«Les problèmes ont commencé quand je suis tombée enceinte»
Ce donneur de sperme a-t-il transmis des maladies héréditaires à plusieurs clientes?

Un couple de femmes argoviennes qui souhaitait avoir un enfant est tombé dans le piège d'un donneur de sperme allemand. Les méthodes utilisées par celui-ci et les secrets qu'il cachait ont suscité de vives réactions parmi ses clientes.
Publié: 21.04.2024 à 20:01 heures
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Dernière mise à jour: 21.04.2024 à 21:24 heures
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Tamara et Daniela Gerber (à droite, noms modifiés) ont cherché un donneur de sperme sur Internet.
Photo: Thomas Meier
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Rebecca Wyss

Il y a certaines vérités que l'on préfère ignorer. C'est ce qu'ont vécu Tamara et Daniela Gerber, un jour d'octobre dernier dans une petite ville d'Argovie.

Sur le tapis d'éveil du salon, leurs filles jouent ensemble, se touchent le visage avec leurs petits doigts potelés, batifolent et jettent régulièrement un œil sur leurs mères assises sur le canapé. Elles ont neuf mois. Des jumelles nées d'un don de sperme. Un rêve que ce couple de femmes a pu réaliser.

Daniela Gerber travaille désormais à temps partiel dans un salon de manucure pendant que Tamara garde les petites. Leurs filles semblent bien grandir: «Tout se passe à merveille», confie Daniela. Leur bonheur était complet, jusqu'à ce que l'on évoque un nom ce jour-là dans le salon: «Martin W., vous connaissez?»

Ce fameux Martin W.*, un quadragénaire aux sourcils broussailleux et au regard chaleureux, est un donneur de sperme allemand. Et une rumeur persistante circule à son sujet sur Internet: l'homme serait atteint d'une maladie chronique qu'il peut transmettre. Tout cela, sans jamais rien dire aux femmes et aux couples qu'il aide.

Le donneur de sperme en masse : Martin W.
Photo: zvg

Daniela et Tamara Gerber ont choisi Martin W. pour concevoir leurs enfants. En ce qui concerne les accusations contre leur donneur, Tamara répond: «Ce doit être un mensonge.» La jeune femme veut des preuves et souhaiterait prendre contact avec les personnes qui tiennent ces accusations. Mais ce qu'elle désire par-dessus tout, c'est prendre contact avec son donneur.

Beaucoup voudraient seulement du «sexe»

L'histoire commence en Allemagne, sur des groupes Facebook non réglementés, où des centaines de couples en mal d'enfant rencontrent des hommes d'âge moyen. C'est sur ces forums que le couple d'Argoviennes est tombé. Les hommes qui s'y présentent n'apparaissent dans aucun registre officiel de donneurs, mais en tirent des bénéfices. Beaucoup veulent du «sexe», dans le jargon des donneurs, mais de façon «naturelle». Martin W. en fait partie.

Pour cerner son cas, quatre couples qui ont eu des enfants grâce à lui, mais aussi des juristes, des médecins et des cliniques ont été contactés. Et tout montre que pour certains parents, le désir porté sur Internet d'avoir un enfant s'est transformé en cauchemar.

Tamara et Daniela Gerber se sont rencontrées sur une application de rencontre et sont tout de suite tombées amoureuses. Elles ont rapidement emménagé ensemble, puis se sont mariées. Avoir des enfants était la seule chose qui leur manquait: «J'ai toujours voulu être mère jeune», confie Tamara.

En tant que couple de lesbiennes, le don de sperme dans le cadre privé a longtemps été la seule option, ce qui signifie qu'il leur fallait trouver elles-mêmes un donneur. Ce n'est que depuis juillet 2022 que les couples de femmes, pour autant qu'ils soient mariés, ont légalement accès en Suisse à un don de sperme via une clinique.

34 enfants en 4 ans

Les Gerber ont fait leur première tentative en 2021. Par le biais d'un forum de l'association Familles arc-en-ciel, elles ont trouvé un homme suisse, aux yeux bleus et aux cheveux foncés. Visuellement, il leur convenait. Pendant un an, il donnait des échantillons et Tamara s'inséminait seule, avec une seringue. En vain. Elle n'est pas tombée enceinte. Elle pense que c'est la qualité du sperme qui en est la cause.

Puis Martin W. est arrivé. En 2022, elles l'ont trouvé via un forum privé de donneurs de sperme sur Facebook. La couple a toujours rejeté la possibilité d'avoir recours au service d'une clinique de fertilité, dont les services coûtent entre 1100 et 1500 francs. Martin W. semblait alors idéal. Selon ses propres dires, il avait conçu 34 enfants en tant que donneur au cours des 4 dernières années. Pour 500 euros, il offrait sa fertilité au couple.

Martin W. inspirait confiance. Il a présenté aux deux femmes des bilans de santé attestant qu'il n'avait pas de MST et que son sperme était bon. Il a également montré des photos de lui avec quatre enfants et une femme, affirmant qu'il s'agissait de sa famille. Contacté, il a d'abord décliné toutes les sollicitations de Blick.

Tout cela a impressionné Daniela Gerber: «C'était le premier qui était fiable.» Et lorsque sa femme Tamara a commencé son ovulation, il a immédiatement quitté l'Allemagne pour rejoindre le couple. Il leur a remis un échantillon, a passé la nuit dans la chambre d'amis et est reparti le lendemain. Un type tout à fait normal. Sauf que...

Le secret de Martin W. est aujourd'hui dévoilé

Martin W. a un sombre secret, lequel a fuité sur Internet le 13 février 2023. C'est une mère allemande, Nina Kruse, qui a tiré la sonnette d'alarme sur un forum de donneurs: «Ceci une mise en garde contre un donneur! Si vous avez fait de mauvaises expériences ou si vous êtes vous-mêmes concernés, contactez-moi!»

Nina Kruse possède déjà un dossier entier rempli de preuves: des résultats médicaux, des conversations d'autres parents, des photos de documents procurés par le donneur. Elle est aujourd'hui en contact avec plusieurs dizaines de parents ayant eu des enfants de Martin W.: «Ce type dissimule ses maladies à tout le monde.» Tous se disent bouleversés.

Le fils de Nina Kruse, âgé de trois ans et né de Martin W., a des problèmes de santé et elle est persuadée que cela a un rapport avec le donneur. Les diarrhées chroniques de son enfant sont apparues lorsqu'elle a cessé de l'allaiter et a commencé à lui donner des aliments solides. Nina Kruse l'a emmené à l'hôpital, lui a fait faire une coloscopie et a vu une demi-douzaine de médecins. Mais rien: «Personne ne peut expliquer pourquoi notre fils a ça.» Tous les diagnostics se ressemblent: une inflammation du tractus gastro-intestinal dont la cause est inconnue.

«Nous regrettons»

Deux autres enfants de Martin W. sont également sous traitement en raison de diarrhées chroniques. L'un d'eux est le fils de Mandy Meier, dont le partenaire ne peut pas concevoir d'enfant. Martin W. a donc aidé le couple vivant en Bavière: «Nous le regrettons.»

Son petit garçon de trois ans ne pouvait pas aller aux toilettes sans médicaments. Pendant des mois, il criait de douleur à chaque passage aux WC. Aujourd'hui encore, l'enfant ne se nourrit que de liquide, l'intestin ne pouvant pas transformer les aliments en selles: «Nous avons quand même un beau garçon. Nous n'avons pas le bon donneur, mais le bon enfant», relativise Mandy Meier.

Dans les cliniques suisses, tout le monde ne peut pas devenir donneur, car les conditions sont strictes. Chaque candidat est testé plusieurs fois au cours des six mois pour vérifier qu'il n'est pas malade. Les médecins vérifient également qu'il n'a pas de maladies héréditaires courantes.

Martin W. n'aurait pas pu être donneur en Suisse

En clair: Martin W. n'aurait eu aucune chance. Le donneur souffre d'épilepsie et d'une maladie inflammatoire chronique de l'intestin, la colite ulcéreuse, un mal qui s'est manifesté lorsqu'il était enfant. Les symptômes sont généralement les suivants: diarrhées accompagnées de sangs et de glaire, douleurs abdominales, envie fréquente d'aller à la selle, ou au contraire constipation.

«Il existe des prédispositions génétiques pour ces maladies, donc des antécédents familiaux», explique Carsten Posovszky, chef du service de gastroentérologie, d'hépatologie et de nutrition à l'hôpital pédiatrique universitaire de Zurich. Des influences extérieures comme le stress, l'environnement, les infections joueraient également un rôle dans le déclenchement des maladies.

Ainsi, Peter Fehr de la clinique zurichoise OVA IVF affirme que même avec une seule des maladies, sa clinique n'accepterait déjà pas quelqu'un dans le programme de donneurs: «En cas de combinaison des deux maladies, c'est en tout cas exclu.»

«Les problèmes ont commencé quand je suis tombée enceinte»

Tamara et Daniela Gerber ont eu de la chance jusqu'à présent. Leurs filles ne présentent pas de problèmes de santé particuliers. Mais les deux mères ont longtemps été inquiètes: «Et si les enfants étaient malades? Et si une seule était atteinte? Elles ont souvent emmené leurs filles chez le médecin, lequel les a à chaque fois rassurées.

L'évocation de Martin W. ne réveille en revanche que le souvenir de certaines attitudes bizarres: «Les problèmes avec Martin ont commencé quand je suis tombée enceinte», raconte Tamara Gerber.

Daniela et Tamara Gerber ont eu des jumeaux de Martin W.
Photo: Thomas Meier

Martin W. voulait des photos d'elles. Chaque mois, il la «harcelait» pour obtenir des clichés: «Je trouvais ça gênant», se souvient la jeune femme, qui se rappelle aussi de compliments insistants, lorsqu'il écrivait qu'elle était belle, ou quand il lui a demandé si les deux femmes avaient une relation ouverte. Il aurait même demandé si elle voulait adopter la «méthode naturelle», c'est-à-dire une relation sexuelle, ce que Martin W. conteste.

Lorsque Tamara a refusé les avances, une dispute a éclaté entre elle et le donneur. Le couple ne voulait lui verser la deuxième tranche du paiement qu'après les trois premiers mois de grossesse. Pour se venger, Martin W. a écrit sur Facebook aux amis du couple pour leur dire que leurs filles était nées d'un don: «Même ma sœur ne le savait pas», raconte Mandy Meier. Martin W. serait allé encore plus loin, en menaçant de reconnaître les enfants afin de le leur enlever, ce que l'intéressé nie.

Ce problème montre à quel point les futurs parents prennent un risque en faisant appel à un donneur dans le cadre privé. Car le droit suisse ne réglemente pas la pratique: «Selon la loi, le donneur serait le père légal», explique Karin Hochl, avocate spécialisée dans les couples de même sexe, les familles alternatives et la procréation médicalement assistée (PMA). Les accords conclus entre le donneur et les parents seraient ainsi difficilement applicables en cas de conflit. C'est également le cas en droit allemand. En revanche, dans le cas d'un don de sperme via une clinique suisse de fertilité, la paternité du donneur est exclue dès le départ.

Le donneur de sperme se justifie

Après plusieurs sollicitations, Martin W. a fini par se manifester. Que pense-t-il du fait que des parents se sentent trahis? Comment s'explique-t-il? D'emblée, il explique ne pas comprendre leur colère et se présente volontiers comme un homme responsable.

De plus, il ne pourrait pas transmettre la colite ulcéreuse ni l'épilepsie: «Si j'avais des maladies héréditaires, je n'aurais pas donné.» Quand il était encore un garçon, les médecins lui auraient blessé un nerf lors d'une opération des amygdales. C'est ce qui aurait déclenché l'épilepsie. Les médicaments ont alors déclenché une colite ulcéreuse.

À l'Hôpital de la Charité de Berlin, les médecins auraient ensuite arrêté tous ses traitements, puis «l'épilepsie et la colite ont disparu», raconte-t-il. Il a également obtenu sa carte d'invalidité, qu'il n'a pas rendu pour éviter de perdre sa pension.

La carte d'identité de Martin W.
Photo: zVg

L'épilepsie et la colite ulcéreuse sont pourtant incurables: «Ce sont des maladies chroniques», explique Carsten Posovszky de l'hôpital pédiatrique universitaire de Zurich. Ces deux troubles sont par contre facilement traitables. La colite ulcéreuse peut évoluer par poussées, entre lesquelles on n'a pas de symptômes.

Pas de quoi rassurer les parents sur le plan juridique. Ils devraient prouver au tribunal que Martin W. les a délibérément trompés, comme le voudrait le droit pénal allemand. En Suisse, l'avocate Karin Hochl ne voit également «aucune possibilité d'agir contre le donneur» pour la même raison.

Il ne reste donc qu'une option aux parents: avertir les autres personnes qui souhaitent avoir un enfant. Pour cela, ils peuvent se rendre dès le début dans des cliniques spécialisées.

*Nom connu de la rédaction

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