Le secteur financier a façonné l’image de la Suisse comme aucun autre. Au point qu'il n'est pas rare que les méchants des films holywoodiens s'envolent vers Genève ou Zurich pour mettre leur argent sale dans les coffres-forts des banques suisses.
Afin de ne pas être mis au ban de la société pour avoir aidé des politiciens corrompus, des fraudeurs fiscaux et d’autres criminels, le Conseil fédéral a adopté fin 2009 – sous la pression massive des pays étrangers – la «stratégie de l’argent blanc» et a créé le Secrétariat d’État aux questions financières internationales (SFI) pour la mettre en œuvre.
Le SFI devait non seulement veiller à ce que la place financière suisse se passe à l’avenir d’argent sale étranger, mais aussi élaborer «des bases pour la réglementation des marchés financiers» et participer «aux efforts internationaux de lutte contre la criminalité financière».
SFI et banques communiquent beaucoup
Mais depuis, le SFI – qui a rendu compte ces sept dernières années à Ueli Maurer, et depuis le début de l’année à la nouvelle ministre des Finances, Karin Keller-Sutter - semble se focaliser sur son rôle de défenseur et de promoteur de la place financière suisse. C’est en tout cas l’impression que donnent les e-mails échangés entre la secrétaire d’État Daniela Stoffel et des représentants de haut rang du secteur financier.
Dans ces messages, que Blick a pu consulter en vertu de la loi sur la transparence, la cheffe du SFI discute avec des représentants de la branche de rapports médiatiques critiques. Par exemple, en juin 2021, Daniela Stoffel demande à un banquier d'UBS: «Cher […]. Peux-tu me replacer brièvement dans le contexte? Y a-t-il quelque chose à discuter?» L'objet du mail est un article de journal intitulé: «Vilaine défaite pour UBS en France.»
Les explications de l’homme d’UBS, dont le nom a été caviardé par la Confédération, ne se font pas attendre. À la fin du mail, l’homme de la place financière zurichoise écrit amicalement: «Serait-il utile que […] dans un catch-up sur les priorités actuelles, peu après la pause estivale, tu sois également informée des dernières évolutions concernant le jugement?»
La Suisse a encouragé les crypto-activités
Fin janvier 2022, la cheffe du SFI discute d’un article critique du «Financial Times» sur la «Crypto Valley» à Zoug. Cet article souligne que la Suisse a beaucoup fait ces derniers mois pour encourager les crypto-activités, alors que d’autres pays ont tenté de les endiguer.
L'auteur de l'article trouve cela délicat, car les cryptotechnologies sont de plus en plus au cœur de «flux financiers mondiaux illégaux». Sa conclusion: «Les activités en lien avec des cryptomonnaies pourraient conduire la Suisse à retomber dans son sombre passé financier.»
Un représentant de la banque privée zurichoise Vontobel est alerté et écrit à Berne le 26 janvier 2022: «Chère Daniela […] À mon avis, la place financière et les institutions étatiques doivent prendre cette remarque extrêmement au sérieux.»
Daniela Stoffel répond en quelques minutes: «Cher […], nous avons discuté de cet article en interne aujourd’hui. Le 'Financial Times' est stratégiquement très critique à l’égard de la place financière suisse.»
Journaliste directement contacté
Le SFI prend également directement contact avec le journaliste du «Financial Times» et attire son attention sur une fiche d'information dans laquelle il est notamment indiqué que «pour la Suisse, l’intégrité de la place financière est centrale». Le chef de la communication écrit poliment, mais fermement: «Merci de bien vouloir tenir compte de ces informations lorsque vous écrirez à nouveau sur la place financière suisse.»
Un membre de l’Association suisse des banquiers (ASB), également sur la liste de diffusion, apprécie cette démarche: «Chère Daniela. Merci beaucoup pour votre intervention auprès du 'Financial Times'», écrit-il le lendemain. Il prévient toutefois que le «Guardian» et la «Süddeutsche Zeitung» prévoient d’autres «articles critiques sur le thème du blanchiment d’argent et de la place financière suisse».
Des contacts avec une douzaine d'institutions
Des représentants de la place financière et des hauts fonctionnaires conseillent sur la manière d’aborder les médias critiques. Est-ce une pratique courante? Le SFI minimise ces contacts: «La secrétaire d’État a été interpellée à ce sujet (ndlr: l’article du 'Financial Times') par la branche et a renvoyé de son côté à la fiche d’information du SFI sur la réglementation suisse en matière de blockchain, déjà mise en ligne auparavant», explique brièvement le service de presse.
Ce n’est toutefois qu’une partie de la vérité. Blick le sait grâce aux documents consultés: au total, la secrétaire d’État Daniela Stoffel a eu des contacts par e-mail avec plus d’une douzaine d’établissements financiers entre janvier et août 2022.
Risque de conflit d'intérêts?
Il n'y a rien d'illégal dans ces échanges. Mais cela soulève la question de savoir s’il existe une distance nécessaire entre l’autorité et la place financière. Car le SFI n’a pas seulement pour mission de représenter sur la scène internationale «les intérêts de la Suisse dans les questions financières, monétaires et fiscales» et de s’engager en faveur de «bonnes conditions-cadres». Il est également responsable de l’élaboration de la réglementation des marchés financiers. À cet égard, il est étrange que la cheffe du SFI semble aussi proche de la place financière zurichoise - et que certains représentants des institutions bancaires de la Paradeplatz la tutoient.
Mais cela n'est pas nouveau. Le prédécesseur de Daniela Stoffel à la tête du SFI, Jörg Gasser, fonctionnaire fédéral de longue date, entretenait lui aussi une excellente entente avec la Paradeplatz. En 2019, il a même été récompensé en étant désigné CEO de l’Association suisse des banquiers. Cette semaine, on a appris que Jörg Gasser quitterait son poste dans quelques semaines. Marcel Rohner, président de l’ASB et ancien CEO d’UBS, a pour mission de lui trouver un successeur. Le nom de Daniela Stoffel devrait figurer sur la liste des candidats.