C’est une affaire qui a fait les gros titres des journaux suisses: un médecin criblé de dettes met le feu à sa villa sur le Zürichberg et se suicide ensuite. Selon «20 Minuten», il auscultait encore des patients la veille. Pourtant, ce cardiologue de 65 ans s’était vu retirer depuis longtemps le droit d’exercer sa profession. Ses patients n’en savaient rien.
Il existe bien, depuis 2018, un registre public des médecins, le «Medreg», dans lequel il doit être précisé si un médecin dispose d’une autorisation de travail «en responsabilité professionnelle propre». Cela signifie qu’il peut exercer de manière indépendante. En cas de retrait de cette licence, l’information doit également être inscrite dans le registre. C'est ce que requiert la loi afin de protéger les patients de médecins frauduleux.
Seulement voilà: dans le cas du cardiologue zurichois, le registre mentionne qu'il n'y a «Pas d'indication» au sujet de sa licence. Et ce alors que l’homme avait déjà fait l’objet d’une dénonciation par le département de la santé du Canton de Zurich pour avoir exercé malgré le retrait de sa licence.
Toujours en activité malgré le retrait de l’autorisation
Et il n’est pas le seul. Le comparateur de prix et de prestations Comparis tient depuis plusieurs mois une liste noire de médecins qui se réfère au Medreg. Comparis a commencé à nourrir des soupçons lorsqu’un médecin demeurait introuvable sur la liste. Les experts ont alors cherché d’autres cas, et ils ont fini par en trouver.
En témoigne le cas de ce médecin, condamné pour acte d’ordre sexuel sur personne incapable de discernement ou de résistance. Il avait attouché sexuellement une patiente sous anesthésie et sa condamnation a même fait l’objet d’un arrêt du Tribunal Fédéral.
Ou cet autre médecin ayant effectué un examen vaginal sur une jeune femme venue au cabinet pour… un rhume. Selon le journal zurichois «Zürcher Unterländer», ce dernier a continué à exercer son métier de médecin de famille des mois après le verdict, sous la condition qu’il ne traiterait plus de patientes.
Dans les deux cas, le registre n’indique aucune indication sur l’autorisation de pratiquer.
Au total, Comparis a trouvé près de dix cas de médecins dont la licence aurait dû être révoquée, la majorité continuant d’exercer. Peut-être aussi en tant qu’employé, car cela est également possible sans licence.
Les patients n'ont toutefois aucun moyen d'accéder à cette information. Comparis accuse l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et les cantons responsables des registres de ne pas remplir leur mandat légal. «Pas d’indication» signifie pas d’information, et cela «frise la tromperie», déclare Felix Schneuwly, le responsable des relations publiques et porte-parole de Comparis.
En cas de doute, demandez
L’affaire est doublement confuse car l’OFSP fournit des liens vers deux registres: En plus de Medreg, il y a aussi Medregom. Et là où le premier dit «pas d’indication», Medregom dit correctement «pas d’autorisation».
L’OFSP affirme qu’il s’agit du même registre, bien qu’une des versions soit un peu plus à jour. Le projet est de fusionner les deux dès l'année prochaine. Les données sont pourtant identiques, il s’agit simplement d’une question de formulation différente. Schneuwly ne comprend pas. «Cela ne fait que créer de la confusion», critique-t-il. Et encore: «La mise à jour et l’exhaustivité des informations contenues dans les deux registres sont insuffisantes.»
Le fait qu’il n’y ait pas de licence répertoriée ou que la licence ait été retirée peut faire une énorme différence. En effet, dans le cas d’une indication manquante, les patients doivent se montrer vigilants. Si le registre indique un retrait d’autorisation, les patients doivent être méfiants.
Daniel Tapernoux, de l’Organisation suisses des patients (OSP), déclare qu’une indication manquante quant à l’autorisation de pratiquer peut créer des problèmes avec les assureurs, qui refusent souvent de paier la facture. Tapernoux critique également les deux registres, qu’il juge «peu pratiques».
Autorisation retirée: alerte rouge!
Les retraits d’autorisation sont rares en Suisse, avec moins de 100 cas par an. Il faut en effet, une bonne raison, comme du harcèlement, des erreurs grossières de traitement ou des cas de détournements de fonds. Cependant, un médecin peut visiblement s’en prendre à une patiente anesthésiée sans que son crime soit référencé dans un registre.
Selon le canton de Zurich, ceci est dû au fait que l’arrêt du Tribunal fédéral ne concernait pas la licence cantonale. En d’autres termes, la condamnation pénale était insuffisante: tant que la procédure administrative concernant le retrait n’est pas terminée ou entrée en vigueur, il ne sera pas touché au registre. Pour la protection fédérale des données, l’information sur le retrait de l’autorisation est la seule information essentielle en terme de protection des patients.
Pour Schneuwly de Comparis, cela met en danger la santé publique. «Les patients doivent être informés adéquatement des retraits d’autorisation», critique-t-il. «Sinon, ils risquent de se retrouver avec un médecin nocif.» Comparis envisage maintenant de baser sa propre liste noire sur Medreg, qui utilise au moins une formulation plus claire et dans laquelle apparaissent plus de médecins sans licence.