Aux yeux d’Elton John, Oliver Sim est un «chef-d’œuvre gay». Mais le chanteur et bassiste du groupe britannique The xx se voit, lui, plutôt comme un «hideux bâtard» — le titre de son premier album solo très personnel («Hideous Bastard»), qui sort en septembre. Enfin, ce trentenaire vous l’expliquera mieux que moi dans l’interview ci-dessous.
Le Londonien a provoqué un tremblement de terre médiatique le jour de la sortie de son single «Hideous» — encore! — le 23 mai. Les premières paroles sont: «Je suis laid». Les dernières révèlent sa séropositivité. Il cohabite avec le VIH depuis ses 17 ans. Pendant cet entretien, il explose souvent de rire. Même mon téléphone se sent libre en l’écoutant. Oliver Sim a fait exploser ses chaînes. Sa voix légèrement cassée est douce.
Dans l’étrange clip à l’esthétique underground, queer et 80’s, il flirte avec le moche, la monstruosité, la maladie, puis un homme, prêt à l’aimer malgré sa laideur, avant de mourir. Devant la caméra du cinéaste français Yann Gonzalez, il parle de lui. Dans Blick aussi, avant de crier son amour pour Lady Gaga, des personnages de séries Netflix et pour le plus grand fantôme de sa vie.
Ensemble, le réalisateur et l’artiste présenteront leur court métrage au Neuchâtel Fantastic Film Festival (NIFFF), après avoir gravi les marches à Cannes ce printemps. Devinez comment ce film musical s’appelle? «Hideous». Vous la sentez venir, ma première question?
Pourquoi pensez-vous être hideux?
Je ne pense pas vraiment être moche. Peut-être grâce à ce morceau. Chanter ces paroles, ça a plutôt l’effet inverse. Je me sens mieux avec moi-même. Vocaliser certaines des choses contre lesquelles je lutte et qui sont en moi, c’est quelque chose de positif. À la fin, on arrive à la même destination: la célébration de soi. Je ne voudrais pas donner l’image d’un homme gay qui se méprise. Parce que… Si j’avais vraiment profondément honte de qui je suis, écrire à ce propos serait la dernière chose que je tenterais!
Ça veut dire que votre «Hideous» correspond au «Beautiful» de Christina Aguilera!
(Il explose de rire, avant de plaisanter) Ces deux chansons sont sûrement équivalentes, ouais! Plus sérieusement, la finalité est la même: se sentir beau, fier et aimer qui l’on est.
Parlons de ce texte. Pourquoi révéler votre séropositivité maintenant, en 2022?
Hmmm… Je suppose que je n’étais pas prêt à en parler au public auparavant. J’ai écrit cette chanson il y a environ deux ans et demi. Mon plan initial était de la diffuser immédiatement, la jeter à la face du monde, de manière assez impulsive. Et puis, je l’ai fait écouter à ma mère…
Elle vous a dit quoi?
Elle m’a glissé: «Tu sais, ce texte est vraiment radical. Tu devrais faire de plus petits pas avant de le sortir. Il faut que tu aies des conversations avec celles et ceux qui t’entourent avant». Parce qu’en fait, même si la plupart des personnes clés dans ma vie connaissaient ma situation, d’autres ne le savaient pas.
Vous avez suivi son conseil?
Je l’ai fait! J’ai passé les deux dernières années et demie à avoir ces discussions. C’était super gênant au début. Mais après chaque échange, je me suis un peu libéré d’un petit poids. Et au moment de sortir la chanson, ce n’était plus un secret catholique bien gardé. Tout à coup, ce n’était plus un truc radical.
Est-ce qu’aujourd’hui nos sociétés sont prêtes à entendre la vérité des personnes séropositives?
Je ne sais pas. Mais je ne suggère en aucun cas que tout le monde expose ses informations personnelles de manière aussi publique (rires)…
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Comment vivez-vous avec le VIH au quotidien?
Le virus a très peu d’effets sur moi, physiquement. Les traitements aujourd’hui sont juste fantastiques! Grâce à ça, ma charge virale est tellement faible que le virus est devenu indétectable. Ce qui veut dire que je ne peux pas le transmettre.
Ça ne doit quand même pas être facile tous les jours!
Je suis obligé de vivre une vie saine. Mais le virus m’atteignait surtout moralement. La honte que j’ai ressentie, la peur de me faire rejeter, d’être seul, … C’est là qu’il a fait des ravages.
Comment le monde extérieur a-t-il réagi à votre annonce? La sérophobie, la discrimination liée au VIH, est encore immense en 2022…
J’ai surtout reçu un maximum de soutien et beaucoup d’amour. Mais je dois dire que je ne suis pas trop allé sur mes réseaux sociaux. Parce que j’ai peur de lire des messages négatifs. J’ai peur d’autre chose. Je ne suis pas un professionnel de la santé ou un thérapeute: je ne peux pas aider les personnes qui me demanderaient des conseils.
Avec votre chanson, vous avez sans doute déjà fait votre part. Pourquoi est-il important de parler du VIH et du sida aujourd’hui?
La visibilité. Voir des gens comme John Grant (ndlr, membre fondateur du groupe The Czars), Billy Porter (ndlr, acteur à Hollywood et Broadway) ou Andy Bell (ndlr, chanteur du groupe Erasure) en parler et parcourir le monde avec ce statut, ça m’a beaucoup aidé.
Quand on vous a diagnostiqué, certaines de ces personnes n’en avaient pas encore parlé…
Quand j’ai été diagnostiqué à 17 ans, la seule personne atteinte du VIH que je connaissais, c’était Freddie Mercury. Et il en était déjà décédé. C’était angoissant.
En parlant de visibilité, et si on change un peu de sujet: le mois de juin est le mois des fiertés. Ça veut dire quelque chose pour vous?
Oui! Je parle du mérite de vocaliser le mépris qu’on a pour soi, mais c’est aussi incroyablement important aussi de célébrer qui on est, en être fier.
Dans votre vie, concrètement, il signifie quoi, ce Pride month?
C’est l’occasion de me sentir appartenir à quelque chose de plus grand, de me sentir connecté à mes amis. Une très grande partie de mon cercle est composée de personnes que j’ai rencontrées parce que j’avais fait mon coming out, parce que je vivais ma vie d’homme gay. Juin, c’est le moment de l’année où on se retrouve.
La Pride romande aura lieu ce 25 juin à Bulle (FR). Vous avez un message pour les plus jeunes membres de la communauté arc-en-ciel, qui subissent plein de sortes de discriminations?
(Il soupire) Je voudrais juste leur dire que la valeur de l’amitié est immense. C’est le plus important. Surtout en ce moment. Ici, à Londres, une énorme partie des bars gay ont fermé. Les amis que j’ai m’ont tant donné: de la sécurité affective, de l’amour. Ces liens peuvent aussi être tissés lors d’une Pride!
La Pride, c’est aussi des hymnes. Les chansons de votre futur album solo vont-elles le devenir?
Avec The xx, nous avons toujours fait de gros efforts pour rendre nos textes les plus universels possibles, sans pronoms genrés, alors que Romy (ndlr, Madley Croft, chanteuse du groupe) et moi sommes tous les deux homos. Récemment, pour mon album solo, j’ai changé mon fusil d’épaule. Avant de sortir «Hideous», j’avais dévoilé «Fruit». Une chanson joyeuse écrite pour le petit garçon gay que j’étais. Mais aussi un peu pour la personne que je suis maintenant. C’était ma façon d’écrire un hymne gay.
En matière d’hymne gay, vous avez un plaisir coupable?
Je ne ressens pas tant de culpabilité! (Rires) J’aime les divas, ces femmes-là, mais je n’en ai pas honte.
Si vous deviez en sélectionner qu’une seule?
(Il soupire) C’est très, très, vraiment très difficile.
Je sais!
Bon… Je vais aller droit au but. Je vais dire Lady Gaga. Elle représente tant de choses. Même si ces messages sont sérieux, c’est une showwoman qui met de son sens de l’humour dans tout ce qu’elle fait. «Chromatica», son dernier album, nous est apparu alors que nous étions en confinement, en train de vivre une vie bien fade. Et elle, elle est venue avec ces nouveaux sons qui créaient une planète entière où nous pouvions nous rendre. La forme courte de ma réponse est: «Alice», de Lady Gaga.
La fantaisie, c’est aussi la thématique du Neuchâtel International… Fantasy Film Festival. Dans le court métrage musical de Yann Gonzalez, vous jouez tour à tour un chanteur à succès, un monstre et un fantôme. Qui est le plus grand fantôme de votre vie?
Moi-même! Très clairement moi-même… La raison pour laquelle je gravite en direction de l’horreur dans mon art, ce n’est pas parce que ça me fait peur. Je n’ai pas peur des monstres ou des fantômes. Mes peurs sont beaucoup plus près de chez moi. Elles portent sur les relations, la solitude et ce que je porte en moi. C’est ça, la vraie peur. La peur d’être monstrueux, de ne pas être aimable — que les autres ne puissent pas nous aimer.
Pourquoi ne pourrait-on pas vous aimer?
Oh, je ne peux pas parler de ça! (Il rit) Je ne vais pas me dévoiler à ce point!
Alors continuons à parler de monstres. Qui sont les vrais monstres de notre temps?
Hmmm… Je ne veux pas faire de politique, mais je pense qu’il y a beaucoup de monstres politiques en ce moment.
Pour le NIFFF, vous avez sélectionné plusieurs films, qui seront diffusés dans la section «Scream Queers», la section rainbow: «Les Amants Criminels» de François Ozon, le «Psycho» de Gus Van Sant, «Thelma» de Joachim Trier et «The Lost Boys» de Joel Schumacher. S’il fallait n’en voir qu’un, ce serait lequel?
Oh mmmmmerde… C’est difficile… J’ai choisi ces films parce que je n'en ai vu aucun dans une salle de cinéma. Donc j’ai égoïstement créé mon line-up de rêve. Je dirais peut-être… «Les Amants Criminels» parce que je ne suis pas sûr qu’il ait suscité beaucoup d’intérêt lors de sa sortie en salle il y a plus de vingt ans. Et puis, je dirais quand même aussi le «Psycho» de Gus Van Sant, parce que le NIFFF présentera aussi celui d’Hitchcock et ça sera incroyable de les voir l’un après l’autre. Et aussi, dans ce film, Vince Vaughn est tout droit sorti d’un rêve. Il est tellement hot!
Certaines personnes en ont marre de voir autant de personnages LGBTQIA + dans les séries Netflix. Vous aussi?
Moi aussi?!? Pas du tout! Aujourd’hui, je peux voir «Heartstopper» sur Netflix et je me dis que j’aurais vraiment apprécié pouvoir regarder ce genre de séries quand j’étais enfant. À l’époque, pour trouver des représentations de personnages gays dans les films, j’ai dû creuser!
Il n’y avait pas beaucoup de représentations positives de l’homosexualité à l’écran…
Oui, et c’est presque traumatique. En regardant «Hearthstopper», je n’arrêtais pas de me demander: «Mais quand est-ce que ça va se transformer en une immense épave homophobe?» Et, en fait, ça ne l’est jamais devenu. Les temps ont changé.
Y a-t-il assez de personnages LGBTQIA + dans les séries ou au cinéma aujourd’hui?
Non. C’est beaucoup mieux que ce que c’était il y a encore quelques années. Mais je ne crois pas que nous sommes encore arrivés où nous devrions être.
Certes, mais on a fait du chemin: les rôles arc-en-ciel sont nettement plus variés. Avant, il n’y avait que la grande folle ou le criminel drogué!
Je vais reprendre l’exemple de «Heartstopper» ou même d'«Euphoria». Les personnages trans sont si bien écrits que le fait que ceux-ci soient trans n’est pas important. On ne le dit presque pas. C’est tellement génial et tellement important: ce n’est pas leur identité de genre ou leur sexualité qui les définit.