Les deux initiatives agricoles n’avaient quasiment aucune chance de victoire dans les urnes: elles ont été clairement rejetées. La victoire de l’initiative pour une eau potable aurait provoqué la diminution des paiements directs aux agriculteurs qui utilisent des pesticides. L’initiative pour l’interdiction de l’utilisation des pesticides de synthèse a également échoué.
Les agriculteurs ont l’habitude de gagner
Pour les initiateurs, la défaite est amère, surtout après des années d’engagement. Le président des agriculteurs, Markus Ritter, a pourtant l’habitude de gagner. Les agriculteurs sont l’une des forces politiques les plus influentes de Suisse.
Hormis la défaite de l’année dernière face la loi sur la chasse, l’Union suisse des agriculteurs (USP) a presque toujours obtenu gain de cause dans les urnes. Un bilan qui rend jaloux les autres lobbyistes. Les entreprises et les organisations ne cessent de demander à l’USP des conférences et des conseils pour réussir leurs opérations de lobbying et des campagnes fructueuses. Après le vote de dimanche, la demande risque à nouveau d’augmenter.
Ritter, le maître du maquignonnage
Pour Urs Schneider, directeur adjoint de l’USP et responsable de la campagne, la recette du succès est courte: «Il faut une bonne organisation, de bons arguments, de l’unité, et de la passion», dit-il.
Si Schneider parle avec légèreté du sujet, c’est parce qu’il sait bien qu’en réalité les choses ne sont pas aussi simples. M. Ritter, le président de l’association, est considéré comme l’un des plus fins stratèges sous la coupole du Palais fédéral. Le propriétaire d’une bonne vingtaine de vaches laitières est un maître du maquignonnage et agit avec une main de fer dans un gant de velours.
Le Suisse le plus influent est un agriculteur
Le président de l’USP peut également compter sur un large soutien au sein même du Parlement fédéral. Pas moins de 13% des parlementaires sont des agriculteurs ou représentent des intérêts agricoles. Cela signifie que les agriculteurs sont quatre fois plus représentés au Parlement qu’au sein de la population. Le «Club agricole» du Parlement, une véritable machine de lobbying de l’USP, compte 100 parlementaires parmi ses membres.
Actuellement, l’USP compte même dans ses rangs l’un des Suisses les plus haut placés: le Président du Conseil national Andreas Aebi (UDC). L’agriculteur a perdu face à Ritter dans la course à la présidence de l’USP en 2012. En tant que président de la grande chambre, il a son mot à dire sur les affaires traitées par le Parlement et sur le moment où elles sont étudiées. Il a récemment fait en sorte que les affaires environnementales importantes soient reportées après le vote de dimanche.
130 employés et un budget de 17 millions de francs
Outre les aspects politiques, l’USP – dont le siège se trouve à Brugg (AG) – peut compter sur un capital financier non négligeable. En 2020, l’USP disposait d’un budget d’environ 17 millions de francs, dont près de 6 millions étaient apportés par les familles paysannes sous forme de cotisations. Selon M. Schneider, plus de 95% des quelques 50’000 exploitations agricoles de Suisse sont affiliées à la SBV, ainsi que de nombreuses organisations membres (dont la coopérative agricole Fenaco, qui réalise un chiffre d’affaires annuel d’environ 7 milliards de francs). L’USP emploie 130 personnes, dont une soixantaine à temps plein. À titre de comparaison, l’organisation faîtière Economiesuisse compte environ 70 employés.
Schneider ne souhaite pas divulguer les sommes que l’USP a investies dans la campagne contre les initiatives sur les pesticides. Ce qui est clair, en revanche, c’est qu’il s’agit de la plus grande campagne jamais menée par l’association au cours de ses presque 125 ans d’existence. Dès 2018, des dispositions ont été prises pour la bataille contre les initiatives sur les pesticides et un bureau de relations publiques a été mis en place pour lancer une campagne préliminaire.
Collecte de fonds pour la campagne
Le vice-directeur Schneider a souligné qu’une grande partie de l’argent de la campagne référendaire provenait des agriculteurs eux-mêmes. L’USP avait lancé une campagne de collecte de fonds avec une suggestion de contribution peu contraignante à 50 francs par famille paysanne. Néanmoins, «pas un seul franc» n’est venu des industries pharmaceutiques et chimiques, précise bien Schneider. Parce qu’ils étaient «exclusivement au service des familles des agriculteurs».
Une contribution de ces industries ne s’est même pas avérée nécessaire. Les fabricants de pesticides tels que Syngenta et Bayer, mais aussi les producteurs alimentaires, ont mené leurs propres campagnes en parallèle. Ensemble, ils ont réussi à faire (largement) échouer les initiatives sur les pesticides.