Pierre-Yves Maillard revient sur les législatives françaises
«L'alliance de gauche devra passer à l'épreuve du pouvoir»

La victoire inattendue de la gauche française aux législatives en a surpris plus d'un. À commencer par le socialiste Pierre-Yves Maillard. Pour le puissant patron de l'USS, cette nouvelle alliance devra faire ses preuves pour montrer qu'elle tient la route. Interview.
Publié: 08.07.2024 à 19:14 heures
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Dernière mise à jour: 08.07.2024 à 19:31 heures
A l’annonce des résultats, des milliers de personnes se sont rassemblées sur la Place de la République pour célébrer la victoire du Nouveau Front populaire (NFP).
Photo: KEYSTONE/YOAN VALAT
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Alessia BarbezatJournaliste Blick

Un coup de tonnerre! Alors que depuis une semaine, les sondages donnaient le Rassemblement national (RN) gagnant — d’abord avec une majorité absolue, puis au fil des jours avec une majorité relative — c’est finalement la gauche, réunie sous la bannière du Nouveau Front populaire (NFP), qui a triomphé au second tour des élections législatives françaises.

Une victoire aussi inespérée qu’inattendue pour cette coalition créée au lendemain des élections européennes du 9 juin pour faire barrage au RN de Jordan Bardella. Mais en politique, rien n'est joué d'avance. Si l'entre-deux-tours s'est révélé fatal pour le RN, il a vu aussi la montée en puissance d'une gauche unie, réunissant socialistes, insoumis, écologistes et communistes. De quoi inspirer la gauche suisse? Nous avons posé la question au socialiste Pierre-Yves Maillard, conseiller vaudois aux Etats et influent patron de l’Union syndicale suisse (USS). 

Pierre-Yves Maillard, à l’annonce des résultats, avez-vous poussé un ouf de soulagement?
Oui, mais j’avoue avoir été très surpris. Cette dernière semaine, on avait bien senti que cette alliance de la gauche prenait et que les sondages se révélaient de moins en moins favorables au RN. Mais de là à avoir un tel résultat à l’arrivée… Avec la gauche en premier, la majorité présidentielle en deuxième et surtout le RN en troisième position avec un nombre de sièges très inférieur à ce qui avait été prédit par les sondages.

Comment analysez-vous cette victoire de la gauche qu’on n'a pas vue venir?
L’un des moments clé pour la gauche a été la lutte contre la réforme des retraites en 2023. Une partie du soutien pro-Macron a basculé vers la gauche. Le président pensait qu’il pouvait tranquillement faire passer cette réforme malgré l’impopularité de celle-ci et attendre quelques années que les gens oublient. Or, avec la dissolution, on a vu le choc que cette réforme a provoqué. Les sondages montraient que 80% de la population n’en voulait pas. Macron s’est entêté. Pour moi, il s’agit du premier facteur pour expliquer ce transfert de voix de Macron vers la gauche.

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C'est lorsqu'elle devra passer à l'épreuve du pouvoir que les difficultés vont commencer pour cette coalition de gauche»
PIERRE-YVES MAILLARD, PRÉSIDENT DE L'UNION SYNDICALE SUISSE ET CONSEILLER AUX ETATS SOCIALISTE
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Et le deuxième?
L’unité que les syndicats ont su créer. Ils ont pour habitude d’être très divisés, comme la gauche d’ailleurs. En affichant cette unité, ils ont donné une leçon de responsabilité et de maîtrise aux forces politiques de gauche en disant: «Arrêtez les gamineries et faites comme nous.» Pourtant, l’histoire syndicale est très conflictuelle en France, mais depuis deux ou trois années, ils sont dans une bonne dynamique, portée par des figures rassembleuses, comme les syndicalistes Laurent Berger ou Sophie Binet.

Cette union de la gauche, allant de la gauche anticapitaliste de Philippe Poutou à celle plus centriste de François Hollande, est-elle une alliance factice ou vous y croyez?
On verra… L’alliance m’a étonné, c’est certain. Et c’est maintenant que les difficultés vont commencer, quand la coalition devra passer à l’épreuve du pouvoir. Ils vont devoir se mettre d’accord sur le nom d’un Premier ministre. Ils jouent gros. Il va falloir trouver une figure crédible, rassurante et rassembleuse, pour l’ensemble des forces unies et si possible au-delà. Une perle rare.

Vous avez un nom en tête?
Oui, mais je préfère le garder pour moi.

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«En érodant les acquis sociaux, quand il ne reste plus rien à la fin du mois, forcément, cela affaiblit la démocratie»
PIERRE-YVES MAILLARD, PRÉSIDENT DE L'UNION SYNDICALE SUISSE ET CONSEILLER AUX ETATS SOCIALISTE
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Avec cette nouvelle assemblée, la France va devoir apprendre à gouverner «à la Suisse», en cherchant des majorités, texte par texte, mais est-ce que la gauche suisse n’aurait pas à gagner à s’inspirer de l’alliance de la gauche française?
Oui, la gauche en Suisse est aussi fragmentée, mais les systèmes suisses et français sont tellement différents qu’il est difficile de faire des comparaisons. Pour le NFP, il s’agira déjà de bien fédérer le groupe avant de présenter des projets à l’Assemblée nationale. Puis, de trouver des voix dans des partis différents et aussi accepter d’amender les projets. C’est ce que nous faisons en Suisse. Un compromis est possible quand il marque un progrès. Les reculs acceptés pour limiter la casse, il y en a assez eu. Mais des avancées négociées, même moins rapides qu’espérées, ça reste des avancées. 

Ce vote est synonyme d’espoir pour vous?
Ce que je retiens surtout — et c’est pour moi la leçon de ces vingt dernières années — est qu’il ne faut plus céder aux sirènes du marché libre qui règle tout. Un marché dérégulé ne peut qu’affaiblir les travailleurs et les salaires. Résultat: les personnes qui perdent leur pouvoir d’achat vont chercher une issue politique et leur choix se porte souvent sur l’extrême droite. En érodant les acquis sociaux, quand il ne reste plus rien à la fin du mois, forcément, cela affaiblit la démocratie. 

Des millions de Français ont voté RN, se sentant notamment délaissés par la gauche, comment tenir compte de leurs voix?
Il ne faut jamais renoncer et ne pas mépriser qui que ce soit. Et cesser de parler de triomphe de la gauche, car on en est bien loin. Si elle est arrivée première, elle n’a pas de majorité. À la gauche maintenant de se montrer pragmatique et d’apporter des réponses sur des domaines qu’elle a pu délaisser. Je pense, par exemple, à la laïcité. Elle a été parfois indécise sur les droits des femmes envers quiconque les menace, notamment si la menace provient de pratiques culturelles ou religieuses minoritaires. La laïcité est une valeur de gauche. Dans ce domaine, il reste des progrès à faire…

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