C’est l’histoire du déni qui enferme et détruit et de la vérité qui panse et libère quand on trouve la force de la faire éclater au grand jour. «C’est mon histoire. Ma triste histoire. Et j’ai le droit de la raconter. J’ai même le devoir de le faire pour briser la chaine de la souffrance! J’ai dû me taire pendant tant d’années et ce silence aurait finir par me tuer…» Mireille est une femme joviale et souriante de 40 ans qui a pourtant souvent pensé à se suicider dans sa vie. Aujourd’hui encore, il lui arrive de se mutiler ou de tenter désespérément de se remplir de nourriture pour anesthésier sa douleur.
Quelque chose est brisé à jamais en elle. Au fond de son regard, une étrange lueur le trahit. La Vaudoise est une survivante. Enfant, elle a enduré des abus sexuels répétés et gravissimes de la part de son grand-père maternel. Cet homme, jadis respecté et aujourd’hui décédé, fut un policier gradé dans la région de la Chaux-de-Fonds (NEU). Confronté à l’EMS par Mireille, il a reconnu les faits de son vivant dans les larmes et les «pardons». «Comme fréquemment, lui-même avait subi des abus pédophiles dans son enfance de la part d’une personne qu’il surnommait mystérieusement 'le corbeau'», explique Mireille, laquelle a sa petite idée sur son identité.
Le long chemin vers la vérité
«Cela n’excuse rien, mais cela explique. Les abus sexuels pédophiles se perpétuent bien souvent de génération en génération à moins qu’une victime ne trouve finalement la force de briser le tabou, mais c’est une démarche qui demande des années et ne peut se faire qu’avec l’assistance d’un psy», résume le diacre Fribourgeois Daniel Pittet qui assiste à l’entretien. C’est en effet à Rossens (FR) en terrain ami, chez l’auteur du livre choc «Insoutenables secrets, abus sexuels dans les familles» qui cartonne actuellement en librairie et dont la version allemande vient de sortir outre-Sarine, que Mireille a choisi de se confier. Elle n’en a pas dormi de la nuit. Son témoignage est l’un des plus forts du livre qui en compte pourtant de nombreux autres. Dans ces pages, elle se confie sous le pseudo de Brigitte, mais aujourd’hui, elle préfère afficher son vrai nom.
Pittet a joué un rôle important dans ce «coming out». Son best-seller «Mon père. Je vous pardonne», sorti en 2017, traduit en huit langues et vendu à 40'000 exemplaires rien qu’en Suisse, avait «chamboulé et profondément aidé» Mireille alors encore aux prises avec la honte et les non-dits. Pittet y racontait les viols que lui avait fait subir, enfant, pendant quatre ans le Père capucin Joël Allaz.
«J’ai contacté Daniel alors que j’étais encore au début de ma thérapie. Nous nous sommes rencontrés dans un Starbucks. Il m’a raconté son calvaire sans la moindre gêne et avec des mots crus, les seuls correspondant à l’horreur que constitue un viol de ce genre. Sa liberté de parole m’a interloqué et m’a fait beaucoup de bien. Pour moi, Daniel est devenu comme un grand-frère qui me montrait le chemin. Après chaque séance chez ma psy, j’allais le voir.»
Un incroyable enterrement
En 2016, plus d’une année après le début de sa thérapie, Mireille avait trouvé la force de franchir un pas de géant. Lors des obsèques de son grand-père indigne, mort à l’aube de ses 80 ans, en accord avec sa tante et la pasteure en charge de la cérémonie, elle avait tout révélé devant la centaine de personnes présentes à la cérémonie et qui ne se doutaient de rien! «Ma tante, qui comme ma mère, avait été abusées par son propre père, a commencé. Ma grand-mère, qui était enfermée dans le déni depuis tant d’années, n’a pas supporté que tout le monde sache. Elle criait pour nous empêcher de parler. C’était très difficile. Là, la pasteure m’a pris par la main et m’a dit à l’oreille: 'Mireille, vous avez le droit de dire la vérité'. Alors, je me suis tournée vers le cercueil et j’ai continué en m’adressant à lui.» Cette révélation fait l’effet d’une bombe. Elle sépare ceux qui sont capables d’entendre l’horrible vérité des autres.
Quand sa propre mère confiait, Mireille et ses deux sœurs cadettes à leurs grands-parents, elle disait toujours: «Fais attention à toi et à tes petites sœurs parce que le grand-père, des fois, il est pas sympa!» La petite fille ne comprenait pas ces paroles, mais son âme d’enfant saisissait à merveille qu’elles suintaient le malheur. Elle se souvient que son grand-père était un homme drôle qui suscitait son admiration. Elle se souvient aussi comment il avait tissé sa toile autour d’elle peu à peu insidieusement jusqu’à finir par lui imposer des pénétrations et des fellations contre-nature. «Quand j’ai eu l’âge de 13 ans, ma mère et ma tante ont coupé les ponts avec leurs parents. De mon côté, j’avais refoulé ces traumatismes subis au fond de mon inconscient. Mais je sentais comme une énorme tache noire à l’intérieur de moi et il me fallait vivre avec.»
L’amour panse ses plaies
À l’orée de l’âge adulte, Mireille n’y arrive plus. Elle est aide-soignante et de puissants malaises la saisissent lorsqu’elle est amenée à faire la toilette intime de ses patients. Elle est aussi entravée dans sa vie amoureuse et sexuelle et sent confusément que tout cela est lié à ce qu’elle a vécu chez ses grands-parents enfant. Alors un jour, elle retourne les voir dans leur petit appartement de la Chaux-de-Fond. Là, rien n’a changé et surtout pas le déni malsain et destructeur qui y a établi son royaume. «Dès que ma grand-mère m’a ouvert, j’ai eu des flashes et les émotions enfouies ont commencé leur dégel. J’ai cru que je devenais folle. Une amie m’a aiguillé vers un pasteur qui m’a aiguillé vers un psy… Et là, a commencé un long travail qui, aujourd’hui encore, est loin d’être terminé.»
«On ne peut pas effacer les traumatismes subis, on ne peut que les apprivoiser pour vivre avec et éventuellement leur donner du sens par notre témoignage qui contribuera peut-être à épargner de nouvelles victimes ou à donner envie à certains pédophiles de se faire soigner», précise Daniel Pittet.
C’est ce qu’a fait Mireille. Comme lui, la résidente de Sainte-Croix (VD) a la foi. Cela la porte. «Bien des fois, j’ai pu crier vers Dieu ma colère: 'Pourquoi as-tu laissé faire ça! Tu étais où?' En même temps, je sens bien qu’à travers lui, j’ai pu rencontrer les bonnes personnes sur mon chemin de guérison.» Parmi elle, se trouve le fidèle Antonio. Le Lausannois a connu Mireille il y a cinq ans. «Je l’ai contacté au lendemain de son témoignage dans l’émission radiophonique La ligne de cœur. Je traversais une période difficile et sa sincérité m’a fait du bien», confie-t-il pudiquement. Le couple est marié depuis deux ans. Il rêve de devenir parents. «Si ce bonheur nous arrive, je serai très vigilante pour que jamais notre enfant n’ait à subir ce que j’ai vécu», conclut Mireille.
Parlons-en! www.stopsuicide.ch, www.disno.ch. Cette association romande aide les personnes consommant de la pédopornographie ou ayant des fantasmes sexuels envers des enfants à ne jamais passer à l’acte.
Parlons-en! www.stopsuicide.ch, www.disno.ch. Cette association romande aide les personnes consommant de la pédopornographie ou ayant des fantasmes sexuels envers des enfants à ne jamais passer à l’acte.