Les deux antennes s'écharpent
Hostile au burkini, la Licra française fait la leçon à son homologue genevoise

Le président de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), basée à Paris, reproche à ses homologues genevois de défendre le burkini. Ils répondent que ce sujet est anecdotique en Suisse et que la Licra doit lutter contre toute stigmatisation.
Publié: 07:09 heures
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Dernière mise à jour: 09:04 heures
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Mario Stasi, président de la Licra en France, s'est fendu d'un courrier à la Licra Genève.
Photo: Shutterstock
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Myret ZakiJournaliste spécialisée économie

Le burkini est source de dissensions entre les instances de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). La Licra France a manifesté son désaccord avec la Licra Genève à ce sujet. Ce qui a mis le feu aux poudres: une émission du 29 janvier, intitulée «Burkini dans les piscines, pour ou contre», sur la chaîne genevoise Léman Bleu. Quelques jours auparavant, le Conseil municipal genevois avait décidé d’autoriser le burkini dans les piscines publiques. Le Grand Conseil genevois avait pris la même décision en janvier.

«Instrumentalisation du débat»

Invitée pour en parler sur le plateau de l’émission, Carole Fumeaux, secrétaire générale de la Licra Genève, a rappelé que le burkini n’est pas un thème de préoccupation en Suisse, où la communauté musulmane est bien intégrée. «Cette opinion est partagée par la majorité de la classe politique et de la population, précise-t-elle, comme en atteste le vote du législatif genevois.» Pour Carole Fumeaux, «l’instrumentalisation d’un débat, importé de l’étranger, ne correspond pas à la culture suisse, faite de dialogue et de consensus.»

Durant l’émission, la secrétaire générale a été interpellée en des termes très vifs par Philippe Val, ancien rédacteur en chef de Charlie Hebdo, qui insistait pour lui faire dire que «le voile, la burqa et le burkini étaient «un signe de soumission.» Le chroniqueur a accusé son opposante de se taire «car sinon, son fonds de commerce» serait «menacé.» 

Il a évoqué les «femmes iraniennes qui meurent pour enlever leur voile», assénant à Carole Fumeaux qu’avec des amies comme elle, ces femmes «n’ont pas besoin d’ennemis.» Cette dernière a répliqué que la Licra Genève avait toujours soutenu le combat des femmes iraniennes ou kurdes, notamment «des femmes engagées sur le plan du féminisme, qui demandent aussi d’avoir une voix dans la définition de ce féminisme.» 

«Aucun accommodement»

Pour la secrétaire générale de la Licra Genève, «l’universalisme [au sens de la Licra] doit être un espace de dialogue, un espace dans lequel on peut aussi laisser une petite voix aux femmes musulmanes, qui ne sont pas toutes stupides, soumises ou asservies.»

Une position qui a déplu au président de la Licra en France, car il la juge «en contradiction avec les valeurs que défend la Licra.» Le 18 février, Mario Stasi envoie une lettre à la Licra Genève, qu'a obtenue Blick. «Il est totalement inexact et trompeur d'affirmer que la Licra défend le port du burkini au nom d'un certain ‘vivre ensemble’ (...), écrit-il. Notre organisation a toujours inscrit ses combats dans une tradition humaniste et émancipatrice.» 

Il souligne que la Licra «soutient le combat des femmes iraniennes pour regagner leur liberté contre le pouvoir obscurantiste des mollahs iraniens.» Et de conclure: «Notre combat universaliste ne supporte aucun accommodement. » En conclusion, il demande à Carole Fumeaux de «ne pas engager publiquement la Licra en défendant des valeurs contraires à l'association.»

Pas de lien juridique entre les deux

Au niveau juridique pourtant, les deux associations de Paris et de Genève sont entièrement indépendantes l’une de l’autre et il n’existe aucun lien institutionnel entre elles. En d’autres termes, la Licra Genève est autonome.

Contactée, la présidence de la Licra Genève a réagi aurpès de Blick. «J’étais très peiné de voir que le président de la Licra France ne m’a même pas téléphoné, avant d’écrire cette lettre, qui contient des contre-vérités, répond Manuel Tornare, co-président de la Licra Genève. Carole Fumeaux n’a jamais dit qu’elle était pour le burkini. Elle a respecté la décision du Conseil municipal et du Grand Conseil. J’aurais trouvé élégant qu’au préalable Mario Stasi prenne contact avec nous pour dissiper les malentendus.»

Manuel Tornare se dit très satisfait du travail de Carole Fumeaux. «Grâce à elle, en un peu plus d’une année, 3'000 élèves ont été sensibilisés au racisme et à l’antisémitisme dans les écoles.» L'association a accompagné une classe au camp de Terezin, financé un film sur la migration, mis sur pied un théâtre, organisé des dizaines de conférences, de Léon Saltiel à Hanna Assouline. «Le travail de notre section est reconnu par nos soutiens financiers et nos partenaires politiques», ajoute Manuel Tornare, pour qui ce dossier du burkini a pris des proportions injustifiées. «Il y a très peu de cas de personnes qui en portent à Genève.»

«Procès d'intention»

De son côté, Carole Fumeaux a répondu à Mario Stasi. Dans sa lettre, qu'a obtenu Blick, elle souligne avoir «toujours inconditionnellement soutenu les femmes en Iran ou dans tout autre pays dans lequel elles sont opprimées. » 

Plus généralement, elle déplore «le procès d’intention» qui lui a été fait sur le plateau, puis à nouveau dans la lettre de l'avocat parisien qui préside la Licra depuis 2017, et met en garde contre les amalgames qui consistent à glisser du burkini vers la burqa, vers l’excision, pour finir en procès contre des pratiques musulmanes. 

Elle cite un rapport écrit en 2003 par le député et médiateur de la république Bernard Stasi (1930-2011), oncle de Mario Stasi, qui conseille de «se garder des préjugés ou amalgames qui obscurcissent trop souvent le débat dans ce domaine.» Là où Mario Stasi ne tolère «aucun accommodement», elle note que le rapport de Bernard Stasi parle d'«accommodements raisonnables», visant à rechercher un consensus assurant l'intégration sociale, avec des espaces de dialogue où se discutent ces questions, dans le respect des droits humains.

«Créer du lien»

Carole Fumeaux rappelle que «le rôle d’une association telle que la Licra-Genève ne devrait pas être d’attiser la haine.» Son travail au sein de la Licra Genève sert d'abord à «créer du lien entre les communautés et combattre toute stigmatisation afin de lutter contre les discriminations, dans le respect de toutes et de tous.» En conclusion de sa lettre à Mario Stasi, elle espère avoir contribué «à dissiper des malentendus fâcheux entre personnes sans doute animées par le même désir profond de construire une société inclusive, tolérante et soucieuse de la défense des droits humains.» Contacté, Mario Stasi n'a pas répondu à nos sollicitations. 

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