C'est un combat de David contre Goliath. David n'utilise pas une fronde pour se défendre, mais une plainte auprès de la Commission de la concurrence (Comco), qui doit être déposée cette semaine.
Goliath, c'est le grossiste automobile Emil Frey et l'une de ses filiales, Jaguar Land Rover Suisse SA (JLR). Le groupe Emil Frey est le plus grand concessionnaire automobile indépendant d'Europe. En 2020, il a réalisé en Suisse un chiffre d'affaires d'un peu moins de trois milliards de francs, selon la «Handelszeitung», et employait environ 3'800 personnes.
David, c'est Swissgarant, un petit syndicat de douze ateliers de réparation, c'est-à-dire des ateliers de carrosserie qui s'occupent des voitures accidentées. Le tout pour un chiffre d'affaires de quelques millions de francs et quelques dizaines d'employés.
Litige concernant les pièces détachées
Le président de Swissgarant, Christoph Flückiger, directeur général de Flückiger AG à Oftringen (AG), décrit son combat dans la lutte contre Goliath. Dans un cas, il voulait commander des pièces de rechange en aluminium à Emil Frey, via la société voisine Safenwil AG, pour la réparation d'une Land Rover. Coût de l'ensemble de la réparation, y compris la main-d'œuvre et les pièces de rechange: environ 12'000 francs.
Mais au lieu d'une livraison, Flückiger a reçu la réponse suivante: «Ce véhicule doit venir chez nous pour être réparé, car nous ne pouvons commander le panneau latéral que pour nous-mêmes.»
Etonnant. Deux jours plus tard, Flückiger AG a pu se procurer les pièces de rechange à l'étranger sans aucun problème. Blick a vu les bons de livraison. «Si le fabricant avait vraiment quelque chose contre la livraison à des ateliers de réparation indépendants, cela ne serait pas possible», est convaincu Christoph Flückiger. En outre, Land Rover fournit des instructions de réparation dans le réseau. Les réparateurs indépendants y auraient également accès.
«Des pièces importantes pour la sécurité»
Blick a demandé à Emil Frey pourquoi les pièces de rechange n'ont pas été livrées. La filiale JLR écrit: «Les pièces en aluminium sont des pièces que le fabricant considère comme très importantes pour la sécurité.» Celles-ci ne seraient livrées qu'aux partenaires certifiés.
Jaguar Land Rover ne répond néanmoins pas à la question de savoir pourquoi les pièces en aluminium peuvent être obtenues à l'étranger sans aucun problème.
Christoph Flückiger connaît bien les réparations complexes des voitures modernes: «En 1994, Audi a lancé le premier modèle de série dont la structure était entièrement en aluminium. Nous avons l'expertise nécessaire pour réparer les carrosseries en aluminium.» Entre-temps, le travail de carrosserie est aussi devenu plus complexe, les voitures modernes étant construites en plusieurs matériaux. Flückiger est également passé maître dans ce domaine, comme en témoigne le nombre de BMW, de Porsche et de Teslas qui sont en réparation dans son atelier.
Accusation de concurrence déloyale
Si le savoir-faire ne manque pas, les pièces de rechange provenant de JLR manquent, elles, bel et bien. Swissgarant a recueilli d'autres cas, qui font également partie de la plainte déposée auprès de la Comco.
«JLR a mis en place un système de distribution sélectif et illégal qui élimine ou du moins entrave de manière significative la concurrence», accuse le syndicat. En outre, JLR détient une position dominante sur le marché et en abuse au détriment de la compétitivité des garages et des consommateurs.
JLR est d'un autre avis: «Nous considérons que notre système de distribution est conforme à la législation antitrust, car les critères de certification sont ouverts à tous les ateliers et concessionnaires autorisés et indépendants et sont appliqués de manière non discriminatoire.»
«Nous ne voulons pas faire partie du réseau de JLR, se défend Christoph Flückiger, nous voulons simplement des pièces détachées pour pouvoir réparer les véhicules accidentés de nos clients.»
«Les affaires sont devenues plus difficiles»
Seuls quelques cas sont documentés dans la plainte. L'avocat Patrick Krauskopf estime que ce n'est que la partie émergée de l'iceberg: «Il n'est pas rare que des moyens plus ou moins sophistiqués soient utilisés pour stopper l'approvisionnement en pièces détachées.»
Patrick Krauskopf, ancien vice-directeur de la Comco, a rédigé la plainte pour Swissgarant. «À mon avis, dit-il, les raisons invoquées ne sont que des prétextes. Ce dont il est objet, c'est JLR se protégeant d'une trop grande concurrence.»
Pour Flückiger également, le nombre de cas n'est pas déterminant. «Avec cette plainte, Swissgarant veut mettre un terme à cette pratique avant qu'elle ne s'étende davantage. Il s'agit aussi de notre existence», ajoute-t-il. «Les affaires sont devenues plus difficiles, les marges se réduisent.»
Les voitures modernes ne sont pas seulement plus robustes, mais avec leurs systèmes d'assistance, elles freinent de manière autonome ou évitent les obstacles. Résultat: encore moins d'accidents ou d'accrochages. Ce qui est une bonne nouvelle pour le conducteur l'est beaucoup moins pour les affaires des ateliers de réparation, qu'ils fassent partie d'un groupe ou qu'ils soient indépendants.