Polémique des SDF à Lausanne
«À la place de bâtir des stades, construisons des immeubles pour les SDF!»

Le sort des SDF était au cœur de l’actualité lausannoise ce week-end: le collectif 43m2 a monté un campement sauvage pour protester contre la suppression de 160 places d’hébergement d’urgence. Blick est allé voir une assos’ qui récupère ceux que la Ville laisse dehors.
Publié: 03.05.2022 à 12:41 heures
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Dernière mise à jour: 03.05.2022 à 12:53 heures
L’association Sleep-in a pour but de défendre les droits des personnes sans domicile. Elle offre à toute personne qui manque provisoirement d’un logement, un lieu pour y passer la nuit, à raison de 26 places par soir. Un étage est uniquement réservé à l’accueil des femmes.
Photo: Clara Arnedo Merino
Clara Arnedo Merino

«Cette manifestation voulait offrir aux individus les droits fondamentaux que la Ville leur refuse.» Il est un peu moins de 18 heures, et il pleut des cordes dans la cour du Palais de Beaulieu, à Lausanne, où le collectif 43m2 a élu domicile pour son campement sauvage samedi dernier. L’action — non autorisée — visait à protester contre la suppression saisonnière de 160 places d’hébergement d’urgence dans la capitale vaudoise.

L’étau policier se resserre autour des quelques dizaines de manifestants. Ils partiront avant de devoir être délogés de force un peu plus tard dans la soirée. Sur une promesse de négociations avec la Municipalité de Lausanne, prévues ce mardi. En marge, le collectif 42m2 organise à 13h00 aujourd’hui un rassemblement devant le bâtiment du Grand Conseil vaudois, dans le but d’interpeller la conseillère d’État socialiste Rebecca Ruiz. Un appel à la mobilisation, à 15h00 place Chaudron, à Lausanne, a également été publié sur Telegram.

En attendant, sur le terrain, samedi, les jeux sont rapidement faits: les militants doivent lever le camp, il ne se passera plus rien ici. Pendant ce temps, d’autres associations tentent de pallier cette fermeture saisonnière voulue par la Ville de Lausanne. Sleep-In est l’une d’elles. Elle propose 26 places d’hébergement d’urgence à Renens, dont 9 réservées aux femmes. Ce soir-là, c’est complet. Comme tous les soirs.

Je quitte donc Beaulieu pour rejoindre Tshahé Anongba Varela et Shalanda Philipe, deux employées Sleep-In, dans leurs quartiers généraux. Là-bas aussi, on savait déjà que le campement sauvage ne s'éterniserait pas. Et on s’y était préparé. Interview.

Lors de l’action de l’occupation du palais de Beaulieu, vous n’étiez pas sur place. Cette manif’, vous pensez qu’elle a eu un impact?

Tshahé Anongba Varela (T. A.V): Samedi après-midi, nous étions plutôt occupés à préparer l'accueil d’urgence. Mais nous soutenons bien sûr cette manifestation. C’est vraiment un acte merveilleux, osé, et ça pose des questions fondamentales sur les droits d’accès au logement. Et il ne s’agit pas seulement d’avoir ou non un toit sur la tête: c’est aussi une question de dignité humaine, une dignité qui devrait être garantie à tous. Pour moi, cette action avait donc pour but d’offrir aux individus les droits fondamentaux que la Ville leur refuse.

Durant les périodes estivales, vous êtes en première ligne de l'accueil d’urgence. Le canton vous alloue 773’000 francs par année. Est-ce assez? Vous avez l’impression de faire le travail des municipalités, qui ne vous subventionnent pas, à leur place?

T. A.V: Je vais être honnête: la réponse de Rebecca Ruiz à notre lettre — qui soulignait le manque de ressources auquel nous faisons face — relevait au mieux d’un manque d’écoute des acteurs et actrices sur le terrain, et au pire d’un manque de confiance en notre travail. Cela m’a beaucoup attristée. Pourtant, nous y évoquons une «situation alarmante». Nous avons signalé que des gens dorment sous des tables à l’Espace (ndlr: structure d'accueil de jour). Au Point d’Eau (ndlr: prestations médicales et paramédicales), il y a des semaines d’attente pour que les personnes puissent accéder à des soins de base. En guise de réponse, on nous a simplement rétorqué qu’une étude allait être réalisée.

Shalanda Philip (S. P): Nous sommes les pansements des failles de votre système, et de vos structures! Alors soignez vos pansements! Ici, nous subissons les conséquences des politiques. Nous sommes en train de maintenir en vie, sous perfusion, un système défectueux et violent. Violent par exemple car le camping sauvage est interdit: les personnes sans domicile fixe refoulées chez nous faute de place sont donc réprimées. Alors qu'elles n’ont pas d’autre choix que de dormir dehors. Et les amendes arrivent souvent… chez nous.

C’est vous qui les payez, ces amendes?

T. A.V: Non. Mais nous n’allons pas non plus dire à la personne de se débrouiller seule. Comment demander à quelqu’un qui n’a rien — pas d’argent, pas de toit — de payer une amende parce qu’elle a… dormi dehors? C’est absurde. Autre problème avec ces amendes: cela entraîne des difficultés pour la régularisation future des personnes étrangères ou sans papiers, qui sont très nombreuses parmi nos pensionnaires.

Vous arrivez à prendre une distance émotionnelle vis-à-vis de vos hôtes?

T. A.V: Un collègue m’a dit un jour: ‘Malgré tous nos efforts, nous participons à la violence du système’. Un soir d’été, j’avais par exemple rempli le Sleep-In avec 40 personnes. Et j’ai dû en refuser 30. C’était très dur. Car ce ne sont pas juste des chiffres. Mais des individus que je connais par leur prénom, que je vois quasiment tous les soirs, et que je dois laisser dans la rue en les regardant dans les yeux…

S. P: Oui, tu as beau rester positive, souriante, optimiste: les moyens manquent toujours. Nous ressentons beaucoup de frustration.

Est-ce que certains de vos pensionnaires travaillent?

T. A.V: Penser que les personnes sans domicile sont forcément sans emploi est un cliché erroné. Le travailleur pauvre est une réalité omniprésente de nos jours. Une grande partie des individus en situation de précarité extrême ont en réalité un contrat de travail. Mais ils ne gagnent pas assez pour trouver un logement. Ou alors ce n’est pas un CDI. À noter aussi que les personnes ne bénéficiant pas de permis de séjour ne peuvent pas travailler en Suisse. Comme mentionné précédemment, nous recevons beaucoup de gens dans ce cas.

Aujourd’hui, le collectif 43m2 compte s’adresser à la conseillère d’État socialiste Rebecca Ruiz lors de sa manifestation. Que lui diriez-vous?

T. A.V: Nous nous alignons sur les revendications du collectif. À la place de construire des stades, construisons des immeubles pour les SDF! Et il faudrait faciliter l’accès au logement. Il n’y a pas besoin d’être SDF, en Suisse, pour souffrir des exigences démesurées des régies. Puis, nous militons pour la dépénalisation du camping sauvage et la déstigmatisation du squat. Finalement, au niveau du travail social, il faudrait mieux suivre ces personnes, pour garantir leur (ré)intégration.

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