Pressings, coiffeurs, restaurateurs...
Ils sont les grands perdants du télétravail en Suisse

Coiffeurs, restaurateurs, blanchisseurs... Ils veulent tous en finir avec le télétravail. La pandémie de Covid-19 l'a d'abord imposé, avant qu'il ne devienne la norme pour de nombreux secteurs. Si elle arrange certains, la désertion des bureaux nuit à beaucoup d'autres.
Publié: 11.07.2022 à 06:11 heures
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Dernière mise à jour: 11.07.2022 à 18:22 heures
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Iryna Kutalo dirige une blanchisserie à Berne. Le télétravail est «mauvais» pour ses affaires.
Photo: Nathalie Taiana
Peter Aeschlimann

L’été fait les beaux jours d’Iryna Kutalo. Avec l’augmentation des températures, les gens suent davantage et se rendent plus souvent dans sa blanchisserie pour faire laver et repasser leurs vêtements de travail. Mais en ce mois de juillet, peu de clients passent la porte du pressing d’Iryna Kutalo, situé dans le quartier de Weissenbühl à Berne.

Ce changement n’est pas dû à un été plus frais, mais bien à l’évolution récente du monde du travail liée à l’épidémie de Covid-19: le télétravail est devenu pour certains la nouvelle «nouvelle normalité». Or, cette dernière pèse sur le porte-monnaie d’Iryna Kutalo: «Aujourd’hui, les gens portent un t-shirt et peut-être un caleçon pendant leurs réunions en ligne, explique cette Ukrainienne d’origine. Bien sûr, c’est mauvais pour les affaires.»

Le télétravail comme atout pour les employeurs

Le secteur de l’entretien des textiles connaît des jours difficiles. La pandémie a provoqué la réduction d’un cinquième des commandes, la guerre en Ukraine a fait augmenter certains coûts, et l’électricité et les cintres sont désormais deux fois plus chers. Iryna Kutalo travaille beaucoup, repasse à la main. Elle dit qu’elle enlève toutes les taches. «C’est comme ça que je m’en sors.» Mais ce que l’Ukrainienne d’origine espère le plus, c’est que ses clientes et clients se lassent bientôt du travail à domicile.

Si l’on en croit les employeurs, cela ne devrait pas arriver de sitôt. Un retour en arrière ne serait pas envisageable. Lors d’un sondage réalisé en février 2021, seules 12% des personnes interrogées ont exprimé le souhait de travailler exclusivement sur place au bureau à l’avenir. Selon l’Office fédéral de la statistique, près de 41% des salariés travaillaient occasionnellement à domicile au premier trimestre 2022. Face à la pénurie actuelle de personnel qualifié, les patrons doivent offrir toujours plus d’avantages: la possibilité de télétravailler en est devenu un majeur.

Ambiance post-apocalyptique dans l’industrie

Avant la pandémie, le centre d’affaires Puls 5 de Zurich était en pleine effervescence. Aujourd’hui, on se croirait sur le plateau d’un film de fin du monde. On entend au loin une mélodie s’échapper d’un haut-parleur, mais le reste du temps, un calme inquiétant règne dans l’immense hall. Il n’y a pas âme qui vive à des kilomètres à la ronde.

Diar Dillmann se tient devant son salon de coiffure K5 et regarde dans le vide. La blanchisserie qui lavait et repassait ses chemises blanches a fait faillite dès l’automne 2020. Le snack-bar Hitzberger en face l’été dernier. Et la petite Coop a également cessé de vendre des repas chauds à midi. Quand Diar Dillmann compare la situation de Puls 5 à celle d’avant le Covid, il parle du «jour et de la nuit».

Les employés des tours de bureaux du Kreis 5 faisaient partie des clients réguliers du coiffeur. Il n’a jamais revu certains d’entre eux depuis le début de la pandémie. «Cela me rend triste», soupire l’homme de 45 ans. Alors qu’auparavant, les gens venaient se faire couper les cheveux toutes les trois ou quatre semaines, il arrive aujourd’hui qu’il s’écoule trois mois entre deux rendez-vous. «Dans les réunions Zoom, on n’a pas besoin d’une coupe de cheveux bien ajustée.» Il y a des jours, dit Diar Dillmann, où sa collaboratrice arrive le matin dans le magasin alors que le livre des réservations est encore vide. «Mon chiffre d’affaires a chuté de moitié.»

Si les pendulaires restent à la maison, cela a des conséquences importantes. Les entreprises qui vivaient des employés de bureau rencontrent de sérieux problèmes. Outre les blanchisseries et les salons de coiffure, les entreprises de restauration ou les hôtels en font partie. C’est la loi de l’économie de marché: si la demande diminue, l’offre se réduit. Cela vaut aussi pour les transports publics. Au changement d’horaire 2023, les CFF réduiront leur offre pour les pendulaires, ce qui entraînera la suppression de plusieurs liaisons entre Berne et Zurich.

Sans incitation, personne ne revient

Difficile de prévoir les répercussions qu’aura cette généralisation grandissante du télétravail sur les recettes fiscales des lieux de bureaux. Ni à Berne ni à Zurich, les administrations fiscales n’ont voulu se risquer à faire des pronostics. Ailleurs, la sonnette d’alarme est déjà tirée. A New York (USA) par exemple, les employés dépensent aujourd’hui en moyenne 7000 dollars par an à proximité immédiate de leur bureau. Avant la pandémie, ce chiffre était environ deux fois plus élevé. Les horaires d’ouverture restreints et les fermetures de magasins sont un poison pour l’attractivité d’un site. Un cercle vicieux qui menace également les centres d’affaires suisses. Pour ne pas menacer son personnel de licenciement, il faut investir.

Dans l’armée, la personne la plus importante est le chef de cuisine. Il en va de même pour les entreprises: le meilleur CEO du monde restera perdant si la cantine ne sert que des plats surgelés. L’amour du bureau passe aussi par l’estomac. C’est là que le plus grand exploitant de cantines de Suisse, SV Group, intervient. «Pour que les gens reviennent au bureau, il faut une bonne offre», explique Yvonne Wicki, responsable de la restauration collective chez SV Group. En 2019, le traiteur a servi 39,5 millions de repas dans ses restaurants universitaires. En 2021, ce chiffre était encore de 17,5 millions.

Une rupture

La direction de SV Group ne s’attend pas à ce que les employés de bureau travaillent bientôt à nouveau cinq jours par semaine au siège de l’entreprise. Le télétravail a constitué une «rupture totale» pour sa branche, constate Yvonne Wicki. Cette dernière a dû adapter ses offres pour rester compétitive dans ces nouvelles circonstances: augmenter les «concepts sans personnel» les jours de faible affluence, les take-away et les livraisons. Et, surtout, accélérer la récolte de données: «Dans dix ans, nous voulons pouvoir prédire avec précision combien nous pourrons vendre d’un menu en un jour.»

Parfois, il y a trop de personnes en cuisine, parfois pas assez. «Nous dépendons des employeurs, souligne encore Yvonne Wicki. En matière de télétravail, tous sont encore dans une phase de découverte.» Une interview sur le site Internet du groupe montre déjà clairement ce que l’entreprise pense du télétravail. Le titre est sans équivoque: «Les limites du télétravail en tant qu’état de travail permanent.»

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