: «Comment allons-nous nourrir le monde si nous poursuivons sur la lancée actuelle pendant les 50 prochaines années?»
Selon lui, la consommation doit changer
Selon une étude du centre de recherche Agroscope, les exploitations biologiques fournissent certes en moyenne environ 20% de rendement en moins que les exploitations de production conventionnelle. Du point de vue d'Urs Brändli, le bio est pourtant l'avenir si plusieurs conditions sont remplies. Condition numéro 1: moins de gaspillage alimentaire. «Si nous jetions moitié moins de nourriture qu'aujourd'hui, il faudrait produire environ 15% de moins», affirme-il. Condition préalable numéro 2: manger moins de viande. «Les terres arables pourraient alors être utilisées directement pour l'alimentation humaine plutôt que pour la production d'aliments pour animaux, ce qui est bien plus efficace.»
Le bio est ici la clé, confirme Knut Schmidtke, chef de l'Institut de recherche de l'agriculture biologique (Fibl) à Frick, en Argovie. Les consommateurs bio mangent moins de viande et jettent aussi beaucoup moins de nourriture: «Si l'on tient compte du comportement des consommateurs, les produits bio permettent de nourrir plus de personnes que ne le laissent supposer les rendements plus faibles.» Il se propose même au patron de Syngenta pour une visite guidée de fermes bio: «Il me semble qu'il a besoin de voir ce que l'agriculture biologique peut apporter.»
Indépendant des importations et des pesticides
Knut Schmidtke considère néanmoins que les agriculteurs bio ont aussi un devoir à remplir. Ils devraient mettre l'accent non seulement sur la biodiversité et le bien-être des animaux, mais aussi sur la production. «En forçant un peu le trait: nous ne voulons pas seulement la survie des vers de terre, mais aussi plus d'aliments.» Il faut une «éco-intensification», vers laquelle les subventions devraient également être orientées.
Il ne comprend absolument pas l'argument climatique d'Erik Fyrwald: «J'ai été étonné de lire cette affirmation, car elle n'est pas suffisamment étayée scientifiquement.» Au contraire: une étude comparant les émissions de CO2 de l'agriculture biologique et de l'agriculture conventionnelle est parvenue à un résultat sans équivoque: dans l'hémisphère nord, là où des études comparatives sont disponibles, un hectare de terre biologique fixe 10% de carbone de plus que les terres cultivées de manière conventionnelle.
Knut Schmidtke et Urs Brändli estiment que l'objectif de vaincre la faim en Afrique peut être atteint à long terme grâce à l'agriculture biologique. Importer des céréales ukrainiennes n'est en tout cas pas la solution. «Au contraire, résoudre la famine à long terme ne sera possible qu'en rendant l'Afrique moins dépendante des importations, des semences et des produits phytosanitaires», explique Knut Schmidtke.
Et en encourageant l'agriculture biologique locale, comme Urs Brändli le fait depuis près de 30 ans.
(Adaptation par Jocelyn Daloz)