Il arrive régulièrement que des maisons individuelles fassent obstacle à un projet de construction. C'est le cas en Chine, mais également dans notre pays. À Lausanne, par exemple, tout le monde a encore en mémoire les péripéties des locataires du Simplon, chassés en 2011 pour l'agrandissement de la gare. Leur histoire avait donné lieu à une exposition voici trois ans.
Mais le récit de Dora Himmelberger, nonagénaire de Frauenfeld (TG), montre qu’il est possible de s’opposer à de tels plans. Cette dame ne voyait aucune raison de vendre sa jolie maison à l’entreprise immobilière thurgovienne Tobler Verwaltungs SA et de faire de la place à un nouveau lotissement. Elle ne partira de sa maison que «les pieds devant», déclare-t-elle d’emblée lors d’une visite du Blick.
L’argent ne l’intéresse pas
La vie dans une maisonnette entourée d’un grand chantier peut sembler un brin inconfortable. Mais ça ne décourage absolument pas notre mamie. «Comme je n’entends plus très bien, je me fiche du bruit des travaux», assène-t-elle. Elle n’a jamais reçu d’offre d’achat concrète. «Je ne voulais rien savoir. Aucune somme n’aurait pu me convaincre», promet l’ancienne employée de l’office des habitants de Frauenfeld.
Face à sa réticence, les plans de construction de deux lotissements, comprenant au total 53 appartements et un parking souterrain, ont dû être adaptés. Car la jolie petite demeure de Dora Himmelberger, construite en 1868, restera. Il s’agit d’une maison clou, surplombée par des bâtiments nouvellement construits. Autrement dit, c'est un lotissement que les propriétaires refusent de vendre pour une nouvelle construction, et qui reste tel quel, avec son charme désuet, dans un environnement tout neuf.
Depuis le début des travaux en 2021, beaucoup de choses ont changé dans la rue de Dora, la Schlossmühlestrasse, comme le montre une vieille photo encadrée et accrochée dans le salon couleur menthe de la nonagénaire, au milieu de poutres en bois. La maison qu’elle habite depuis 46 ans, dont les 24 dernières en tant que veuve, est indépendante depuis l’été 2021. Avant cette date, elle constituait la première partie d’une maison mitoyenne. Les autres parties de la maison étaient déjà en possession de l’agence immobilière.
De la pluie dans la maison
Après le départ de tous ses voisins et voisines, Dora Himmelberger s’est malgré tout senti très seule, admet-elle. Elle regardait les travaux de construction par la fenêtre, continuait à s’asseoir sur le petit banc devant la maison. Et elle a connu quelques moments de creux.
Elle a accepté de quitter sa demeure pendant une semaine en été 2021, lorsque la démolition des autres parties de la maison mitoyenne était prévue. Et lorsqu’elle est revenue, sa maison n’avait plus qu’un mur improvisé sur un côté. «La première nuit, j’ai été trempée dans mon lit», raconte-t-elle. Le mur n’offrait aucune protection contre les violents orages. Toujours est-il que la chaleur de l’été a permis de tout sécher rapidement, garantit-elle.
Mais l’hiver suivant, le froid qui s’est infiltré à travers le mur non isolé a eu raison de la personne âgée. Elle a développé une sinusite maxillaire. Elle a séparé le salon du reste de la maison avec un lourd rideau afin de pouvoir au moins s'y chauffer. «J’ai souffert du froid dans la maison durant tout l'hiver», déplore Dora Himmelberger. Mais heureusement, entre-temps, le mur a été remis en état aux frais de l’agence immobilière et recouvert d'isolant.
«J’ai eu ce que je voulais»
C’est la joie de vivre qui lui a donné la force de persévérer dans sa chère petite maison avec son petit jardin, assure-t-elle. La senior est en paix avec elle-même. «J’ai eu ce que je voulais», sourit-elle. À la fin de sa vie, c’est son fils adoptif, aujourd’hui lui-même grand-père, qui emménagera dans la maison.
Cette semaine, l’énorme grue rouge qui se trouvait sur un haut socle devant sa maison et qui prenait beaucoup de lumière a été démontée. «Elle appartient à l’entreprise Stutz. Je l’ai baptisée Geoffroy», déclare-t-elle malicieusement.
Geoffroy ne lui manquera pas. En revanche, ses anciens voisins, avec lesquels elle discute régulièrement via un service de chat, laisseront un très grand vide, soupire-t-elle. «De nouveaux locataires arriveront en juin, glisse encore Dora Himmelberger. Mais les contacts seront sans doute plus impersonnels.»