Lisa M.* et son «clan» de sept enfants ont «presque tout perdu» dans les flammes. La maison que la maman louait depuis 20 ans à Saint-Ours, dans le canton de Fribourg, est partie en fumée dans la nuit du samedi 18 janvier en même temps qu’une grange attenante.
L’essentiel est sauf: ses filles et ses fils, de 7 à 23 ans, vont bien. Mais sa relation avec l’administration de son patelin de 1200 habitants est au plus bas. «Je suis choquée de l’incompétence professionnelle et humaine de ma commune», résume Lisa M. pour Blick, ce jeudi 13 février.
La quadragénaire accuse les autorités de la localité germanophone d’avoir mal géré sa situation d’urgence. Logement de secours non adapté à sa famille nombreuse, manque d’aide à court terme, blocage incompréhensible d’une cagnotte de soutien et absence d’empathie: tout y passe. «Il y a surtout eu un problème de communication entre la commune et la famille», regrette seulement la syndique de Saint-Ours, appelée à répondre aux critiques.
Le soir du drame
Le soir de l’incendie, la maman est chez elle avec juste deux de ses enfants. «J’étais en bas avec ma fille de 15 ans. Ma grande, de 18 ans, est venue me dire que les chats étaient nerveux et qu’il y avait une odeur de fumée.» Lisa va voir la grange. Le feu est bien lancé. Elle appelle immédiatement les pompiers, son propriétaire et dit à ses filles «de sortir tout de suite».
L’incendie se propage rapidement et toutes les trois sortent avec pour seul habit, en plein hiver, un pyjama. «Mes filles ont juste emporté deux albums photos, des bibelots et un sac d’école, se souvient Lisa. Moi, j’ai pris mon ordinateur. On a mis tout ça dans la voiture, que j’ai déplacée hors de danger.»
Il est alors presque minuit et Lisa regarde brûler tout son monde: les doudous des petits, les affaires d’école des grands, les photos de famille, les cartes bancaires et la paperasse, les bocaux de nourriture soigneusement stockés.
Logement inadapté?
Une représentante du Conseil communal de Sankt-Ursen – le nom du village en allemand – est sur place. Elle appelle un hôtel, qui ne répond pas. D’après Lisa, elle lui aurait alors suggéré de se «débrouiller toute seule» pour trouver un lieu pour la nuit – un exemple du manque d’empathie qu’elle dit avoir constaté.
La syndique de Saint-Ours, Marie-Theres Piller Mahler (Le Centre), présente une autre version des faits: «Elle nous a dit qu’elle s’arrangeait pour dormir chez une amie et le lendemain, nous avons fait en sorte de leur trouver un lieu adapté.» Le dimanche, Lisa va faire sa déposition à la police fribourgeoise. Elle ne sait toujours pas où elle passera la prochaine nuit. L’agent lui propose alors de joindre la commune pour que les responsables lui trouvent quelque chose.
Peu après, la commune l’appelle et lui propose de la loger pour une semaine dans le village voisin de Burgbühl (Saint-Antoine). L a maman veut que le logement puisse accueillir les huit membres de sa famille, tous ensemble. Elle arrive alors dans une petite chambre dotée de quatre lits superposés. A l’accueil, on lui dit qu’elle n’a pas le droit de cuisiner, ce qui a le don de l’énerver. «Donc je nourris mes enfants avec des sandwiches trois fois par jour?», dit-elle avoir répondu.
Avec son emploi de formatrice, qu’elle a repris dès le lundi, son budget pour sept enfants est très serré. Au bout de trois jours, ne se sentant plus bienvenue, elle décide de partir. Depuis, la famille dort tantôt chez des amis, tantôt chez des proches, jusqu’à aujourd’hui.
Bisbille autour d’une cagnotte de soutien
Dans son «malheur», la maman a plusieurs «anges gardiens». Son aînée de 23 ans, aux études à Paris, a pris le premier TGV pour rejoindre sa smala avec deux valises pleines d’habits et l’aider pour l’administratif et la garde des petits. Une habitante de Saint-Ours, émue par le sinistre, a rapidement lancé un appel aux dons d’objets et de nourriture.
La population se mobilise avec solidarité et de nombreux sacs de dons affluent. Cette voisine ouvre aussi une cagnotte sur la plateforme GoFundMe. Mais rapidement, les autorités communales lui demandent de la fermer pour gérer elles-mêmes les dons d’argent sur un compte Raiffeisen.
Une «prise en main» que critique Lisa M. qui, jusqu’à vendredi – soit presque un mois après l’incendie – n’avait toujours «pas vu la couleur de ces dons». La maman s’énerve: «On a perdu tout ce qu’on avait, et la commune s’étonne qu’on ait besoin de l’argent de la cagnotte immédiatement.»
Au téléphone ce vendredi, la syndique rétorque que sa commune a voulu tout verser d’un seul coup et n’a pas reçu d’IBAN de la part de Lisa. C’est désormais chose faite. Peu après notre appel avec la représentante politique, Lisa nous informe que la commune lui a versé la totalité de la somme.
«Nous avons fait tout juste»
Dans les faits, durant les deux semaines qui ont suivi l’incendie, la commune a écrit plusieurs mails à Lisa… mais sur une adresse qu’elle n’utilisait «plus depuis dix ans». La maman a fini par recevoir une liste d’aides et de possibilités de relogement, mais elle assure que la commune connaissait très bien sa nouvelle adresse e-mail. La commune, elle, certifie que Lisa a validé la mauvaise adresse.
«Sous le choc, la maman n’a pas su exprimer ses besoins correctement et nous n’avons pas pu savoir pour elle», cherche à expliquer la syndique. Elle assure que le personnel de sa commune a «fait tout juste»: «Nous avons vraiment fait tout ce que nous avons pu pour aider la famille dans la situation très difficile qu’elle vit. Deux collaboratrices se sont dédiées à ce dossier prioritaire.»
Dès le lendemain de l’incendie, la Croix-Rouge fribourgeoise a cherché à offrir une aide immédiate, mais la commune a refusé de transmettre les coordonnées de la famille. Contactée, la branche locale de l’ONG confirme: «On voulait envoyer des bons pour que les enfants puissent acheter des habits, mais la commune ne nous a pas donné les coordonnées de la famille, par manque de confiance.»
Une question de «protection des données» en l’absence de «l’accord de la personne», justifie la syndique. «La commune aurait dû prendre le numéro de la Croix-Rouge et me dire qu’ils essayaient de me joindre», s’étouffe la mère de sept enfants.
Avancer… mais ailleurs
Incompétence, état de choc, manque de communication ou de réactivité? Les deux points de vue sur cette situation peuvent se comprendre. «Si personne ne leur met la pression, ils ne bougent pas, ne décolère pas Lisa. Ils ne font rien d’eux-mêmes.»
Selon elle, il a fallu que la police, la voisine ou les médias appellent la commune pour qu’elle agisse rapidement. Du côté de la syndique, l’ambiance est à l’apaisement: «J’aimerais souhaiter tout de bon à la maman. J’espère qu’elle trouvera un endroit où s’installer qui apporte le meilleur à tous ses enfants.»
Un nouveau chez-soi, c’est justement ce que recherche la Fribourgeoise. Mais son regard se dirige désormais loin de la région, plutôt du côté du canton de Vaud. Du côté de la police cantonale, on mène toujours l'enquête sur les causes de l'incendie. «Des spécialistes se sont rendus plusieurs fois sur les lieux», informe le porte-parole Gino Frangone.
*Nom connu de la rédaction