L'hygiène excessive appauvrit le lait
Les fromages ne vont pas disparaître, mais risquent d'avoir «tous le même goût»

Les champignons qui confèrent aux fromages leurs goûts variés seraient en voie de disparition, rapporte la RTS. Blick s'est enquis de l'avis d'un expert, Claude Luisier, affineur et star des réseaux. Il dément, mais s'inquiète pour le lait, le goût… Interview
Publié: 12.04.2024 à 16:47 heures
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Dernière mise à jour: 12.04.2024 à 21:28 heures
Claude Luisier, l'affineur qui rassemble la communauté la «plus bienveillante du monde» selon bon nombre de ses 665'000 abonnés sur Instagram.
Photo: Keystone
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

Horreur absolue pour les amateurs de fromages: ils pourraient disparaître, surtout les ultra-populaires brie et camembert. Le bleu serait aussi menacé, affirme la RTS dans son podcast «Le Point J».

Pas de méprise, il ne s'agit pas d'une victoire de la tomme de cajou. Deux chercheuses françaises pointent du doigt l'homogénéité des cultures. La diversité des champignons, sélectionnés à outrance par l'humain, est menacée. Essentiellement Penicillium roqueforti, responsable de la marbrure des bleus, et Penicillium camemberti, de la croûte duveteuse et blanche des bries et des camemberts.

Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) français se demande carrément si ces deux frometons ne sont pas en voie d'extinction. Blick a voulu poser la question à l'affineur le plus célèbre de Suisse (et du monde): Claude Luisier. Le spécialiste aux 665'000 abonnés sur Instagram est bien placé pour parler de cette catastrophe… Qu'il dément! Interview

Monsieur Luisier, ça y est, c'est la fin du brie, du camembert et du bleu?
Les chercheurs sont gentils, mais ça n'est rien de nouveau pour Penicillium camemberti. Ce champignon n'est pas naturel, c'est un mutant arrivé par hasard et qu'on a développé pour le garder. Il faut faire attention à bien le conserver, mais aucun producteur n'a de soucis pour s'en procurer. J'ai encore appelé hier soir le directeur de l'interprofession du camembert qui le confirme.

Et pour le roquefort?
Ils sont à côté de la plaque. C'est clair que les producteurs utilisent des champignons de culture, en poudre, mais à la base le champignon vient de pain de seigle moisi, c'est inépuisable. C'est comme ça qu'on faisait le roquefort à l'origine, en mettant du pain moisi dans le lait.

Il n'y a donc pas de problème dans le monde du fromage?
Si, mais il est différent. Le lait devient pauvre. La pasteurisation, qui le chauffe à 60 degrés, tue les mauvais, mais aussi les bons germes. Il faut réintroduire des bactéries lactiques pour fabriquer le fromage et l'industrie prend toujours les mêmes.

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Et pour le fromage artisanal?
Les fermiers me disent aussi que leur fromage, fabriqué avec le lait de leurs vaches, subit le même problème. Le lait devient pauvre à cause des mesures d'hygiène rigoureuses. Il faut nettoyer le pis des vaches, et donc réintroduire des bactéries lactiques et mettre le lait en culture pour le faire fermenter, en laboratoire. Alors que les bactéries se trouvent naturellement dans leurs champs.

Mais d'où vient cette volonté de propreté absolue?
C’est l’évolution, on veut du plus propre, du plus hygiénique… Les contrôleurs sont toujours plus exigeants. Aujourd’hui, l’estomac s’est habitué à des choses plus faciles à digérer. Si on nous donnait la nourriture d’il y a 100 ans, on serait peut-être malade. 

Les bactéries qui se développent dans les caves se mangent-elles toutes?
Oui, il y a la croûte que l'on maîtrise, frotte et lave, pour arriver à un certain résultat. Il y a également la croûte «spontanée», que l'on n'arrive pas à maîtriser. Sur les chèvres, dans ma cave, la croûte spontanée est pleine de couleurs. Je fais une croisade à ce sujet: «Ne prenez pas le plus joli, c’est le plus vilain qui sera meilleur!»

Claude Luisier déplore la fabrication uniformisée et industrielle de fromages qui ont tous le même goût.
Photo: DR

Si l'on inoculait un autre champignon à un camembert, par exemple, ça ne serait plus un camembert?
Non. Mais avant, même avec le même champignon, on pouvait reconnaître chaque ferme et son terroir en goûtant différents camemberts. Aujourd'hui le fromage n'a plus de caractère, les camemberts ont tous le même goût.

Même les camemberts fermiers?
Il n'y en a plus beaucoup. Le seul à être protégé, c'est le camembert région Normandie AOP. Sinon, on peut le faire n'importe où. L'AOP doit être produit avec du lait de vache de race Normande, moulé à la louche en cinq couches. D'autres le font aussi, sans l'appellation, et on arrive à ressortir le goût typique.

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Dans votre cave, les amateurs sont intéressés à goûter les fromages aux aspects moins lisses?
S'il y a un contact direct, on peut faire goûter plein de choses aux gens. Mais les jeunes – jusqu'à 40 ans –, sur les réseaux sociaux, c'est l'avenir. J'explique la fabrication du fromage, les champignons et j'ai des réactions de jeunes très intéressés, qui apprennent plein de choses. Il y a un vrai retour de manivelle, tout un mouvement de jeunes pour aller vers le vrai produit.

Pourquoi, pensez-vous, spécifiquement les jeunes? On pourrait penser que le fromage est un produit qui plaît aux anciennes générations?
Ma génération a été élevée avec des produits industriels, tout ce qui était industriel était intéressant, car c’était nouveau. Comme le béton d'ailleurs, ou les petits cubes de fromage. Quand des jeunes m'écrivent pour me dire qu'ils ont fait découvrir le (vrai) fromage à leurs parents, je me dis que j'ai tout gagné.

Ces jeunes pourraient être l'avenir du métier, prendre la relève?
De plus en plus de personnes veulent faire du fromage de manière traditionnelle. Il faudrait que les autorités les laissent faire, sans leur mettre des bâtons dans les roues avec des contrôles toujours plus stricts.

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