Dans le monde de l’art aussi, le savoir est un pouvoir. Les galeristes, les collectionneurs, les marchands et les experts connaissent leur Picasso, ce qui leur rapporte beaucoup d’argent. Mais l’art est encore plus lié aux sentiments. Qui, comme chacun sait, peuvent être trompeurs: la moitié des œuvres sur le marché de l’art ne sont pas authentiques.
Dans d’innombrables musées et galeries, il est possible d'admirer au quotidien des contrefaçons de grands maîtres que des experts renommés affirment être des originaux. Parfois, un faux est démasqué, en général par hasard. Le monde de l’art pousse alors un cri d’alarme, avant de se tourner à nouveau vers d’autres œuvres. Qui sont peut-être elles aussi des contrefaçons.
Des algorithmes détectent les faux
La physicienne Carina Popovici a toujours aimé l’art. Mais ce n’est qu’après avoir discuté avec une historienne de l’art qu’elle s’est rendu compte qu’elle avait admiré des contrefaçons à de nombreuses reprises. Carina Popovici travaillait alors comme analyste dans une grande banque suisse et développait des modèles financiers au moyen d’algorithmes. «Mais ceux-ci ne peuvent pas être utilisés uniquement pour trier les marchés financiers, explique-t-elle. Ils peuvent tout aussi bien passer au crible le marché de l’art.»
Jusqu’en 2019, il n’existait pas encore de programme de ce type. La physicienne a donc fondé la start-up zurichoise Art Recognition. Elle a ensuite développé un logiciel capable de distinguer les œuvres d’art authentiques des contrefaçons. Ce didactiel est financé par des fonds du programme de l’UE Horizon 2020. Des investisseurs privés ont également mobilisés d'importants fonds.
Le logiciel apprend à partir des originaux
De plus en plus de maisons de vente aux enchères et de galeries d'art viennent frapper à la porte de la start-up zurichoise pour utiliser ce programme développé par la physicienne. «Le logiciel est le cœur de notre entreprise», explique Carina Popovici. Des historiens de l’art remplissent la base de données avec des images de toutes les toiles d’un maître – par exemple, le célèbre peintre Vincent van Gogh. Mais c'est un travail de longue haleine, car il ne doit pas y avoir de contrefaçons. «Seuls les tableaux dont l’authenticité est absolument certaine sont placés dans le panier», explique Romanas Einikis, Chief Technology Officer d'Art Recognition.
Une fois la collection terminée, le logiciel se met au travail. L’intelligence artificielle apprend tout sur le maestro, de la coloration au coup de pinceau. Elle est ensuite confrontée à un panier de contrastes rempli de tableaux qui ressemblent fortement aux œuvres du peintre néerlandais, mais qui ne sont pas de lui. «En comparant les deux paniers, le programme affine sa connaissance de van Gogh, explique Romanas Einikis. Il apprend à distinguer ses œuvres des contrefaçons.»
Certificat d’authenticité à partir de 5000 francs
Au cours des deux premières années, Art Recognition a intégré 100 artistes dans son programme. Rien qu’au cours du dernier semestre, 200 autres sont venus s’y ajouter. La base de données comprend environ 60'000 peintures. Des clients du monde entier envoient des photographies de leurs tableaux à la start-up zurichoise: maisons de vente aux enchères, galeries, musées, collectionneurs – mais aussi des personnes qui ont trouvé par hasard un vieux tableau de leurs grands-parents dans le grenier. Car s’ils veulent vendre cette pièce d’héritage, ils doivent obtenir un certificat d’authenticité.
Pour un prix à partir de 800 francs, Art Recognition détermine si un objet est authentique ou non. Une analyse détaillée, incluant un rapport et un certificat, est plus chère: elle s'élève à au moins 5000 francs.
Cela reste toutefois bon marché par rapport à l’alternative classique, explique Christina Andersen, Chief Sales Officer: «Le transport assuré d’un tableau et les expertises d’experts, qui sont en outre souvent en désaccord, peuvent coûter jusqu’à 30'000 francs dans certains cas.» Mais ce qui est encore plus important, c’est que l’algorithme ne se laisse pas influencer. «Son taux de réussite est très élevé» et, contrairement aux experts humains, il ne travaille pas au «feeling»!
Encore de nombreuses inégalités
La combinaison de la technologie et de l’art de Carina Popovici a de bonnes chances de percer – notamment parce qu’elle tente sa chance en Suisse. En effet, la scène locale des start-up est en plein essor: «2021 a été une année record», confirme Max Meister, copropriétaire du Swiss Ventures Group. «Trois milliards de francs ont été investis dans de jeunes entreprises suisses au cours de l'année écoulée.»
Et ce, en pleine pandémie. Pourquoi? «La plupart des start-ups sont actives dans le secteur du numérique, poursuit Max Meister. Elles ont en réalité même profité de la pandémie du coronavirus.»
Subsiste toutefois un point noir, tient à préciser Carina Popovici: les inégalités de genre. Une grande marge de progression existe au niveau des start-ups. A l'heure actuelle, seuls 2% des start-up suisses seraient dirigées par des femmes. «Nous devons changer cela de toute urgence!», tonne-t-elle. En tant que femme, elle faisait déjà partie d’une minorité dans le monde bancaire. Le plus gros problème est la garde des enfants, affirme la mère de deux enfants: «Elle est trop chère. Il faut un soutien public plus important!» Davantage de femmes auront alors la possibilité de mettre en œuvre avec succès leurs idées créatives.
(Adaptation par Quentin Durig)