La guerre en Ukraine bouleverse les politiques à travers le monde. Et la Suisse ne fait pas exception. Depuis le début du conflit, la Finlande et la Suède ont exprimé le souhait de rejoindre l'OTAN. Alors que, pendant des décennies, une adhésion à cette alliance défensive sous l'égide des Etats-Unis était considérée comme taboue par ces pays scandinaves.
En Suisse aussi, la violation du droit international par Vladimir Poutine a eu des répercutions sur la politique intérieure et extérieure du pays. Un sondage représentatif, réalisé par le géographe et politologue Michael Hermann de l'institut de recherche Sotomo en collaboration avec le groupe Blick, a été soumis à quelques 20'000 participants.
Ce qui en ressort est un nouvel état d'esprit en matière de politique d'armement et de sécurité. Autrement dit, la population suisse veut un réarmement, et une position plus affirmée à l'Ouest de l'Europe.
Ainsi, une majorité de 56% se prononce pour une «collaboration plus étroite» avec l'OTAN. Plus de la moitié des Suisses – 55% – sont quant à eux favorables à ce que l'État consacre davantage de moyens à la défense nationale. En ces termes, c'est à gauche que le vent a le plus tourné. Parmi ceux qui se considèrent comme des sympathisants du PS, 76% saluent une potentielle coopération plus approfondie avec l'OTAN. Parmi les sympathisants des Verts, ce taux est de 73%. Pour des bords politiques traditionnellement hostiles à l'armée, il s'agit en effet d'un tournant historique.
Rappelons que, jusqu'à récemment, une grande partie des roses-verts considérait le pacte de l'Atlantique Nord comme un instrument de l'impérialisme américain et une excroissance de l'axiome militariste occidentale.
Mais les temps ont changé. Aujourd'hui, 82% des sympathisants des Verts et 77% des amis du PS souhaitent une participation suisse au système de défense Iron Dome («Dôme de fer»). L'UE débat actuellement de l'importation de cette technique de défense israélienne contre les missiles et l'artillerie, avec des coûts estimés à des dizaines de milliards.
Cette nouvelle realpolitik contraste dramatiquement avec le pacifisme attribué aux Verts, dont l'ascension a commencé jadis par la protestation contre la double décision de l'OTAN en 1979 contre l'armement nucléaire de l'Europe occidentale.
La formule «Pas de guerre!», qui figure sur les banderoles arc-en-ciel du parti de gauche, est cependant devenue trop simpliste pour beaucoup. Ainsi, que 48% de la clientèle des Verts veulent envoyer des armes en Ukraine. Chez les supporters du PS, ils sont 37%.
Le chancelier allemand Olaf Scholz a également souligné ce changement de paradigme en annonçant, trois jours après l'invasion, 100 milliards d'euros supplémentaires pour l'armée allemande. Au début de l'année encore, une telle déclaration de la part d'un social-démocrate aurait été difficilement imaginable.
Le fait que seuls 13% des Confédérés soient favorables à une réduction des dépenses de l'armée va dans le même sens. Chez les sympathisants des Verts, ce chiffre est de 18%. Au PS, il est de 23%.
Sur le papier, une telle position entre en contradiction avec le programme de ces partis. Les socialistes, par exemple, stipulent que «le PS s'engage pour la suppression de l'armée. Jusqu'à ce que cet objectif soit atteint, l'armée suisse doit être massivement démantelée et transformée». L'initiative «Stop F-35» des socialistes n'aurait aujourd'hui aucune chance d'aboutir. Seuls 30% voteraient aujourd'hui oui, contre 64% de non. Même au sein du PS, 47% des électeurs sont tout à coup devenus favorables au F-35.
Le besoin de sécurité qui a (à nouveau) émergé avec la guerre fait que les Suisses, avec une majorité de 54%, préfèrent anticiper l'achat des avions de combat F-35.
En ce qui concerne une adhésion directe à l'OTAN, en revanche, la prudence est de mise dans l'opinion publique: les Suisses veulent de fait se rapprocher de l'organisation, mais une adhésion n'est pas à l'ordre du jour. Ainsi, 62% s'opposent à une adhésion directe.
À l'opposé de l'échiquier politique, le plus grand parti du pays arbore une position plus controversée. L'UDC tente de décrédibiliser les sanctions contre la Russie, s'efforce de lancer un débat sur la neutralité et se fait remarquer via d'éminents «compreneurs de Poutine» au sein de ses rangs. La clientèle du parti soutient majoritairement cette position: le parti bourgeois est contre les sanctions, contre la livraison de matériel en Ukraine, contre l'OTAN. De plus, 79% des électeurs sont en faveur de l'initiative de Christoph Blocher, qui veut ancrer la neutralité dans la Constitution pour 2023.
Mais la majorité de la population est d'un autre avis: 52% des Suisses rejetteraient l'initiative populaire de Blocher. Pour 58% d'entre nous, la Suisse n'a pas violé la traditionnelle neutralité en imposant des sanctions à la Russie
En outre, 62% des Suisses sont favorables à un embargo sur le pétrole et le gaz naturel russes. Seuls les sympathisants de l'UDC rejettent en masse cette proposition.
De même, 62% des Suisses veulent que la Confédération envoie des casques et des gilets de protection aux Ukrainiens sur le front.
De leur côté, les Verts libéraux se sont constitués en pôle politique opposé à l'UDC: le parti se veut internationaliste, si l'on prend comme critère les positions de ses sympathisants. Ils sont en tête lorsqu'il s'agit de l'arrêt des importations de gaz russe, de la politique de sécurité européenne et du partenariat avec l'OTAN. Dernièrement, le parti s'est profilé comme la force la plus progressiste en matière de politique européenne, étant le seul à s'engager de manière unie en faveur de l'accord-cadre.
Le responsable de l'étude, Michael Hermann, attire l'attention sur un autre décalage: «Selon le sondage, les jeunes sont les plus favorables à la neutralité. Avant, c'était les vieux».
En effet, chez les 18-35 ans, près de la moitié, ou 46%, sont favorables à plus de retenue dans la guerre en Ukraine. Seulement 37% veulent plus d'engagement. Alors que, chez les plus de 55 ans, seuls 30% veulent plus de neutralité.
Nous avons longtemps spéculé sur l'impact potentiel de la pandémie sur la société. Il est désormais clair que, après deux mois seulement, la guerre est un levier bien plus efficace.
(Adaptation par Daniella Gorbunova)