Cet article a été mis à jour avec la prise de position de Swatch Group, maison mère de Swatch Group les boutiques SA.
En Suisse, plus d'une femme sur dix souhaitant revenir sur le marché du travail après un congé maternité n'y arrive pas. C'est ce que souligne UNIA Genève dans son communiqué, qui annonce la victoire au tribunal des prud'hommes genevois de deux femmes, appuyées par le syndicat, contre le Swatch Group les boutiques SA.
La cause du litige: deux licenciements considérés comme injustes. En effet, très peu de temps après leur retour du congé maternité, ces deux jeunes mamans se sont vu claquer la porte au nez par l'entreprise horlogère. Catherine*, l'une d'elles, a accepté de nous raconter son vécu. Nous la rencontrons juste avant la conférence de presse jeudi matin, dans les locaux d'UNIA à Genève.
«J'ai tout de suite senti une ambiance tendue»
Tout a commencé en 2020, une semaine après son retour de congé maternité. Elle était dans l'entreprise depuis 2016. Elle raconte: «Lorsque je suis revenue au travail, j'ai tout de suite senti une ambiance tendue. Quelques jours plus tard seulement, on m'a dit de monter au quatrième étage. J'avais les jambes qui tremblaient, dans la cage d'escaliers. Dans le local, on m'a dit de m'assoir, avant de m'annoncer mon licenciement. Mon supérieur m'a ensuite prise par le bras, et m'a dit 'maintenant, il faut y aller'.»
Sans aucun avertissement au préalable, Catherine a été «libérée de l'obligation de travailler». Elle a dû prendre ses affaires et partir immédiatement.
Pour le syndicat, ces cas sont malheureusement des «cas d'école», qui se produisent encore trop souvent: «Malgré les propos de Philippe Bauer, membre du PLR et président au bureau exécutif de la Convention patronale de l’industrie horlogère suisse, qui indiquait en 2021, lors d’une déclaration dans la presse, que le droit actuel protège déjà suffisamment les femmes contre les agissements abusifs des entreprises, ces situations minent encore trop souvent les salariées à leur retour au travail.»
«Toute ma vie, j’ai été pro»
La raison invoquée par le grand groupe suisse pour licencier la jeune maman? «On lui a dit qu’elle avait commis une faute professionnelle, explique Céline Moreau, l'avocate de Catherine. Mais cette faute a été écartée par le juge, qui a considéré que le reproche était injustifié.»
Le tribunal a de fait jugé le licenciement de la jeune mère comme étant discriminatoire, tout comme celui de sa collègue, qui n'a pas voulu s'exprimer directement ici. D'autant plus que cette deuxième femme, mise à la porte en même temps, a tout de suite été remplacée par... un jeune homme.
Catherine est encore psychologiquement très ébranlée par l'affaire. «J'ai toujours été une employée modèle, explique-t-elle, pleine d'incompréhension. Pourtant, lorsque je suis revenue, j'étais, à leurs yeux, une femme, une mère, avant d'être une employée.»
«J'avais deux enfants à charge»
Après deux ans, les plaignantes obtiennent enfin gain de cause. Contacté par Blick, le Swatch Group, maison mère de Swatch Group les boutiques SA, affirme qu'il ne fera pas appel contre la décision du tribunal des prud’hommes.
Le géant de l'horlogerie Suisse ne reconnaît cependant pas les discriminations qui lui sont reprochées: «Nous soulignons que les deux licenciements n’ont pas été prononcés en lien avec les grossesses, rétorque sa porte-parole Petra Romanelli. L’une des personnes a été licenciée en raison de très nombreuses absences avant la grossesse. L'autre a enfreint des instructions de travail claires peu après son retour de congé maternité. (...) Les deux personnes ont reçu l'intégralité de leur salaire jusqu'à la fin de leur délai de congé.»
Aujourd'hui, Catherine a tant bien que mal retrouvé du travail. Mais ça n'a pas été sans conséquences sur sa santé. Ces derniers vingt-quatre mois, ponctués par le procès, ont été un véritable calvaire pour la trentenaire: «Lorsque j'ai été virée, j'avais deux enfants à charge, et un mari qui n'avait pas d'emploi. Cela a été extrêmement dur, mais j'ai dû rapidement me relever. Alors que, en plus de cette situation complexe, j'étais en train d'allaiter, il y avait les hormones, ce n'était vraiment pas facile.»
Au sein du Swatch Group les boutiques SA, un licenciement très similaire, qui n'a cependant pas été porté devant la justice, aurait précédé celui de Catherine et de la jeune femme à ses côtés. Notre intervenante confie: «Quand j'ai eu mon premier enfant, mon supérieur m'a demandé si j'avais l'intention d'en avoir un deuxième... C'était une vrai pression, déjà à l'époque.»
Cas fréquents mais invisibles
Céline Moreau, qui a défendu Catherine en justice, se souvient d'une procédure longue et douloureuse: «Le dossier était très dur à mener. Ça demande énormément d'énergie, des rendez-vous réguliers, lors desquels il faut revenir sur une situation émotionnellement difficile. Et puis, il y a les frais d'avocat...»
«Ces cas sont en réalité fréquents», souligne à nouveau le secrétaire syndical Alejo Patiño. Et l'avocate de Catherine d'ajouter: «Si elle vous parle aujourd’hui, c’est surtout pour les autres. Pour que cela n'arrive plus.» Car malgré leur fréquence, peu de cas vont jusqu'au tribunal.
Au niveau politique, UNIA compte bien livrer une guerre à ce genre de discriminations: «Lors de la négociation de la prochaine Convention collective, nous allons amener ces cas, qui sont exceptionnels, car ces femmes ont été jusqu'au bout», affirme Alejo Patiño.
Catherine semble tremblante du début à la fin, face aux journalistes assis autour d'elle à la conférence de presse jeudi. Mais elle sait pourquoi elle est venue, et n'a aucun regret: «Avec une victoire comme celle-ci, nous récupérons notre dignité. Je veux qu'en lisant cet article, les femmes qui pourraient vivre des situations similaires aient le courage d'aller jusqu'au bout.»
*Nom d'emprunt. Identité connue de la rédaction