La mise en place de l’interdiction de la burqa prend du retard. La ministre de la Justice Karin Keller-Sutter l’a admis lundi à l’heure des questions au Conseil national, de manière détournée. Elle ne pourra pas respecter le délai de mise en œuvre. Ce dernier se termine en février 2023, deux ans après l’acceptation de l’initiative populaire. C’est également ce qu’exige désormais la Constitution.
Le 7 mars 2021, les électeurs avaient décidé avec une faible majorité de 51,2% l’interdiction pour toute personne de se voiler le visage dans les lieux publics. L’article constitutionnel prévoit toutefois des exceptions.
Qui décide des cas particuliers?
L’établissement de ces exceptions est cruciale. Sans ces dernières, de nombreuses pratiques seraient menacées d’interdiction: costume de Carnaval, masques chirurgicaux… Qui doit établir ces dérogations?
Comme souvent en Suisse, les cantons et la Confédération se sont renvoyé la balle. Après la votation, Kari Keller-Sutter n’a rien voulu savoir d’une réglementation fédérale et a rejeté la responsabilité sur les cantons.
Esquive des cantons
Sauf que les cantons ne se sont pas vraiment montrés enthousiastes. Le père de l’initiative, le conseiller national UDC Walter Wobmann, n’avait pas caché son exaspération: «Ce serait une nouveauté que la compétence revienne uniquement aux cantons. Ce n’est pas possible, s’était-il énervé à l’époque dans un entretien accordé à Blick. Dans ce cas, nous n’aurions même pas eu besoin de passer par une initiative!»
Comme les cantons ne voulaient pas s’attaquer à la mise en œuvre de cette nouvelle restriction, Karin Keller-Sutter a fini par devoir s’en emparer. En octobre dernier, la ministre de la Justice a envoyé un projet en consultation. L’interdiction de se dissimuler le visage ainsi que les exceptions devaient être réglées dans le Code pénal.
Des exceptions pas si rares
Le projet prévoit une amende pour les personnes qui se voilent dans des lieux accessibles au public. Mais la liste des exceptions est longue. L’interdiction ne doit pas s’appliquer:
- Lorsqu’il s’agit de questions de santé (comme le cas des masques utilisés pour contrer la propagation du Covid-19).
- Lorsqu’il s’agit de conditions climatiques (masque de ski).
- Lorsqu’il s’agit de questions de sécurité (casque de moto).
- Dans le cas de coutumes locales (masque de carnaval).
- Dans les églises et autres lieux de culte.
- Pour l’expression d’opinions et la liberté de réunion (manifestations), «dans la mesure où l’ordre et la sécurité publics ne sont pas compromis».
- Pour les représentations artistiques et de divertissement.
- Pour les représentations à des fins publicitaires.
La consultation s’est terminée en février. Depuis, rien n’a bougé sur le sujet. Un immobilisme qui a poussé Walter Wobmann à s’interroger sur la mise en œuvre de l’initiative à l’heure des questions du Conseil national. La réponse ne l’a guère surpris.
Un retard qui suscite l’incompréhension
«L’adoption par le Conseil fédéral du message relatif à la loi fédérale sur l’interdiction de se dissimuler le visage est prévue pour le quatrième trimestre 2022», a répondu sèchement le Département de la justice.
D’ici la fin de l’année, Karin Keller-Sutter veut donc transmettre le message au Parlement. Cela signifie également que le délai de mise en œuvre ne pourra plus être respecté. L’affaire n’atterrira probablement qu’au printemps prochain dans la commission compétente.
«Je ne suis pas satisfait», a rouspété Walter Wobmann. Le fait que les choses n’aient pas été plus rapides l’agace: «Je ne comprends pas pourquoi on a attendu si longtemps. Tout est clair à quelques exceptions près et le projet mis en consultation existe depuis longtemps. Le Conseil fédéral avait en effet deux ans pour le faire.»
Le conservateur compte bien surveiller l’affaire. «Mais pour l’instant, il faut l’accepter», conclut Walter Wobmann.