Sanctions contre les oligarques russes
Lüscher accuse Sommaruga d'être une honte pour la Genève internationale

Carlo Sommaruga (PS) a déclaré devant des membres du Congrès américain souhaiter une pression extérieure pour que la Suisse participe plus activement aux sanctions contre les oligarques, provoquant une réplique cinglante d'un autre Genevois, Christian Lüscher (PLR).
Publié: 13.05.2022 à 16:14 heures
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Dernière mise à jour: 14.05.2022 à 20:59 heures
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Christian Lüscher, conseiller national PLR, n'a pas épargné son collègue socialiste.
Photo: keystone-sda.ch
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Jocelyn Daloz

Quelle est la différence entre une polémique et une tempête dans un verre d'eau? La perspective. Aux États-Unis, le briefing d'une commission parlementaire américaine sur la Suisse et ses liens avec la Russie est passée complètement inaperçu: à peine 250 personnes ont regardé la conférence en live sur YouTube.

En Suisse, en revanche, la «commission Helsinki» a provoqué la colère de la sphère politique: certains intervenants à leur débat n'ont pas hésité à accuser la Suisse d'être les «auxiliaires de Poutine», dont les banques et organes financiers qui permettraient aux oligarques de contourner les sanctions occidentales.

La réaction a été vive, au point que même Ignazio Cassis, président de la Confédération et ministre des Affaires étrangères, a fait part de son indignation auprès du secrétaire d'État américain, Anthony Blinken.

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Carlo Sommaruga appelle l'UE et les USA à faire pression sur la Suisse

L'affaire rebondit à présent à Genève. Pourquoi? Parce parmi les intervenants figure Carlo Sommaruga. Le conseiller aux États genevois, qui s'intéresse de longue date aux problèmes de blanchiment d'argent et de fraude fiscale en Suisse, a sollicité la parole au cours des débats pour prendre la défense du nouveau procureur général de la Confédération et souligner la nécessité de changer certaines lois.

Le socialiste a déposé ces dernières années plusieurs interventions parlementaires pour que l'activité des avocats autre que celle de représentation en justice, notamment après les Panama Papers, soit séparée des activités conventionnelles d'auxiliaires de la justice et ne soient pas protégées par le secret professionnel.

Lors de sa courte intervention auprès des parlementaires américains, il a souligné qu'au Parlement, il n'y a pas de majorité pour renforcer les lois. Il a estimé que la situation en Suisse ne se débloquera pas sans une «pression extérieure», et a invité l'Union européenne et les États-Unis à l'exercer.

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Ces propos ont profondément choqué Christian Lüscher, conseiller national PLR genevois. Dans un post Facebook, il a adressé une réponse cinglante à son confrère, se moquant au passage de son niveau d'anglais. Mais c'est surtout le fond de ses propos qu'il lui reproche, l'accusant même d'être une honte pour la Genève internationale.

«Je trouve cela complètement fou»

Contacté, Christian Lüscher persiste et signe: «Appeler à une pression extérieure pour que les choses changent dans son propre pays, je trouve ça complètement fou!» S'il précise que son tacle envers son confrère se veut «plutôt caustique», il déplore que l'intervention du socialiste genevois (y compris son accent), qui «se veut volontiers 'ministre des Affaires étrangères'», donne «une image désastreuse de la Genève internationale dont se proclame Carlo Sommaruga. C'est très problématique et si vous ouvrez le code pénal et lisez l'article 266, vous verrez que cela ressemble à une atteinte à l'indépendance de la Confédération.»

Article 266 du Code Pénal

L'article 266 se situe au Titre 13 du Code pénal intitulé «Crimes ou délits contre l’État et la défense nationale». Il stipule que «celui qui aura commis un acte tendant à porter atteinte à l’indépendance de la Confédération ou à mettre en danger cette indépendance, ou à provoquer de la part d’une puissance étrangère, dans les affaires de la Confédération, une immixtion de nature à mettre en danger l’indépendance de la Confédération, sera puni d’une peine privative de liberté d’un an au moins.»

L'article 266 se situe au Titre 13 du Code pénal intitulé «Crimes ou délits contre l’État et la défense nationale». Il stipule que «celui qui aura commis un acte tendant à porter atteinte à l’indépendance de la Confédération ou à mettre en danger cette indépendance, ou à provoquer de la part d’une puissance étrangère, dans les affaires de la Confédération, une immixtion de nature à mettre en danger l’indépendance de la Confédération, sera puni d’une peine privative de liberté d’un an au moins.»

L'avocat libéral-radical dit ignorer si cet article de loi s'applique à ce cas de figure. «Je ne sais pas si c'est pénal, mais en tout cas, c'est choquant et gênant», estime pour sa part Olivier Meuwly, membre du PLR vaudois. L'historien nous fait part de son étonnement pour l'engouement soudain pour les États-Unis qu'il constate à gauche de l'échiquier politique helvétique: «La gauche estime depuis longtemps que la Suisse est un pays perdu, qui a perdu son âme et qui ne sera sauvé qu'en s'inféodant aux puissances étrangères, notamment européennes.»

L'attrait pour l'Oncle Sam serait un élément nouveau au sein d'une mouvance politique historiquement plutôt encline à l'antiaméricanisme: «Cela rejoint l'actuel désarroi de la gauche qui veut que l'on brade la neutralité et qui voit les Américains comme des sauveurs.» Adrian Zimmermann, historien et membre du PS, juge l'analyse de son confrère quelque peu fantaisiste: «le PS n'a pas, contrairement au Parti du Travail, de position strictement antiaméricaine».

Au contraire, avance-t-il, il compte parmi ses membres illustres des gens comme Hans Oprecht, qui a collaboré avec l'OSS (l'ancêtre de la CIA) lors de la 2e guerre mondiale. Par ailleurs, il constate que la droite est prompte à reprocher à la gauche une supposée contradiction idéologique lorsque ses griefs envers la place financière suisse rejoignent ceux des États-Unis. «Cela est arrivé à Jean Ziegler, également. Alors qu'on connaît ses critiques virulentes envers l'impérialisme américain...»

La pression internationale, la seule voie possible

Carlo Sommaruga se défend en tout cas de toute action répréhensible et en appelle lui aussi au passé: «L'histoire nous a appris que la Suisse ne s'aligne jamais sur les standards internationaux sans intervention extérieure. La question des fonds juifs que les banques ne voulaient pas rendre aux ayants-droits ou à leurs survivants n'a été résolue que par la pression internationale, et ce fut pareil pour l'abolition du secret bancaire.»

Il juge tout à fait cohérent d'appeler des États partenaires de la Suisse comme les États-Unis et l'Union européenne à faire pression sur la Suisse pour qu'elle se conforme aux standards internationaux prônés notamment par le Groupe d’action financière (GAFI), dont la Suisse est membre, en matière de lutte contre le blanchiment et la criminalité financière. La tempête n'a pas fini de déborder du verre...

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