Le nombre d'attaques de loups en Suisse augmente. Malgré les mesures de protection des troupeaux, les prédateurs parviennent de plus en plus souvent à s'approcher du bétail des agriculteurs et à causer d'importants dégâts.
Christian Stauffer, directeur de la fondation Kora, qui s'occupe d'écologie des prédateurs et de gestion de la faune sauvage, confirme l'augmentation des attaques sur les animaux de rente. «En l'espace de quelques années, les populations de loups ont massivement augmenté, et ce partout en Suisse. Alors qu'il n'y avait qu'une meute en 2012, il y en a désormais 20», explique Christian Stauffer à Blick. Selon Kora, 853 animaux de rente ont été tués l'année dernière — cette année, on s'attend à plus de 1000 attaques.
Une simple projection mathématique suffit pour revoir à la hausse le nombre de loups. «Il doit y en avoir environ 200», estime Arno Puorger. Cet écologiste de la faune travaille pour l'Office de la chasse et de la pêche des Grisons et est responsable des grands prédateurs. «C'est une évolution inquiétante, sans aucun doute», analyse le trentenaire.
«Il y avait du sang partout»
Outre le canton des Grisons, le plus touché par les attaques de prédateurs, les morsures de loups suscitent également l'insécurité en Valais et au Tessin. Par exemple dans la vallée de Rovanna, où vit Emanuel Corona. Les images d'animaux dévorés ne laissent pas indifférent ce paysan de montagne de Cerentino (TI).
Fin mars 2022, des loups pénètrent dans l'enclos de son troupeau. Ils dévorent deux moutons. Trois semaines plus tard, nouvelle attaque, toujours à Cerentino, à quelques mètres des habitations. Cette fois, ils tuent 20 animaux, dont des bêtes prêtes à mettre bas et des jeunes agneaux. «Plus tard, en mai, j'ai voulu conduire 40 moutons à l'alpage. Il y a eu un autre massacre cette nuit-là», se souvient Emanuel Corona. Inquiet que ses animaux ne viennent pas pour la traite, le paysan de montagne est monté voir ce qui clochait. «C'est là que j'ai vu leurs cadavres déchiquetés. Il y avait du sang partout...»
75% du troupeau dévoré
Sur les 97 moutons de l'époque, il ne reste plus que deux douzaines de bêtes à Emanuel et son acolyte. En seulement deux mois, les deux agriculteurs ont donc perdu plus de 75% de leur troupeau. Lors d'une quatrième attaque, non loin de là à Bosco Gurin (TI), les loups s'en sont pris à onze ânes d'Emanuel Corona. Ils ont aussi tué trois chevaux. «J'ai dû porter un petit âne sur mes épaules pour l'emmener chez le vétérinaire. Je ne sais même pas s'il va survivre...»
Le jeune paysan de montagne est désemparé. «Je ne peux pas m'offrir un nouveau troupeau chaque année! Mes animaux apprennent à connaître le terrain et après il faut tout recommencer...». Les animaux ne peuvent même plus se rendre à l'alpage. Trop dangereux.
Selon Emanuel Corona, qui vient d'investir dans une petite fromagerie, les mesures de protection sont inefficaces dans la région. «On peut difficilement poser de hautes clôtures sur les pentes avec des arbres, explique Emanuel Corona. Bosco Gurin est en outre une région de randonnée très appréciée, elle n'est pas adaptée aux chiens de protection des troupeaux.» Ils pourraient attaquer les randonneurs. Il se dit profondément déçu par le canton. «Ma détresse n'intéresse personne là-bas. Ils ne t'informent pas, ils ne te protègent pas», déclare le paysan.
Des carcasses devant le gouvernement
Pendant qu'Emanuel Corona se contente de paroles enragées, d'autres sont prêts à joindre les actes. C'est le cas de Marco Frigomosca, son acolyte: avec d'autres opposants au loup, le Tessinois a chargé les carcasses sur son pick-up en avril dernier. Direction Bellinzone et le palais du gouvernement tessinois.
Malgré cette action choc, rien n'a changé. Marco Frigomosca est résigné. «Il part à la retraite, mais moi je ne suis qu'au début de ma vie professionnelle, s'inquiète Emanuele Corona. Je vis sur cet alpage depuis que je suis enfant. De quoi vais-je vivre, désormais?»
Germano Mattei, 70 ans, connaît bien ce discours de désespoir des paysans. Cet architecte du Val Maggia est coprésident de l'Association suisse pour la protection de l'habitat rural contre les grands prédateurs.
«Les éleveurs sont soumis à un stress permanent», explique le Tessinois. Selon lui, la situation du loup au Tessin est hors de contrôle. Selon des estimations, 25 loups seraient en déplacement dans le sud du canton. «Il y a aussi beaucoup de meutes de l'Italie voisine qui traversent la frontière», avance-t-il.
Les loups attaquent des vaches!
Les statistiques actuelles du service cantonal de surveillance de la chasse font état de 260 animaux de rente morts pour 2022, sur lesquels de l'ADN de loup a été trouvé. 73 d'entre eux étaient déjà en décomposition et ne sont pas clairement comptabilisés comme des morsures de loup. A titre de comparaison, il n'y avait «que» 69 attaques en 2021. De plus, les loups s'attaquent à des animaux de plus en plus gros.
Les producteurs laitiers Fabio et Giovanni Giglio, du Val Blenio, en ont fait l'expérience avec leurs propres animaux. Père et fils gèrent 140 vaches à Olivone. «Fin août, pour la première fois, un veau s'est fait tuer par le loup. Un animal âgé de dix mois...» Un deuxième a perdu la vie à la mi-octobre, et ce n'est plus un cas isolé: le veau d'un voisin est également mort.
Ce qui préoccupe particulièrement les deux paysans de montagne? «Lors d'une soirée d'information sur le loup au printemps, on nous disait encore que les producteurs laitiers n'avaient pas à s'inquiéter, que les loups ne s'attaquaient pas aux vaches», se souvient Fabio Giglio. Le Tessinois se demande: «Les loups vont-ils bientôt s'attaquer aux hommes?»