Faire du shopping un samedi après-midi? Lorsque l’on peut se le permettre, c’est une activité du week-end qui semble plutôt récréative. Un nouveau pantalon par-ci. Une nouvelle veste par là. Et tiens, pourquoi ne pas prendre le pull qui irait bien avec…
Mais mettre la main au porte-monnaie aussi facilement peut parfois être l’arbre qui cache la forêt. Pour certaines personnes, le shopping devient une addiction. Et donc un gros problème. Surtout sur le plan financier.
Emma N.* a accepté de témoigner auprès de Blick. Cette femme de 56 ans souffre d’une dépendance aux achats depuis plusieurs années. Elle n’a pas vu la chute arriver, se désole-t-elle. «C’était un processus vicieux, glisse-t-elle. À un moment donné, je ne me sentais bien que lorsque j’achetais quelque chose.»
Un travail stressant comme déclencheur
Emma a parcouru le monde entier pour son travail, narre-t-elle. «Je travaillais dans le management, explique-t-elle. C’était très, très stressant.» La cinquantenaire estime que ses conditions de vie ont favorisé le développement de son addiction. Elle ne veut cependant ni en dire plus sur la nature de son ancienne activité, ni montrer son visage. Par pudeur, précise-t-elle.
Lors de ses voyages d’affaires, Emma révèle avoir fait du «powershopping» dans un aéroport. Concrètement, elle aurait claqué des milliers de francs en vêtements, sacs et chaussures en tout genre. Quel était l’effet recherché? Cela lui aurait permis de se sentir libre. «Quand j’achète quelque chose, un barrage cède, image-t-elle. Je ne peux alors plus m’arrêter.»
Emma précise qu’elle évoluait à ce moment-là dans un monde très superficiel. De plus, son travail impliquait de brasser de grosses sommes. «Je ne percevais plus l’argent à sa juste valeur», regrette-t-elle.
Peu importe ce que l’on porte
En 2014, après un épuisement professionnel et la perte de son emploi, elle décide de prendre son addiction en charge. Elle se fait admettre dans les cliniques psychiatriques universitaires (UPK) de Bâle, seul endroit en Suisse où l’on peut faire soigner les addictions comportementales en milieu hospitalier.
Là-bas, on lui confisque toute sa garde-robe. On la range dans des sacs-poubelles. Chaque matin, l’éducatrice en sort un haut et un pantalon. Ce seront les habits du jour d’Emma. «On a ainsi voulu me montrer que ce que l’on portait n’avait pas d’importance», se souvient la Suissesse. Son envie d’acheter de nouveaux vêtements diminue progressivement. «C’était cela, la vraie libération», soupire-t-elle.
Entre-temps, elle parvient à maîtriser ses dépenses. Et commence à rembourser ses dettes. Mais la dépendance n’a pas pour autant totalement disparu. «L’idée est toujours dans un coin de ma tête», sourit-elle tristement. Les soldes sont une période particulièrement difficile pour elle, ajoute-t-elle.
En ce moment, elle est toujours dans le rouge. «Je n’ai donc plus autant d’argent à disposition. Forcément.» Mais, par sécurité, Emma ne possède plus de carte de crédit et ne fait plus d’achats sur facture.
Le solde du compte est négatif
Beatrice W.*, 28 ans, n’en est pas encore là. Il y a quatre ans, la psychothérapeute de cette jeune femme a abordé pour la première fois le sujet de la dépendance aux achats. Beatrice suivait alors une thérapie pour des problèmes d’anxiété. Elle ne prend d’abord pas sa praticienne au sérieux.
«À peine ai-je payé mes factures que je suis presque toujours à découvert», révèle-t-elle. La barre peut descendre jusqu’à 3000 francs, chiffre-t-elle. Mais cela ne semble pas déranger sa banque. Et elle n’a que des dettes «minimes» envers son père, assure-t-elle.
Pas envie de retourner les marchandises
Beatrice W. fait surtout du shopping en ligne. Sa motivation: les réseaux sociaux. Les compliments pleuvent de partout. Pour ses tenues, l’aménagement de son appartement, sa Mercedes classe A. Une voiture qu’elle peut se permettre de conduire grâce à un contrat en leasing.
Derrière la porte de son appartement, les paquets s’empilent. Même si tous les vêtements qu’elle a reçus ne lui vont pas parfaitement, elle a voulu les garder. Elle soupire. «Je ne voulais pas les renvoyer!»
La presque trentenaire vient de déménager. Beatrice voulait prendre un nouveau départ et, notamment, mieux maîtriser sa dépendance. Mais pour son nouveau chez-elle, elle s’est tout de même offert quelques cadeaux. «J’ai dépensé 1000 francs pour aménager un salon luxueux sur mon balcon, admet-elle. Je le regrette aujourd’hui.»
Jusqu’à présent, la jeune femme n’a pas pu renoncer à sa carte de crédit. «J’ai peur de ne pas pouvoir m’en passer», avoue-t-elle à demi-mot. Il y a des années, avec un salaire de 3800 francs, elle aurait reçu une carte d’une limite de 6000 francs. «C’est quand même dingue qu’on puisse faire cela», estime-t-elle. Mais sa peur de ne pas avoir de carte de crédit l’empêche de faire traiter sa dépendance aux achats par un thérapeute.
Dettes… ou pas
«C’est l’idée de l’achat qui obsède les acheteurs compulsifs», souligne Renanto Poespodihardjo, thérapeute à l’UPK de Bâle. L’acquisition d’un nouvel objet les hante. Ce fort désir d’acheter s’appelle un craving. Le shopping active le système de récompense du cerveau. Raison pour laquelle les dettes n’empêchent pas beaucoup d’entre eux de jeter leurs sous par les fenêtres.
Au cœur de la maladie: la publicité, omniprésente aujourd’hui. Dépenser est encouragé par la société. Raison pour laquelle l’addiction n’est guère prise au sérieux. «Le shopping est considéré comme très positif», avance Renanto Poespodihardjo. Beaucoup de personnes ne réussissent donc pas à faire le lien entre le shopping et une maladie psychique comme la dépendance. De plus, les acheteurs compulsifs ne correspondent pas à l’image que la société se fait des personnes dépendantes. Au contraire, elles ont l’air bien dans leurs baskets. Parce que celles-ci sont souvent très belles.
Trop peu de centres de conseil
Selon le thérapeute, il est important que les personnes concernées aient un accès simplifié aux centres de soin. «Actuellement, il y a encore beaucoup trop peu de centres spécialisés dans la dépendance aux achats», estime-t-il. Outre les hôpitaux de Bâle, les personnes peuvent trouver du soutien auprès de services de consultation en matière de dépendance, précise-t-il.
Autre suggestion pour limiter les dégâts: solliciter le monde politique. «Pour la dépendance aux jeux d’argent, il y a chaque année une campagne nationale. En revanche, rien n’est fait pour la dépendance aux achats», persifle Renanto Poespodihardjo.
La dépendance aux achats serait pourtant plus répandue que les autres addictions comportementales. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) estimait en 2019 que 5% de la population était accro au shopping. D’autres études avancent un chiffre plus élevé. À titre de comparaison, 0,8% de la population est concernée par une dépendance aux jeux d’argent.
*Nom modifié par la rédaction