Quelle tentative de record du monde! Samedi, les Chemins de fer rhétiques (RhB) circuleront avec un train de 1,9 kilomètre de long sur la ligne de l’Albula – de Preda à Bergün précisément – dans les Grisons. Il s’agira du train de voyageurs le plus long jamais vu. Le CEO du constructeur de trains Stadler Rail, Peter Spuhler, sera également de la partie. Son entreprise a produit les 100 wagons qui seront impliqués dans le record. Pour Blick, il revient sur sa fascination des trains et sur les défis techniques.
Peter Spuhler, les Chemins de fer rhétiques veulent établir un record avec un train de près de deux kilomètres de long. Qu’avez-vous pensé lorsque vous en avez entendu parler pour la première fois?
J’ai été surpris. Mais c’est ce n’est pas inattendu de la part des Chemins de fer rhétiques. Deux de leurs lignes sont inscrites au Patrimoine mondial de l’Unesco. Cette entreprise est une preuve supplémentaire qu’il est aussi possible de mettre en valeur notre patrimoine ferroviaire. Et ce, dans le monde entier. Nous croisons les doigts pour que tout se passe bien.
Le 29 octobre, les Chemins de fer rhétiques (RhB) veulent établir un record avec le train de voyageurs le plus long du monde. A l’occasion du 175e anniversaire des chemins de fer suisses, 25 rames comprenant 100 voitures et d’une longueur de 1910 mètres doivent circuler sur la légendaire ligne de l'Albula dans les Grisons.
Suivez en direct la tentative de record du monde sur blick.ch/fr à partir de 14h.
Le 29 octobre, les Chemins de fer rhétiques (RhB) veulent établir un record avec le train de voyageurs le plus long du monde. A l’occasion du 175e anniversaire des chemins de fer suisses, 25 rames comprenant 100 voitures et d’une longueur de 1910 mètres doivent circuler sur la légendaire ligne de l'Albula dans les Grisons.
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Une centaine de voitures font partie du convoi. C’est assez fou. Quelles sont les difficultés de tel défi?
Il y a 25 rames de quatre voitures chacune. Habituellement, seules deux ou trois sont accrochées ensemble. Le plus grand défi est que la 25e rame se mette en mouvement en même temps que la première. Et si possible à la même vitesse. Nos tests avec des convois plus courts ont été concluants. Nous espérons maintenant que la tentative de record du monde de samedi sera un succès.
Êtes-vous nerveux?
Non, pas du tout. J’ai toute confiance dans les Chemins de fer rhétiques et dans nos ingénieurs. Nous avons nos spécialistes sur place. Tout se passe bien pour l’instant.
Quelle faiblesse serait fatale à cette tentative de record?
Si toutes les rames ne démarrent et ou ne freinent pas en même temps.
Que peut-il se passer dans le pire des cas?
Il peut y avoir plusieurs problèmes. Un train peut dérailler. Ou un attelage peut se rompre.
Que signifie ce record mondial? Est-ce une stratégie de communication?
Bien sûr. Il s’agit en premier lieu d’un coup de pub. Les Chemins de fer rhétiques peuvent ainsi présenter leur réseau au monde entier. Plus de 100 journalistes se rendent à Bergün. C’est déjà un succès! Pour nous aussi, en tant que constructeurs. Nous avons construit les 25 rames. Cela a également des retombées publicitaires pour nous.
Où serez-vous samedi?
Dans le train, bien sûr. Mais pas dans la cabine de conduite, je laisse cette place aux techniciens.
Stadler aime tenter des records du monde. En décembre dernier, un train alimenté par des batteries a parcouru 224 kilomètres en partant de Berlin par des températures négatives. Que vouliez-vous prouver?
La politique et nos clients misent sur les technologies vertes. Les trains diesel, et il en existe encore beaucoup à l’étranger, appartiennent au passé. Le fonctionnement sur batterie est une alternative. Nous avons pu développer rapidement cette technologie et sommes aujourd’hui leader en Europe. En exploitation normale, 200 kilomètres ne sont pas possibles. Nous garantissons 100 à 120 kilomètres. C’est l’avenir. Surtout en Allemagne, où seulement 60% des lignes sont électrifiées.
Parlons de votre entreprise: vos carnets de commandes sont bien remplis – 136 trains à deux étages pour l’Autriche, 500 rames Flirt pour les CFF, 1500 voitures de métro pour Berlin, entre autres. Comment faites-vous pour battre vos concurrents si souvent?
Il est important que nous soyions à la pointe avec notre technologie. Nous nous sommes battus pour cela. Nous y sommes parvenus grâce à nos concepts de véhicules. Nous pouvons faire face à une concurrence internationale féroce. Actuellement, nous avons des commandes à hauteur de 22 milliards de francs.
La Suisse n’est pas un site bon marché, mais vous parvenez quand même à battre vos concurrents. Que font-ils de mal?
Nous avons 5000 collaborateurs en Suisse. Deux tiers des commandes vont à l’étranger. Bien sûr, nous avons en Suisse les salaires les plus élevés d’Europe. Nous avons donc un désavantage, également du point de vue de la monnaie. Nous devons compenser ce désavantage par notre technologie de pointe, notamment au niveau de l’efficacité énergétique. Mais nous y parvenons bien.
L’entreprise Stadler Rail est-elle concernée par l’espionnage industriel?
Non. En fin de compte, tout le monde peut circuler avec nos trains et prendre des photos. Récemment, nous avons participé au salon Innotrans à Berlin. Des Chinois se sont glissés sous les véhicules et ont tout photographié.
Quel est votre avantage en Suisse? Les entreprises ferroviaires suisses achètent-elles plus facilement chez vous parce que vous êtes un fabricant local?
L’OMC (ndlr: l’Organisation mondiale du commerce) définit des critères clairs pour les appels d’offres. On ne peut pas tricher.
Les CFF ont passé une grosse commande à Bombardier pour des trains Dosto. Ils n’ont pas bonne presse, entre retard de livraison et pannes. Est-ce que cela vous réjouit?
Non, même si cela a été une défaite très douloureuse pour nous à l’époque. En tant qu’entreprise suisse, nous voulons gagner en Suisse. C’est comme au hockey sur glace, quand une équipe rate le championnat dans sa propre patinoire.
Vous avez pratiquement tout dans votre portefeuille – trains régionaux, trains de grandes lignes, trams, métros… Qu’est-ce qui marche particulièrement bien en ce moment?
Cela varie d’un pays à l’autre. Dans le domaine du métro, nous avons rattrapé notre retard. Surtout en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Récemment, nous avons lancé un nouveau tramway sur le marché et remporté quatre commandes en très peu de temps. Notre gamme Flirt se porte plutôt bien. Nous avons vendu plus de 2500 unités dans 30 pays. Sur notre site à Valence, nous avons en outre produit plus de 160 locomotives en 2021, principalement pour le transport de marchandises.
Vous avez ouvert une usine en Biélorussie en 2013. Problème: la Biélorussie soutient Vladimir Poutine dans la guerre en Ukraine. Le pays figure sur la liste des sanctions de la Suisse...
Nous avions décidé d’ouvrir une usine dans l’un des pays de l’ex-Union soviétique. Nous pensions que la Biélorussie était un bon choix. Avant le conflit, nous y avions jusqu’à 1800 collaborateurs bien formés. Malheureusement, le président Alexandre Loukachenko s’est trompé, il faut bien le dire. Sous ces sanctions, nous avons dû réduire massivement les activités de l’usine. Actuellement, nous n’avons plus que 200 employés. Nous avons transféré toutes les commandes dans notre usine en Pologne. Une partie des employés aussi. Un grand nombre d’entre eux sont des pères de famille. En tant qu’entreprise, nous avons également une responsabilité sociale.
Est-ce que la guerre en Ukraine va marquer la fin de votre usine, à terme?
Si seulement je le savais! Il y aura peut-être un coup d’Etat en Russie, et la guerre pourrait vite se terminer.
Votre «rêve en Biélorussie» s’est-il effondré, comme l’a écrit la «NZZ»?
Nous avons quinze usines dans le monde entier où nous construisons des véhicules ferroviaires. Nous devons maintenant réduire ce nombre. Le rêve ne s’est pas effondré. C’est un temps mort, comme on le dirait en hockey sur glace.
Regrettez-vous rétrospectivement votre collaboration avec le dictateur Loukachenko?
Ce n’a jamais été une collaboration avec un dictateur. Nous avons simplement cherché un site adapté pour notre usine. D’autres entreprises suisses vont en Chine ou en Russie. Là-bas non plus, on ne sait pas ce qui va se passer. En tant qu’entrepreneur, il y a toujours un risque résiduel lorsqu’on décide de s’installer dans un autre pays. En dix ans, la situation peut vite évoluer.
Vous êtes entré chez Stadler Rail en 1987. A l’époque, l’entreprise comptait 18 employés, aujourd’hui ils sont 13’000. Comment avez-vous fait pour parvenir à grandir de telle sorte?
Le plus important, ce sont les collaborateurs. Nous avons besoin des meilleurs ingénieurs, des meilleurs employés dans la production. Et un service commercial performant. Comme dans les sports d’équipe, c’est le groupe qui compte. Nous devons nous serrer les coudes, et traverser les périodes difficiles ensemble. En outre, il faut anticiper les nouvelles tendances très tôt et investir dans la technologie pour ne pas se laisser distancer. C’est ce que nous avons bien fait ces dernières années.
En 1987, l’industrie ferroviaire était au plus bas en Suisse. Etait-ce votre rêve de jeune entrepreneur de la faire à nouveau prospérer?
Non, c’était un hasard. Je viens d’un milieu modeste. Après mes études, j’ai d’abord goûté à l’industrie financière et j’ai vu que ce n’était pas pour moi. Par le biais d’un contact familial, j’ai atterri chez Stadler. J’ai ensuite obtenu de la banque cantonale de Thurgovie un crédit non couvert de 5 millions de francs. Je n’avais pas cet argent moi-même.
Qu’est-ce qui vous motive encore aujourd’hui?
J’ai du plaisir à travailler. Nous formons la jeune génération. Notre génération a pris de l’âge et nous sommes devenus plus lents, mais nous avons beaucoup d’expérience. Les jeunes ont plus d’énergie. Je veux leur transmettre notre culture du travail.
Avez-vous du mal à lâcher prise?
Je voulais quitter le poste de CEO à 60 ans. Mais ça n’a pas marché avec mon successeur. J’ai donc été CEO une nouvelle fois pendant presque trois ans. Ce fut un plaisir. Mais j’aurais aussi aimé me concentrer sur la stratégie. C’est désormais chose faite depuis le début d’année.
En parallèle, vous faites 1000 autres projets. Vous êtes notamment hôtelier au Florhof à Zurich, sponsor de la fédération de bob, investisseur dans la ZSC Arena et vous avez construit un chemin de fer à crémaillère pour le Walzenhauser-Bähnli. En parallèle, vous avez accueilli une famille de six réfugiés ukrainiens. Combien d’heures par jour travaillez-vous?
Je ne suis pas hôtelier. Je ne suis actif qu’en tant qu’investisseur. Et certainement jamais au service ou en cuisine, heureusement pour nos hôtes! Je soutiens le sport, tandis que d’autres soutiennent la culture. Je suis très actif dans le hockey. Autrefois, le bobsleigh garantissait des médailles olympiques. Actuellement, la fédération est plutôt en perte de vitesse. Cela me fait mal. C’est pourquoi je la soutiens. Les autres entreprises dans lesquelles je suis impliqué me donnent beaucoup plus de travail. Comme Autoneum, Aebi Schmidt et Rieter. Elles traversent des temps difficiles à cause de l’environnement toxique qui règne actuellement au niveau mondial.
Vous avez été conseiller national de 1999 à 2012. La Berne fédérale vous manque-t-elle?
Oui, c’est vrai. En novembre 2011, c’était la première crise monétaire. Je ne pouvais alors pas me permettre de poursuivre mes ambitions politiques et de laisser tomber l’équipe Stadler. J’ai alors décidé de me retirer lors de la quatrième législature.
Maintenant que la situation s’est rétablie, envisagez-vous un retour à la politique?
Non, non, non. C’est terminé, définitivement. Maintenant, c’est au tour des jeunes d’aller à Berne.
Qui sera le nouveau conseiller fédéral UDC, selon vous?
Nous avons deux ou trois très bons candidats. L’un d’entre eux s’imposera. Le canton de Berne a probablement l’avantage. Je m’entends très bien avec Albert Rösti, mais aussi avec les autres, par exemple avec Heinz Tännler. Nous avons une bonne équipe en lice.
Vous auriez pu devenir conseiller fédéral à plusieurs reprises, mais vous n’avez pas voulu. Pourquoi?
En tant qu’entrepreneur, on doit renoncer à beaucoup de choses. Je n’aurais pas été un bon conseiller fédéral. Je suis flatté que l’on pense que j’en suis capable. Mais je ne voulais vraiment pas. Il aurait fallu abandonner toutes mes fonctions au sein de l’entreprise. Ce prix était trop élevé pour moi. Et je n’aurais sans doute pas été heureux dans un environnement où l’on doit défendre le principe de collégialité.