Rothrist dans le canton d'Argovie est un coin un peu perdu. Pourtant, c'est là que se trouve le siège de Rivella. Pour attirer les employés qualifiés, l'entreprise suisse mise sur des conditions de travail attractives.
Le travail à temps partiel et le partage de poste ont la cote. Même les chefs les plus hauts placés ont le droit à une vie privée: un jour par semaine, Silvan Brauen se consacre à ses enfants. Erland Brügger, lui, ne travaille que trois jours par semaine pour Rivella. Blick a rencontré les deux dirigeants qui se partagent la direction de l'entreprise lors d'une semaine importante: le lancement du Rivella Jaune. Avec leur nouveau produit, ils souhaitent donner un nouveau souffle à l'entreprise qui emploie 300 personnes.
Cette semaine, vous avez lancé une grande campagne publicitaire pour Rivella Jaune, notamment dans Blick. Outre les trams, un portail d'information était même aux couleurs de votre nouvelle boisson. Combien cela vous a-t-il coûté?
Silvan Brauen (SB): Nous ne pouvons pas révéler le montant exact. Mais nous y avons consacré une part substantielle de notre budget marketing. Il est important que Rivella Jaune soit un succès.
En 2008, vous aviez déjà essayé la couleur jaune – sans succès. Rivella Cliq, Refresh ou Enertea ont également disparu du marché. Comment allez-vous faire pour que cela fonctionne cette fois-ci?
Erland Brügger (EB): Malgré le même nom, le produit est complètement nouveau. C'est le premier Rivella sans petit-lait. Nous devenons ainsi intéressants non seulement pour les vegans, mais aussi pour les personnes intolérantes au lactose, et il y en a près de deux millions en Suisse.
SB: Le nouveau Rivella Jaune contient par ailleurs nettement moins de sucre que l'original. Nous répondons ainsi à un autre besoin des clients qui a gagné en importance ces dernières années.
Le choix de la couleur ne parle pas à tout le monde. Certains le trouvent même peu appétissant ...
SB: Nous avons eu de vives discussions au sein de l'entreprise, y compris avec le Conseil d'administration, pour savoir si nous devions à nouveau tenter notre chance avec un Rivella Jaune. C'est une décision audacieuse, mais nous sommes convaincus que c'est la bonne. Le jaune est associé au véganisme et à la faible teneur en sucre. Nous ne pensons pas qu'il s'agisse d'une association indésirable. Ce n'est d'ailleurs pas un problème pour la bière...
Le Rivella Jaune sert aussi à attirer une clientèle plus jeune. Dans ce cas-là, ne serait-il pas plus judicieux de créer une nouvelle marque?
EB: Avec Focuswater, nous avons déjà une marque forte qui plaît aux jeunes. De plus, la création d'une nouvelle marque n'est pas de tout repos. Sur cent innovations, vraiment très peu fonctionnent.
Et qu'en est-il des acquisitions?
SB: Nous gardons constamment l'œil ouvert pour voir s'il y a des marques qui pourraient nous convenir. Je ne peux pas citer de noms, mais il y a toujours des candidats intéressants qui apparaissent. La Suisse est une nation d'inventeurs! Nous menons aussi régulièrement des entretiens. La condition préalable à une acquisition est toutefois que la partie en face veuille vendre.
EB: Nous nous concentrons sur les petites start-up dont les produits ont un fort potentiel de croissance – et que nous pouvons aider avec notre expérience et notre réseau. Exactement comme nous l'avons fait en 2019 avec l'acquisition de Focuswater.
Malgré l'acquisition de Focuswater, les ventes de boissons de Rivella ont fortement diminué au cours des 20 dernières années. En 2003, vous vendiez 105 millions de litres dans notre pays, en 2023, ce n'était plus que 67 millions de litres. Vous ne devez pas être satisfaits de cette situation.
EB: Les habitudes de consommation et le style de vie en Suisse ont beaucoup évolué durant cette période. Les boissons sucrées sont moins demandées qu'il y a 20 ans et l'offre s'est considérablement élargie. La production de boissons n'est toutefois pas le chiffre clé pour nous. Les bouteilles vendues et le chiffre d'affaires sont plus importants. Là, l'évolution est meilleure. Mais il est clair que nous aurions aimé augmenter davantage notre chiffre d'affaires.
La population a fortement augmenté au cours des deux dernières décennies. Pourquoi n'avez-vous pas pu en profiter?
EB: La croissance démographique a surtout été très importante dans les zones urbaines, et nous y sommes traditionnellement moins bien implantés qu'en campagne. Et en tant que marque traditionnelle et typiquement suisse, Rivella ne profite guère de l'immigration.
Autrefois, les champions de ski suisse jouaient un grand rôle dans la promotion de Rivella. Aujourd'hui, Marco Odermatt tient un Red Bull devant la caméra. Pourquoi?
EB: En principe, une promotion des skieurs est toujours intéressante pour nous. Sur les pistes, les gens continuent volontiers à boire du Rivella. Toutefois, la plupart des gens ne passent que quelques jours par an sur les pistes. Pour nous, il est donc aussi important d'être perçu comme une boisson non seulement d'été, mais aussi du quotidien.
SB: Nous utilisons davantage nos supports publicitaires pour les campagnes d'été. Il n'est toutefois pas si facile de trouver des ambassadeurs connus pour cela. Jusqu'à présent, la Suisse n'a pas encore produit beaucoup de grandes stars de la natation (rires).
EB: Si nous avions des fonds illimités à disposition, nous sponsoriserions volontiers Odermatt et l'équipe nationale de ski. Mais Red Bull a plus de moyens que nous.
Vous vous partagez la fonction de directeur depuis environ un an. Sur quelle décision y a-t-il eu des conflits?
SB: Nous ne sommes pas toujours d'accord, même loin de là. Mais nous sommes capables de reconnaitre que nous avons des avis divergents et de trouver des compromis.
EB: Même lorsque j'étais le seul directeur, je suis étroitement lié à mes collègues lors des prises de décision. En plus, j'avais déjà travaillé pendant douze ans avec Silvan. Nous savions donc que nous étions en bonne harmonie.
SB: Notre plus grande crainte était que l'entreprise devienne lente et que nous perdions notre spontanéité, car nous devions d'abord nous concerter en permanence. Heureusement, jusqu'à présent, cela ne s'est pas produit. Quand il ne s'agit pas de très grandes choses, c'est celui qui est sur place qui décide.
Magdalena Martullo-Blocher (UDC), une ancienne collaboratrice de Rivella qui connaît aujourd'hui un grand succès en tant qu'entrepreneuse, défend le credo suivant: «La responsabilité ne se partage pas.» Que pensez-vous de ce genre d'affirmations?
EB: Certaines personnes peuvent le faire, d'autres non. Avec Magda, cela ne fonctionnerait probablement pas. C'est pourquoi, je n'accepterais pas non plus un poste de codirecteur général avec elle. Il ne s'agit pas de savoir si c'est bien ou mal. Ce que Magda fait avec Ems-Chemie est fantastique. Mais pour diriger une entreprise ensemble, certaines conditions doivent être remplies. L'une d'entre elles est que tout ne tourne pas autour d'une seule personne. Il faut en plus une confiance mutuelle et la volonté de discuter et de trouver un consensus en cas de divergences d'opinion. Magda résout ces choses différemment.
Vous parlez de «Magda». Connaissez-vous bien Mme Martullo-Blocher?
EB: J'ai étudié avec elle et j'ai ensuite eu de temps en temps affaire à elle pour des raisons professionnelles. De plus, sa sœur Miriam fait partie de notre conseil d'administration. Nous avons donc des points de contact avec la famille Blocher. Mais je ne partagerai pas pour autant le poste de directeur avec Magda. Cela ne fonctionnerait ni pour elle ni pour moi.
Rivella est considéré comme un employeur extrêmement progressiste, et pas seulement en raison de la double direction. Sur une plateforme en ligne, un collaborateur a écrit: «L'idée du profit/chiffre d'affaires ne semble pas, comme dans beaucoup d'autres entreprises, être au-dessus de tout». Etes-vous d'accord avec cette affirmation?
SB: J'y apporterais des nuances. Chez nous aussi, les chiffres sont très importants. Si nous prenons la mauvaise direction, nous finirons par ne plus exister. Nous devons en être conscients. Mais nous tenons à entretenir des relations très respectueuses avec nos collaborateurs. A la fin de l'année, nous n'allons pas nous lancer dans un quelconque exercice pour économiser encore quelques francs.
EB: Il est aussi dans notre propre intérêt d'être un employeur attractif. Nous sommes chez nous à Rothrist, pas à Bâle ou à Zurich. Nous devons donc proposer quelque chose pour que les bonnes personnes viennent chez nous.
SB: Le président du Conseil d'administration Alexander Barth et sa famille jouent un rôle important. Ils se sentent engagés envers leurs employés, et le personnel le ressent. C'est pourquoi, la plupart de nos collaborateurs disent qu'ils travaillent pour la famille Barth.