Services psy débordés
La santé mentale des jeunes se dégrade, un spécialiste s'inquiète

Corsin Bischoff, spécialiste en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, tire la sonnette d'alarme. Les cabinets sont pleins, les demandes de suivi explosent et les parents se retrouvent démunis. Interview.
Publié: 01.03.2023 à 07:30 heures
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Dernière mise à jour: 01.03.2023 à 13:57 heures
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L'ambiance de crise actuelle, marquée par le changement climatique, la pandémie et la guerre, est probablement l'une des raisons pour lesquelles les jeunes d'aujourd'hui ne se sentent plus aussi insouciants et heureux.
Photo: Getty Images
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Sophie Reinhardt

Les problèmes liés à la santé mentale des jeunes sont en augmentation. Le nombre d'interventions d'urgence dans le cadre d'un risque de suicide a doublé et les patients attendent souvent longtemps avant de recevoir de l'aide, par manque de place et de professionnels disponibles.

Les spécialistes estiment qu'il est urgent d'agir. Une volonté politique semble néanmoins se mettre en place. Corsin Bischoff, spécialiste en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et coprésident de la Société zurichoise de psychiatrie et psychothérapie pour enfants et adolescents, répond aux questions de Blick.

Corsin Bischoff, dans le canton de Zurich, les jeunes et les enfants doivent attendre jusqu'à un an avant d'être examinés par un psychiatre. Considérez-vous que la situation est critique?
Oui. Pour certains problèmes psychiques, il faut attendre très longtemps pour obtenir un rendez-vous. Pour les examens lié à un trouble autistique par exemple, il y a un nombre incroyable de demandes, même si pour les cas très aigus, cela va en général plus vite. Une personne qui a des pensées suicidaires pressantes devrait pouvoir obtenir un rendez-vous immédiatement.

Qu'est-ce que cela signifie de devoir patienter aussi longtemps pour obtenir de l'aide?
Les délais d'attente font que les problèmes ne sont souvent abordés que lorsque la situation est déjà trop grave. Un séjour en clinique peut alors se révéler nécessaire. Si l'enfant avait été traité six mois plus tôt, seuls quelques rendez-vous auraient peut-être été suffisants.

Avez-vous un exemple?
En cas de conflit familial par exemple, une consultation familiale est souvent utile. Mais si cela ne se produit pas, les conflits s'aggravent de plus en plus. Cette frustration peut entrainer une dépression pour l'enfant. Celle-ci peut ensuite avoir des répercussions sur son cursus scolaire. En prenant de l'ampleur, le problème ne se résout plus en quelques séances de thérapie.

Comment en est-on arrivé là?
Lorsque j'ai commencé à travailler en pédopsychiatrie, il y a seize ans, il y avait déjà plus d'inscriptions que de places en thérapie. Mais la pénurie n'était pas aussi grave que maintenant. C'est surtout avec la pandémie que la situation est devenue dramatique.

Où voyez-vous le besoin le plus urgent d'agir?
Il n'y a pas de solution simple. Il faut un bouquet de mesures. Il ne suffit pas d'augmenter le nombre de places. En tant que société, nous devons également veiller à ce que les enfants et les jeunes soient moins exposés. Il faut prendre des mesures à l'école pour que celle-ci génère moins de stress. Il faudrait également soulager les familles. Je constate très souvent que les parents sont eux-mêmes surchargés, ce qui se répercute sur les enfants.

Les Jeunes du Centre demandent des mesures garantissant que les enfants et les adolescents souffrant de troubles psychiques soient traités par des spécialistes dans un délai de quatre semaines. S'agit-il d'une mesure nécessaire et applicable, selon vous?
Tous les enfants inscrits n'ont pas nécessairement besoin d'un traitement dans les quatre semaines. En cas de problèmes d'apprentissage ou de concentration, par exemple, il est possible d'attendre un peu plus longtemps. Il faut donc d'abord une bonne évaluation de l'urgence d'un traitement. Si c'est urgent, un rendez-vous devrait pouvoir avoir lieu dans les quatre semaines, parfois même dans un délai d'une à deux semaines. Pour cela, il faut davantage de places de thérapie chez les psychiatres et les psychologues en cabinet. Il faudrait aussi développer fortement les services ambulatoires des centres psychiatriques cantonaux.

L'hôpital cantonal de Winterthour, où vous travaillez, a agrandi son service stationnaire pour enfants et adolescents. La situation s'est-elle améliorée depuis?
Le secteur stationnaire a beaucoup évolué ces deux dernières années dans le canton de Zurich. De nombreuses cliniques ont augmenté leur capacité d'accueil. Il serait désormais nécessaire de développer également les places ambulatoires. Il est aussi particulièrement difficile de trouver une place pour les personnes qui ont besoin d'un long suivi.

Comment peut-on obtenir de l'aide le plus rapidement possible?
Malheureusement, dans le contexte actuel, il faut que la souffrance ou le problème soient relativement graves. Aussi, dans le cas d'enfants, les parents doivent faire preuve de beaucoup de patience pour faire des demandes auprès de nombreux services. Parfois, il est favorable de s'adresser à son médecin de famille ou à sa pédiatre, qui peut avoir des contacts directs avec des psychiatres ou des psychothérapeutes.

De plus en plus d'adolescents ont besoin d'une aide psychiatrique. Les jeunes sont-ils plus vulnérables qu'avant ?
Après les confinements liés à la pandémie de coronavirus, nous avons reçu beaucoup de jeunes qui allaient très mal. Nous avons été alertés par un grand nombre de tentatives de suicide. Cette situation s'est quelque peu améliorée aujourd'hui. Néanmoins, nous avons encore beaucoup de jeunes qui se plaignent de la pression, du harcèlement et de la solitude. L'ambiance de crise actuelle, marquée par le changement climatique, la pandémie et la guerre, est de toute évidence source de stress, en plus de la pression sociale accrue exercée par les réseaux sociaux. Peut-être que les adolescents d'aujourd'hui ne peuvent plus être aussi insouciants et heureux qu'il y a 30 ans.

Mais est-ce plus facile de demander de l'aide en 2023?
Le sujet est plus présent dans les médias et donc, peut-être, moins stigmatisé. Avant, on pensait qu'aller chez le psychiatre était réservé uniquement aux gens qui avaient complètement perdu la tête. Aujourd'hui, il est plus acceptable de demander de l'aide. Du moins, je l'espère.


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