Trois femmes témoignent sur l'IVG
«Avorter n'a pas été un drame pour moi»

Les opposants à l'avortement invoquent volontiers un prétendu danger psychique pour les femmes. Les études vont à l'encontre de cette affirmation. Les trois témoignages du présent article dénoncent également une instrumentalisation de la santé mentale des femmes.
Publié: 03.07.2022 à 20:33 heures
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Dernière mise à jour: 04.07.2022 à 11:40 heures
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Personne n'a voulu témoigner à visage découvert pour le présent article. Vingt ans après le «régime du délai», les femmes craignent toujours d'être stigmatisées.
Photo: keystone-sda.ch
Camille Kündig

Presque tout le monde compte, consciemment ou pas, connaît au moins une femme ayant décidé d’interrompre sa grossesse au sein de son entourage. En 2020, il y a eu 11’000 avortements en Suisse.

Aux États-Unis, le droit fédéral à l’avortement vient d’être aboli après 50 ans. Des femmes, mais aussi des hommes, ont protesté en solidarité cette semaine dans plusieurs villes suisses. «Je suis inquiète», confie Theres Blöchlinger, 75 ans, ancienne directrice du service ambulatoire pour femmes de Zurich. Si les femmes ne peuvent plus avorter légalement, dans de bonnes conditions, cela peut s’avérer dangereux: «Il est probable que l’on assiste à la naissance d’un vrai marché parallèle de pilules abortives aux États-Unis. Les femmes manqueront alors d’une prise en charge professionnelle.»

Ce droit est aussi menacé en Suisse

Dans notre pays, la droite conservatrice a profité de l’élan étasunien pour lancer deux initiatives populaires qui veulent restreindre l’accès à l’avortement. La première veut introduire un jour de réflexion avant chaque interruption de grossesse. Theres Blöchlinger s’y oppose fermement: «Les femmes réfléchissent elles-mêmes avant l’intervention, elles n’ont pas besoin de directives pour cela.»

Et l’on affirme encore volontiers en public que l’avortement représente en principe une tragédie pour les femmes concernées, un risque psychique – elles risqueraient de regretter cette décision plus tard, selon le camp des «pro-vie».

Dans un entretien accordé au SonntagsBlick, Caroline* déclare vouloir mettre fin à de tels préjugés: «J’ai avorté il y a 30 ans, et je n’ai jamais ressenti cela comme un drame.»

Selon une vaste étude américaine menée en 2020, 95% des femmes ne regrettent pas leur décision. Au contraire, celles qui n’ont pas pu avorter souffriraient de séquelles psychologiques, ce qui se répercuterait également sur l’enfant mis au monde, selon l’étude. Que ressentent la majorité des femmes interrogées cinq ans après l’interruption d’une grossesse non désirée? Du soulagement.

Ce constat est étayé par les déclarations de trois Suissesses, qui ont accepté de raconter leur expérience au SonntagsBlick.

Céline*, 30 ans: «Je ne veux pas être maman»

«Novembre 2021, état de choc. Le stérilet n’a pas fait son travail, je suis enceinte. Même si je sais que je ne veux pas de famille, cela me bouleverse. Cette décision, qui pourrait changer ma vie, me dépasse. Aucun facteur extérieur ne m’empêcherait, en théorie, de réussir à élever un enfant. Mon partenaire et moi nous aimons, nous travaillons, nous avons tous les deux la trentaine. Mais je ne veux pas être maman.

Je pense que la stigmatisation est encore plus grande dans ma situation. J’ai peur de me demander pourquoi nous ne gardons pas l’enfant. Malgré ma conviction, mes pensées commencent à s’emballer. Je m’imagine les différents scénarios, je me sens sous pression. Puis je relance une conversation avec mon partenaire: heureusement, nous sommes d’accord.

Comment se déroule un avortement? On entend souvent des histoires d’horreur. Une amie m’avait raconté son expérience. Je m’adresse alors à une clinique gynécologique zurichoise. Après un entretien, je reçois des médicaments et des analgésiques. Au moment de l’avortement, je veux être seule, je déteste cette situation. J’avale une pilule, j’ai des douleurs comme lors des règles… puis c’est fini. De manière étonnamment peu spectaculaire. Ce n’était pas une décision facile, oui, mais c’était la bonne. Je dois cependant admettre que la pression sociale me faisait peur. J’aimerais qu’il soit enfin possible de parler ouvertement de ce sujet.»

Anna*, 32 ans: «Le médecin m’a d’abord renvoyée chez moi»

«J’avais 21 ans, j’étais assise, en cours, et j’ai eu la nausée. Une amie m’a dit que je ferais mieux de faire un test. Juste pour être sûre. N’avais-je pas oublié de prendre la pilule une ou deux fois? Déjà à la pharmacie, je savais ce que je ferais si le test se révélait positif. En regardant les bandes rouges, je n’ai ressenti qu’une chose: le besoin de m’extraire cela du corps le plus vite possible.

Mais le médecin m’a d’abord renvoyée chez moi, m’obligeant à un temps de réflexion. Ce furent des jours terribles. La sensation de porter quelque chose dans mon ventre me semblait fausse, me dégoûtait presque. Je savais que ma famille ferait pression, alors je n’ai rien dit. Mon copain a proposé de m’accompagner. Le médecin m’a donné un lit et une pilule. Quelques minutes plus tard, mon estomac s’est contracté – presque comme si l’on m’avait donné un coup. Les contractions. Dans les toilettes, j’ai commencé à saigner, un petit morceau de tissu est tombé. La gynécologue l’a examiné pour s’assurer que tout ce qui devait l’être avait été expulsé. Est venue la confirmation libératrice: j’ai presque pleuré de bonheur.

L’avortement n’est jamais une expérience positive en soi, mais c’est une option bien plus acceptable dans beaucoup de situations. La douleur n’était qu’un tout petit mal comparé au temps d’attente, au secret et à l’idée d’une grossesse menée à terme. Je n’ai jamais été triste. Je ne me sens pas coupable, je n’ai pas de traumatisme et je n’imagine jamais ce qui se serait passé si j’avais eu un bébé à l’époque. Mais, un jour, j’aimerais bien avoir des enfants.»

Caroline*, 42 ans: «Ça n’a jamais été un drame»

«J’ai avorté il y a bientôt 30 ans, et je ne l’ai pas regretté une seule seconde. Toutes les femmes – loin de là – n’ont pas de problèmes émotionnels par la suite. À 15 ans, je suis tombée enceinte d’un camarade de classe. Nous n’avions pas utilisé de contraception. Pour moi, c’était clair: je voulais des enfants. Mais pas si tôt. J’ai tout de même réfléchi à cette option, mais j’ai annoncé ma décision très rapidement à ma mère.

Elle m’a soutenue, et m’a accompagnée à l’hôpital pour femmes de Berne. À l’époque, la possibilité de recourir à des médicaments n’existait pas encore. L’équipe médicale a interrompu la grossesse sous anesthésie générale. Je n’ai rien remarqué. J’ai vécu les deux nuits passées à l’hôpital comme si de rien n’était. Je n’ai jamais ressenti cela comme un drame.

Ce qui m’a marqué, ce sont les réactions des autres. Tout d’un coup, toute l’école était au courant. Mon camarade avait dû en parler autour de lui. Plus personne ne me disait bonjour. C’était devenu insupportable, j’ai passé le reste de l’année scolaire en séjour linguistique. Je suis ensuite devenue maman à 26 ans, alors que j’étais étudiante. C’était une décision consciente de mon partenaire et de moi-même. Mes filles sont au courant de l’intervention. Sur le plan pédagogique, l’éducation sexuelle et la santé des femmes sont importantes pour moi. Je connais aussi le cas de nombreuses amies qui ont avorté après avoir fondé une famille. Cela aussi, c’est bien. Je suis incroyablement désolée pour les femmes aux États-Unis.»

*Les noms ont été modifiés


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