«Bonjour à vous, bienvenue dans cette matinale du lundi 24 janvier. Au programme ce matin, on va parler d'inflation.» Ce matin, comme tous les matins de semaine depuis août 2017, c'est la voix de la journaliste Romaine Morard qui réveillait la Suisse romande à 6h tapantes sur RTS-La Première. C'était l'une des dernières fois.
A partir de vendredi, sa collègue Valérie Hauert prendra le relais, ad interim. Après avoir été correspondante au Palais fédéral et présenté «Infrarouge» ou les journaux du week-end à la télévision, Romaine Morard reviendra sur le petit écran — et sur le web — dès la rentrée avec une nouvelle émission centrée autour d'une interview. A l'heure du bilan, Blick a pu s'entretenir avec elle lors d'un appel vidéo d'une trentaine de minutes. Au programme cet après-midi, rires et confidences remplacent sa sieste habituelle...
Romaine Morard, vous vous êtes levée ce matin à 2h38, comme à votre habitude en semaine pour prendre l’antenne à 6h. Il est 13h30, comment vous sentez-vous?
Quand tout va bien, à cette heure-ci, je sors de la sieste. Si elle est bonne, je suis en forme. Mais là, je ne l’ai pas faite parce que j’ai dû répondre à quelques interviews. Donc je vis sur mes acquis! (Rires)
Vous êtes mère de deux enfants de 7 et 10 ans. Un tel rythme a forcément un impact sur la vie d’une famille. Comment le vivez-vous?
Oui, ça a un impact. Mais ce rythme n’est pas forcément un mal pour les enfants — et je dis bien, pour les enfants… C’est vrai, ils n’ont pas leur maman au réveil, mais ils l’ont tout le reste de la journée; pour faire les devoirs, les nourrir, les baigner et même les coucher puisque je vais au lit en même temps qu’eux, vers 20h30. Ils n’ont pas à se plaindre.
Vos enfants se portent donc bien, ça fait plaisir de l’entendre. Mais vous, comment allez-vous? Comment faire pour rester en bonne santé lorsque l'on travaille la nuit?
Vous faites bien de poser la question… Vous savez, quand vous travaillez la nuit, il ne faut surtout pas aller lire les études qui parlent des effets que cela peut avoir sur votre santé. Vous augmentez vos risques de cancer, de maladies coronariennes, de diabète, etc. Quand j’ai commencé à présenter «La Matinale» en août 2017, ma collègue Valérie Droux (chargée de la revue de presse, ndlr.) m’a tout de suite dit qu’il fallait faire attention à soi. Vous ne pouvez pas vous réveiller toutes les nuits pour aller travailler sans que cela ait un impact sur votre corps.
Vous avez eu des problèmes de santé?
Pas aussi précisément, mais il faut être attentif.
Durant le deuxième semestre de 2021, vous avez disparu quelques semaines de l’antenne. Pourquoi?
J’avais besoin de dormir. Vous savez, le sommeil est une fine dentelle. Lorsque vous occupez ce poste, il faut pouvoir récupérer durant les week-ends et les vacances. Or quand cette machine s’enraye… C’est ce qui m’est arrivé. J’allais me coucher, épuisée, le soir, mais je n’arrivais pas à m’endormir. Et toutes les nuits, je me réveillais automatiquement vers 2h30. J’ai dû remettre mon sommeil à l’endroit, me remettre dans un rythme normal. C’est comme ça que j’ai pu me relever. Ceci dit, je ne veux pas donner l’impression de me plaindre, je ne me plains pas. Animer «La Matinale», c’est un rythme de dingue, mais je l’ai fait avec passion, envie et j’ai eu énormément de plaisir. Et pour le faire bien, avec un haut niveau d’exigence, il faut avoir lu les journaux, sentir l’air du jour à venir. Ça, vous ne pouvez pas le faire la veille.
Jeudi, vous animerez votre dernière «Matinale». Ces derniers jours, vous ne souffrez plus?
Ce n’est plus une souffrance. Mais j’ai envie de retrouver un job et un rythme plus naturels.
L’heure est donc au bilan. Durant ces quatre ans et demi de «Matinale», quels événements vous ont particulièrement marquée?
J’adore être dans l’événement. Le matin, vous vivez le truc et vous le faites vivre aux gens. Il y a eu des moments merveilleux. Par exemple, la victoire de la Suisse contre la France en huitièmes de finale du dernier Euro. J’ai vibré devant ce match, qui s’est terminé à minuit. Et à 1h du matin, il faut trouver et contacter l’invité du lendemain. J’ai dormi une heure et demie. Mais ce matin-là, j’étais portée.
Allez, vous avez sûrement encore une autre belle histoire à nous raconter...
Il y a aussi eu le matin de l’élection de Karin Keller-Sutter et de Viola Amherd au Conseil fédéral. Nous étions en direct depuis Berne. Et il s’est vraiment passé quelque chose, nous l’avons senti. Ce qui arrivait était bien: le Parlement avait décidé d’élire deux femmes au gouvernement.
Mais il y a aussi eu des moments moins heureux à annoncer, à décrypter, à analyser, forcément…
C’est difficile de ne pas parler du Covid. Le matin du 17 mars, quand nous avons pris l’antenne, nous savions que tout le monde était à la maison, y compris les enfants (le Conseil fédéral avait tout fermé, y compris les écoles, la veille, ndlr.). Et nous devions dire aux parents et aux grands-parents qu’il fallait qu’ils restent chez eux. Aujourd’hui, nous avons du recul, mais à l’époque, on ne savait pas encore très bien ce qui se passait… Nous avons reçu pas mal de messages émouvants. Les gens nous disaient: «Vous êtes là et vous souriez, ça nous fait du bien.» Nous appartenions à une normalité disparue.
Les temps semblent bien avoir changé depuis votre première «Matinale». Les années Trump et le Covid ont notamment laissé des traces. Pour vous, qu’est-ce qui démontre le mieux ces évolutions?
Ça va paraître bateau, mais je vais quand même dire que c’est l’agressivité du ton avec lequel les gens se parlent. Bien sûr, il y a les réseaux sociaux, mais pas que. J’ai été correspondante parlementaire; quand je vois les femmes ou les hommes politiques se faire agresser, ça m’affecte.
Vous la vivez, vous, cette agressivité?
Non. Honnêtement, je ne la vis pas. A part quelques mails pour critiquer un «bronzage indécent» à mon retour de vacances ou la couleur de mon vernis à ongles. Mais dans ce contexte, on se pose des questions. Comment faire pour dépasser le scepticisme envers les médias? Je pense que l’idée est de garder un niveau d’exigence élevé et d’être irréprochable.
Vous avez mené d’innombrables interviews. Quelle personnalité vous a le plus touchée?
(Elle marque un temps d’arrêt) Ah… Ça, c’est la question piège. Que je pose toujours mais que je devrais arrêter de poser parce qu’elle est difficile…
Je prends exemple sur vous!
Durant «La Matinale», le temps vous est compté. Mais j’ai fait un podcast où je m’entretenais avec des femmes. Ma rencontre avec Christiane Brunner (ancienne présidente du Parti socialiste suisse et candidate malheureuse au Conseil fédéral, ndlr.) a beaucoup compté pour moi. Elle parle avec une telle franchise. Tout ce qu’elle a vécu, c’est un truc de fou. Elle s’est battue pour toutes les femmes, sans distinction.
Et la personnalité la plus difficile à manœuvrer, c’était qui?
Thomas Piketty (économiste star français de gauche, ndlr.). C’est mon collègue Xavier Alonso qui lui posait les questions. Il était là pour une demi-heure avec nous, mais, à un moment donné, je me suis dit que j’allais le remercier et lui dire au revoir. Il n’a pas été cool du tout. Il n’a pas été courtois parce qu'il n'a visiblement pas aimé certaines questions. Nous, les journalistes, nous ne sommes pas là pour servir la soupe aux personnes que nous invitons. Nous devons prendre le contre-pied de leurs idées pour les questionner.
En parlant d’entretiens… Vous allez travailler sur un nouveau projet, un nouveau concept d’interview pour la télé et le web. Ça ressemblera à quoi?
J’aimerais pouvoir prendre plus de temps avec mes invitées et invités. J’aimerais pouvoir m’asseoir sans être prise dans la machine à laver de l’actu. Prendre de la hauteur.
Vous êtes prête à affronter Vladimir Poutine ou Joe Biden?
Je ne peux pas vous en dire beaucoup plus. Le projet va s’écrire ces prochaines semaines. Mais je pense que je recevrai des personnalités suisses, plutôt.