«J’ai fait opposition dans des dizaines de cas, j’ai beaucoup de procédures en cours même jusqu’au Tribunal fédéral. Jamais je n’ai vu Swisscom abandonner aussi mollement et facilement un projet d’antenne, même contesté.»
Chantal Blanc est la fer de lance des anti-5G en Suisse romande. Cette Fribourgeoise qui veut «défendre ses enfants» est une stakhanoviste de l’opposition: elle a déposé des dizaines de recours, n'hésitant pas à aller jusqu'au Tribunal fédéral. Car les opérateurs, en face, ne lésinent pas sur les moyens, ce qui oblige Chantal Blanc et ses semblables à passer à la caisse. «Chaque dossier nous coûte des milliers de francs», explique-t-elle à Blick.
Une opposition partout vaine jusqu’ici sauf à… Belfaux, localité fribourgeoise connue pour compter parmi ses citoyens le conseiller fédéral Alain Berset. Et dans ce dossier, ce n’est pas anodin, puisque le ministre de l’Intérieur habite à quelques centaines de mètres de l’objet du courroux. Il figure surtout parmi les quatre signataires d’une lettre d’opposition à l’implantation d'une installation de Swisscom. «Il s'agit d'une antenne 4G qui aurait pu être par la suite transformée en antenne 5G sans nouvelle mise à l’enquête, comme cela s’est produit à bien des endroits grâce à une législation datant de 2013», rappelle Chantal Blanc.
«Délétère sur l'humain et l'animal»
C’est donc en qualité de citoyen que le conseiller fédéral, avec trois membres de sa famille domiciliés au même endroit, a formulé une opposition auprès de la commune. Dans le document que Blick a pu consulter, les signataires n'évoquent pas la 5G — une technologie qui n'était pas encore déployée en 2018 — mais avancent six arguments pour contrer l'implantation de l'antenne: outre l’emplacement choisi (proche d'une école et d'une crèche notamment), ils mentionnent l’atteinte au paysage et au bâti mais aussi un impact sur la santé. «Les ondes électromagnétiques d’origine technologique, en particulier celles émanant de la technologie pour la téléphonie mobile, ont des effets délétères sur l’humain et l’animal».
Une phrase noyée dans un long courrier de 3 pages et demi, mais qui est particulièrement marquante lorsque le document est paraphé par Alain Berset. Lire le ministre de la Santé en personne et en exercice reconnaître un impact des rayonnements non ionisants de la téléphonie mobile sur les humains et les animaux constitue de la musique aux oreilles de Chantal Blanc. Même si la famille Berset s'opposait avant tout pour des raisons d'emplacement, la militante y voit un précieux coup de pouce alors que le vent est défavorable aux anti-5G. Une motion PLR va être traitée prochainement à Berne pourrait faire augmenter les valeurs limites d'installation de 5 volts par mètre jusqu’à 20 v/m.
Alors qu'un premier rapport officiel disponible sur la 5G a récemment démontré que les nuisances ont diminué grâce à cette technologie, Chantal Blanc est toujours aussi pugnace. «Vous savez, des études à foison expliquaient que le tabac n’était pas du tout nocif au XXe siècle. Nous, les anti-5G, n’avons pas les moyens de créer des études de toutes pièces, contrairement au camp d’en face.»
«Jamais Swisscom n'avait lâché l'affaire»
La Fribourgeoise tient à souligner qu’elle ne vise pas Alain Berset et n’insinue pas du tout qu’il y ait eu une intervention de la part du ministre de la Santé. Au contraire, elle «le remercie pour son opposition». Pourtant, la phrase sur la nocivité potentielle de la technologie mobile n’est de loin pas l’argument principal du courrier de la famille Berset.
«Cette lettre, datant d’avril 2018 et signée — entre autres — par Monsieur Berset dans le cadre d’une procédure de mise à l’enquête, s’appuie essentiellement sur le fait que l’emplacement retenu pour la construction était jugé inadéquat», confirme Christian Favre, porte-parole. Le communicant précise que le conseiller fédéral a simplement rappelé que «le bon respect des normes de rayonnement est essentiel, car il permet d’écarter tout risque pour la santé, comme c’est le cas actuellement.» Une phrase effectivement contenue dans le document.
L’autre fait majeur qui a titillé Chantal Blanc, c’est la facilité avec laquelle Swisscom a lâché l’affaire. «Selon un décompte fait par mes collègues genevois, il y a eu 175 mises à l’enquête, 120 permis délivrés et aucun rétropédalage, malgré les mêmes arguments qu’à Belfaux.» Jamais la militante n’avait été témoin d’une annulation d’un permis de construire.
«À cause des Biens culturels»
La militante a dû engager beaucoup d’efforts pour pouvoir étudier le cas de la commune fribourgeoise. Elle a obtenu des documents au titre de la Loi sur l’information (Linf), parmi lesquelles une lettre de Swisscom datée de novembre 2020 et signée d’une juriste «connue pour sa ténacité» par les militants. «Nous avons cherché et examiné des emplacements alternatifs, mais notre recherche n’est pas concluante», avoue l’opérateur. Pourtant, quelques lignes plus loin, il annonce abandonner le projet «en raison de l’évolution de la planification du réseau». Qu’est-ce que cela signifie?
Contactée, Swisscom explique d’emblée que l’intervention d’Alain Berset n’a eu aucun rôle dans l’abandon du site de Belfaux. «Nous avons changé de site en raison d’un préavis négatif du Service des biens culturels», justifie Alicia Richon, porte-parole. C'est donc bien l'emplacement qui posait problème, et non la 5G. La porte-parole précise que la 5G n'était «en aucun cas un sujet» à l’époque. Un argument pas tout à fait exact, puisque le débat faisait déjà rage bien avant 2018 dans l'opinion publique jusqu'au Palais fédéral.
Interrogée sur l'annulation du projet, l’entreprise reconnaît qu’en principe, elle «n’abandonne pas les demandes de permis de construire déposées», sauf si elles ne respectent pas les dispositions de droit public. Elle ne donne pas de chiffres, se bornant à expliquer que ces cas sont «très rares» et que les oppositions peuvent «tout au plus retarder les projets», que ce soit pour Swisscom ou pour les autres opérateurs chez qui ce principe est aussi valable.
Réseau insuffisant à Belfaux
Ce qui étonne, dans la réponse de l’entreprise, c’est qu’elle avoue que la commune de Belfaux manque de couverture réseau, et que même le projet d’un site partagé avec Sunrise près du terrain de football ne le comblera pas. Alicia Richon ne veut, par ailleurs, pas répondre au sujet de la suite donnée au courrier du conseiller fédéral, mais elle insiste sur le fait que «la présence du domicile d’Alain Berset dans la zone concernée n’a en rien influencé le projet».
Il s’agit là d’un «pur hasard», poursuit la porte-parole, même si elle dit comprendre que cela fasse «parler la population». «Les domiciles des conseillers fédéraux n’ont aucun impact sur le mandat de Swisscom de fournir un excellent réseau sur tout le territoire», conclut-elle.
Quid de la signature du ministre de la Santé sur un document évoquant des «risques pour l’humain et l’animal»? La porte-parole ne s’en inquiète pas du tout, puisqu’il s’agit d’un document faisant référence «au respect des valeurs limites, ce qui est sujet à des contrôles en permanence en Suisse, tout comme le respect de l’environnement.»