A peine Philomena Colatrella s'est-elle installée dans les bureaux du siège principal à Lucerne que la CEO de CSS se met déjà au travail. Cette juriste est à la tête de la deuxième plus grande caisse maladie du pays et veut faire bouger les choses, bouleverser le système de santé pour qu'il reste abordable à l'avenir. Une nécessité amère, mais une nécessité tout de même, car le choc des primes est difficile à digérer pour de nombreuses personnes en Suisse.
Philomena Colatrella, dormez-vous mal en ce moment?
Non, je ne dors pas mal. Mais ça ne signifie pas que les primes élevées ne m'inquiètent pas. Je souffre avec la population.
Il serait compliqué d'aller à l'encontre de cela!
Je souffre lorsque nous, les acteurs du système de santé, ne parvenons pas à augmenter l'efficacité et l'efficience au profit des assurés, lorsque les familles ne peuvent plus se permettre de payer les primes. Je n'aime vraiment pas annoncer de telles augmentations de primes.
Qu'est-ce que cela signifie concrètement pour les 1,5 million de clients de CSS dans l'assurance de base?
Nous augmentons les primes de 8,4%. C'est certes légèrement inférieur à la moyenne suisse, mais cela représente bien sûr beaucoup d'argent pour de très nombreuses personnes.
Le choc des primes va-t-il être l'impulsion qui mènera au changement?
Oui, certainement. Les fortes hausses de primes incitent davantage de personnes à changer. Mais il est également important que les clients se renseignent auprès de l'assureur sur la manière d'optimiser leurs primes afin de rendre la charge financière un peu plus supportable.
La directrice de l'association faîtière des hôpitaux H+, Anne Geneviève Bütikofer, pense qu'une caisse unique permettrait d'économiser les frais de changement élevés. Quel est le potentiel d'économies?
Nous nous y opposons avec véhémence. Les primes sont le reflet des coûts de la santé. Elles n'augmentent pas à cause des frais de changement, mais parce que davantage de traitements sont effectués. C'est pourquoi la caisse unique n'est assurément pas une solution pour relever le défi des primes élevées.
Quelles sont les raisons de cette hausse des primes?
En premier lieu, les coûts des prestations médicales, qui augmentent à nouveau très fortement depuis la pandémie, mais aussi en raison de la performance sur les marchés financiers. L'année dernière, les réserves des caisses maladie ont fondu de 12 à 8 milliards de francs.
Pourquoi les coûts ont-ils augmenté si fortement?
De nombreuses opérations ont été reportées pendant la crise Covid et ont maintenant été rattrapées. Cela a d'abord fait baisser les coûts, mais ces derniers connaissent désormais une augmentation d'autant plus forte. À cela s'ajoute un nombre croissant de visites chez le médecin et d'examens préventifs. Notre étude sur la santé l'a montré: la santé de la population suisse se dégrade. En ce qui concerne les médicaments, par exemple, les coûts augmentent considérablement.
Les payeurs de primes souffrent. Pourquoi, en tant que deuxième plus grande caisse maladie, ne faites-vous pas plus pour lutter contre cette souffrance?
En tant qu'assureurs-maladie, nous faisons nos devoirs: nous contrôlons les factures et maintenons les frais d'exploitations de l'entreprise à un niveau bas. Ce sont les réformes politiques qui auraient le plus d'influence sur les coûts. Le problème, c'est que celles qui sont vraiment efficaces n'ont pas encore franchi la ligne d'arrivée. Et c'est regrettable, car cela nous empêche d'obtenir des améliorations pour l'ensemble du système. Il faut plus de courage politique et de capacité à trouver des compromis.
Où faut-il du courage?
Chez tous les acteurs du système. Il ne sert à rien de se rejeter mutuellement la faute. J'aimerais néanmoins que l'OFSP, l'Office fédéral de la santé publique, fasse preuve de plus de courage. Il faut avoir la peau dure pour s'imposer face aux différents lobbies. Au final, c'est le Parlement qui décide, mais il faut aussi des propositions courageuses.
Pourquoi le courage fait-il défaut?
En fin de compte, c'est le facteur humain et la vision des intérêts particuliers. Il faut rester imperturbable sur le sujet, ne pas craindre l'effort. Je travaille dur et j'ai envie de changer les choses. Mais je ne fais pas non plus de politique et il est plus facile pour moi d'inciter mes collaborateurs à changer.
Faut-il aussi plus de courage de la part des caisses maladie? Après tout, ce sont elles qui portent la mauvaise nouvelle.
Ces dernières années, le conseiller fédéral Alain Berset a clairement indiqué que ce ne sont pas les caisses maladie qui génèrent les coûts.
D'accord, mais la lettre d'augmentation des primes parvient de ma caisse maladie et non du Conseil fédéral.
C'est vrai. Nous portons les conséquences d'un problème systémique: les coûts par personne augmentent. Cela n'a pas grand-chose à voir avec la démographie.
Pourquoi le vieillissement ne joue-t-il aucun rôle?
Il a toujours été vrai que les dernières années de vie étaient les plus coûteuses du point de vue de la santé publique. Lorsque nous vieillissons, cela se décale simplement vers l'arrière. La démographie n'est pas le facteur déterminant. C'est le progrès médical et les prestations médicales par personne assurée...
... cela signifie que nous allons trop chez le médecin?
Il y a plus de prestations fournies. La croissance démographique n'est d'ailleurs pas non plus en cause. Car les immigrés paient aussi des primes.
On entend régulièrement des patients dire que les caisses maladie paient aussi des prestations inutiles ou non économiques. Pourquoi ne regarde-t-on pas cela de plus près?
Nous devons prendre en charge les prestations de l'assurance de base. Les assureurs maladie ne peuvent pas simplement supprimer des prestations, mais les autorités doivent les contrôler régulièrement. Les instruments pour cela existent, mais la mise en œuvre n'aboutit à rien. Il ne s'agit pas de durcir, de réduire ou de rationaliser, mais d'examiner attentivement les prestations. Nous avons besoin d'un système de santé optimal, pas maximal.
Qui résiste? Les fournisseurs de prestations, c'est-à-dire les médecins et les hôpitaux?
La densité hospitalière est toujours aussi élevée que lors de notre première interview il y a sept ans. A l'époque déjà, j'avais dit que la moitié des hôpitaux suffirait. Pourtant, le nombre d'hôpitaux est toujours plus ou moins le même.
Les gens souffrent de plus en plus du poids des primes. Comment peut-on y mettre fin?
En premier lieu par des réformes politiques. Par ailleurs, il faut permettre aux caisses d'assurance maladie de mieux accompagner leurs payeurs de primes et de les informer. Par exemple, attirer l'attention sur l'utilisation des génériques. Mais voilà, nous n'en avons pas le droit.
Pourquoi?
Parce que nous n'avons plus de cadre légal. En 2011, nous avons envoyé pour la première fois un mail sur les génériques. Nous avons écrit aux assurés qui avaient choisi une médication originale pour leur signaler qu'il existait un générique. Chaque année, les économies réalisées s'élevaient à plusieurs millions de francs. Aujourd'hui, nous n'avons plus le droit de le faire.
Qui le dit?
Pour des raisons de protection des données, nous ne pouvons plus écrire à personne sur de tels sujets.
Les réformes dans le domaine de la santé prennent un temps incroyablement long, pourquoi?
C'est vrai, mais les choses pourraient bouger dans les années à venir. Justement dans le domaine de l'EFAS, le financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires. Cette réforme est en bonne voie, alors qu'on la pensait compromise à certains moments. Le nouveau tarif médical Tardoc est également prêt. Le dossier électronique du patient (DEP) est en consultation, le double volontariat a été supprimé. Ceux qui ne veulent pas de DEP doivent y renoncer explicitement. La numérisation du système de santé et des instruments plus efficaces pour l'évaluation des nouvelles prestations sont tout aussi importants.