Une villa majestueuse se dresse le long d'une petite route de la localité néerlandaise d'Amersfoort, à environ 50 kilomètres au sud-est d'Amsterdam. C'est ici que des consommateurs suisses passent chaque jour leurs commandes de vêtements, de chaussures ou d'accessoires. Mais la villa n'abrite pas d'entrepôt, loin de là. Elle n'est même pas habitée.
Elle est en fait le siège de plus de 400 entreprises, dont une bonne douzaine de plateformes en ligne suisses. La «Villa de Horst», c'est le nom de cette maison crépie de blanc, située au 341 Utrechtseweg. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce manoir a un passé mouvementé.
Le chat et la souris aux Pays-Bas
La maison a été achetée en 2010 par une fondation, dont le directeur était Vadim Blaustein. Né à Saint-Pétersbourg, puis installé aux Pays-Bas, il a été arrêté en 2016. En juin 2023, il a été condamné par contumace à trois ans de prison pour fraude fiscale, escroquerie et blanchiment d'argent.
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Au moment de son arrestation, des dizaines d'entreprises et de fondations étaient déjà enregistrées à cette adresse. Après avoir été libéré de sa détention provisoire, Vadim Blaustein s'est enfui à Dubaï, avant de se rendre à Monaco. Pendant ce temps, de nombreuses autres entreprises ont continué à s'enregistrer à l'adresse d'Amersfoort: au total, plus de 450 entreprises sont passées par là.
Et les autorités néerlandaises, dans toute cette histoire? Les entreprises, elles n'en ont que faire. Elles estiment qu'il est légitime d'installer un grand nombre d'entreprises sur un site, ont-elles récemment expliqué au journal néerlandais «Nieuwsplein33». Personne, ou presque, ne contrôle les conditions d'obtention d'une adresse d'entreprise. Il y a tout de même de temps en temps des contrôles effectués par le Bureau Economische Handhaving (Bureau de l'exécution économique) pour le compte de la Chambre de commerce.
Si aucune entreprise réelle ne correspond à l'adresse, celle-ci est alors bloquée. Mais la plupart du temps, les sociétés-écrans déménagent à une autre adresse sous un nouveau nom. Un travail de titan pour les autorités.
Rien que des boîtes aux lettres
A l'adresse où se trouve la Villa de Horst, on trouve de nombreuses boutiques en ligne qui exploitent une plateforme avec un domaine.ch. Exemples: fischer-zurich.ch, karlamoda.ch, emmafrey.ch, lovania-mode.ch, levuna.ch ou vogish.ch.
Ce dernier site a été mentionné par Blick dans son article sur Claudio Rangognini, un homme de 69 ans qui dit s'être fait arnaquer. Il aurait reçu des produits bon marché en provenance de Chine sur bonidashop.ch, malgré des images alléchantes. Vogish.ch a été temporairement mis hors ligne, mais est désormais à nouveau fonctionnel. La boutique Bonidashop a une adresse située, elle aussi, à une quarantaine de kilomètres au nord d'Amsterdam. Il s'agit d'une simple maison résidentielle en briques qui, de l'extérieur, n'a rien d'un siège d'entreprise.
Certaines des boutiques susmentionnées ont déjà déménagé. Fischer-zurich.ch, par exemple, a à présent une adresse dans la ville de Cuijk, à l'est des Pays-Bas. Un coup d'œil sur Googlemaps le montre: c'est aussi une petite maison insignifiante dans laquelle on peut louer un poste de travail, une salle de réunion ou une adresse postale pour la Chambre de commerce. L'adresse mentionnée sur le site d'emmafrey.ch correspondant dorénavant à un grand magasin situé, dans un parc d'affaires à l'ouest de Dublin. Le site web continue toutefois de véhiculer un peu de «suissitude», avec des phrases en suisse allemand.
Des dropshipping partout dans le monde
Le cas d'emmafrey.ch est la preuve que les adresses de ces étranges boutiques en ligne ne se trouvent pas uniquement aux Pays-Bas, loin de là. L'entreprise bergerzurich.com, par exemple, qui diffuse beaucoup de publicité en ligne en Suisse, a son siège dans le quartier de Mongkok, à Hong Kong, l'un des endroits les plus densément peuplés au monde, avec d'innombrables petites entreprises et boutiques.
Bien qu'elles n'existent pas physiquement, ces entreprises réalisent pourtant bel et bien des livraisons. Elles agissent en fait par le biais du «dropshipping» classique: dans ce modèle commercial, un commerçant en ligne vend des produits qu'il ne possède pas physiquement. Au lieu de cela, les commandes sont envoyées directement du fabricant – ou du grossiste – au client. Le lieu où se trouvent les intermédiaires n'est important qu'en cas de problème. Rien n'est jamais repris. C'est ce qui s'est justement passé pour Claudio Rangognini.
Note: Avant de passer commande, il est vivement recommandé de jeter un coup d'œil sur le siège de l'entreprise, sur Googlemaps, ou sur les plateformes d'évaluation.