La décision de partir a coûté cher à la cinquantenaire Andrea Joss. Cela fait dix ans que l’agricultrice de Magden, dans le Fricktal en Argovie, s’est séparée de son mari. «Je me suis retrouvée avec presque rien». C’est ainsi qu’elle résume sa situation de l’époque.
Pendant 15 ans, Andrea Joss a donné un coup de main à la ferme de son mari, en créant une boulangerie florissante dans le bâtiment situé à côté de l’étable. «Je travaillais 17 heures par jour, sept jours par semaine.» Avec le divorce, elle a perdu non seulement la ferme mais aussi son emploi, soit la majorité de ses revenus pour s’occuper de ses trois enfants.
Les femmes agricultrices sont les grandes perdantes des divorces
«Puisque les femmes d’agriculteurs sont considérées comme des travailleuses indépendantes, je ne pouvais pas recevoir d’allocations» explique Andrea Joss. Or, pendant toutes ces années, elle n’a jamais reçu de salaire car le couple a investi tous ses revenus dans la ferme. Des sommes d’argent conséquences dont elle n’a presque rien vu après le divorce.
Les peines de la femme d’agriculteur ne s’arrêtent pas là: «Vous n’obtenez pas la moitié de ce que vous avez gagné ensemble en cas de divorce comme c’est généralement le cas, mais beaucoup moins» poursuit Andrea Joss. La cause de cette inégalité se trouve dans le droit foncier rural qui favorise la personne qui possède l’exploitation, le but étant de ne pas mettre en danger sa pérennité en cas de divorce.
Après sa séparation, Andrea Joss a suivi une formation d’employé fiduciaire et des cours complémentaires pour devenir médiatrice. Elle accompagne désormais les agricultrices et les agriculteurs qui se trouvent dans une situation similaire à la sienne.
La plupart des agricultrices ont peu de sécurité sociale
La situation d’Andrea Joss n’est pas un cas isolé. Les agricultrices représentent plus d’un tiers du corps de métier. Parmi elles, 70% travaillent sans rémunération dans la ferme qui appartient à leur mari. Elles ne disposent ni d’une caisse de pension ni d’une AVS propres. Lorsque tout se passe bien, il n’y a pas de problèmes. Mais dès qu’une agricultrice tombe malade ou a un accident, cette absence de sécurité sociale est un vrai manque qui peut lui causer des dommages considérables. La situation se complique également en cas de divorce, et Andrea Joss et sa famille en ont fait les frais.
«Je n’avais pas compris que j’avais droit à si peu en cas de divorce», admet-elle après-coup. Andrea Joss est revenue dans la ferme qu’elle avait dû quitter en 2011 pendant sa séparation. Son ex-mari est mort il y a deux ans. Après son décès, Andrea Joss et ses enfants sont retournés à Magden. Elle est désormais locataire de la ferme en attendant que son fils puisse la reprendre dans quelques années.
Andrea Joss raconte qu’elle a conseillé de nombreuses agricultrices qui avaient été confrontées à une séparation. «Après tout ce que j’ai vécu, je ne peux pas leur dire de ne pas avoir peur.» Selon une étude de la Haute école spécialisée bernoise, les divorces conflictuels sont deux fois plus fréquents chez les agriculteurs que dans le reste de la population. Le sujet de litige le plus fréquent est le partage des biens.
Le Conseil des États doit se prononcer sur les propositions syndicales
Les syndicats d’agriculteurs ont prévu de lancer une campagne de sensibilisation à ces questions en octobre. Mais cette initiative pourrait être insuffisante si elle n’est pas suivie par des changements sur le plan politique. Le gouvernement national et le parlement veulent donc adopter une législation qui vise à améliorer la sécurité sociale des épouses d’agriculteurs.
D’une part, les paiements directs devraient être réduits s’il n’existe pas de couverture d’assurance adéquate pour le conjoint. Cette proposition faisait déjà partie de l’ensemble des politiques agricoles pour les années à venir. Mais puisque le Parlement a mis cette question en veilleuse, les femmes parlementaires du PLR l’ont appuyée de leur côté. D’autre part, une motion demande une meilleure compensation financière pour les agriculteurs après un divorce. Jeudi, le Conseil des États se prononcera sur les différentes propositions.
L’Union suisse des Paysannes et des Femmes rurales (USPF) espère que cette législation sera approuvée. «Cela fait longtemps que nous disons qu’il faut agir», souligne la présidente de l’USPF Anne Challandes. Aujourd’hui, les femmes d’agriculteurs sont souvent confrontées à un dilemme en cas de divorce: «Est-ce que je demande l’argent auquel j’ai droit ou est-ce que j’y renonce pour ne pas mettre l’exploitation en danger?»
L’association des agriculteurs soutient également les propositions
Les propositions étudiées actuellement constituent «une partie de la solution», estime la présidente de l’USPF. Markus Ritter, président de l’association des agriculteurs, soutient désormais ces propositions, alors que son association y était initialement opposée.
Toutefois, la manière dont le problème sera abordé n’est pas encore claire. Markus Ritter et Anne Challandes sont tous deux sceptiques face à certaines des mesures proposées. Ils craignent qu’une réglementation trop rigide ne mette en péril la pérennité des exploitations. Le président de l’association des agriculteurs précise qu’ils sont ouverts à la discussion sur le sujet.
Sauvée par la maison familiale
Andrea Joss est également sceptique. «Dans les petites exploitations, en particulier, les agriculteurs ne versent pas de salaire à leurs femmes parce qu’ils ne peuvent tout simplement pas le faire.» Punir ces exploitations en réduisant les paiements directs n’est pas la bonne solution, estime-t-elle. Elle pense qu’il est plus important d’éduquer les agriculteurs et les agricultrices sur la question de la sécurité sociale pendant leur formation.
Avec le recul, l’agricultrice et médiatrice pense qu’elle a elle-même fait l’erreur de ne pas s’être occupée de ces sujets pendant son mariage. «J’ai la chance que mes parents aient une maison. C’est mon fonds de pension. Sinon, j’aurais vraiment peur et je ne saurais pas comment joindre les deux bouts plus tard.»