Léonore Porchet contre Martin Candinas
«Je ne vois pas les Vert-e-s porter des sandales...»

Que faire après le refus de la loi CO₂? La Verte vaudoise et le Grison du Centre discutent de la politique climatique de notre pays, entre idéologie et difficultés de former des majorités.
Publié: 25.06.2021 à 09:08 heures
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Dernière mise à jour: 28.06.2021 à 08:47 heures
Sermîn Faki et Adrien Schnarrenberger

Les Suissesses et les Suisses n'ont pas voulu de la loi CO₂, et il faut désormais en payer le prix. En l'absence de mesures concrètes, il est illusoire d'espérer atteindre les objectifs climatiques de l'accord de Paris. Les parlementaires sauront-ils innover, inventer d'autres solutions moins douloureuses pour le porte-monnaie?

Et surtout, cher Martin Candinas: la population des campagnes, grande artisane du refus de la loi, ne s'est-elle pas tirée une balle dans le pied? Après tout, les sécheresses et éboulements ont rarement lieu en ville...


En tant que représentant d'un canton alpin, je sais d'expérience que la population des campagnes ne se tire jamais de balles dans le pied. Mais c'est vrai, tant dans les campagnes que dans les montagnes, les gens ont peut-être un peu plus de mal à dire oui 😉

Les deux initiatives «agricoles» ont fâché et mobilisé beaucoup de monde, en particulier dans les campagnes. Et il y a aussi la hausse exponentielle de la population des loups. La réponse à cette problématique, sur le plan fédéral, a été une adaptation cosmétique de la législation, sans grand effet. Ce n'est pas comme cela que l'on gagne la confiance des campagnards... Pour eux, il s'agit d'une vraie problématique qui appelle à de vraies solutions.

Il faut dire aussi qu'en cette période compliquée, la population se montre plus sceptique envers davantage de taxes et des restrictions. Et je le dis alors que je me suis engagé en faveur de la Loi CO₂. Je constate que cette perplexité a été aussi présente dans les villes. On peut comparer nos cantons, Léonore: les Grisons ont rejeté la loi par 53% et les Vaudoises et Vaudois ont dit oui du bout des lèvres, aussi à 53%. La différence n'est pas énorme, non? Qu'en penses-tu?

Les raisons de l'échec de la loi sont variées et je pense que tu as raison: il y a eu, particulièrement dans des régions rurales comme les nôtres, une mobilisation anti-écolo qui a jeté le bébé avec l'eau (polluée) du bain (ça se dit en allemand/romanche 👶🏻?).

La loi très libérale qui a été choisie par le Parlement n'a pas convaincu le peuple et les investissements dans le tournant énergétique qui étaient financés par les pollueurs devront trouver ailleurs cet argent. Nous devons donc maintenant aller vers d'autres solutions, peut-être moins libérales.

L'État va devoir investir l'argent des impôts dans les trains de nuits et la rénovation énergétique (entre autres). Les Vert·e·s ont déjà redéposé les parties de la loi qui n'étaient pas combattues, afin d'avancer au plus vite. Mais il faut aussi imaginer des interdictions (n'ayons pas peur des mots): il y a bel et bien des technologies qui sont trop dangereuses pour le climat et les humains, il faut les interdire.

Par exemple les SUV, avec des exceptions pour les professionnels qui en ont VRAIMENT besoin, ne sont que des machines à polluer et dangereuses pour les autres usagers de la route, zou! Tu partages cet avis?

PS: Ah et bien joué le «point Godwin» du loup fossoyeur de la loi CO2 😉🐺💚

En effet, je n'ai aucune compréhension pour l'augmentation massive des ventes de SUVs, et je n'achèterais jamais un de ces «monstres». Ma Seat Alhambra me suffit largement. Avec trois enfants et autant de sièges adaptés, je ne peux pas me permettre de viser plus petit. Je compte sur ta compréhension 😊

Plus largement, je pense qu'il faut miser à fond sur des incitations. Je partage ton avis qu'il faut récompenser encore davantage les «rénovations énergétiques» et développer les transports publics. Leur usage doit augmenter et non se réduire. Nous devons allouer plus de moyens aux transports internationaux (trains de nuit, par exemple), mais aussi inciter à faire évoluer les bus diesel vers des versions plus écologiques et moins tournés vers l'énergie fossile. Je pense que nous sommes d'accord sur tous ces points.

Néanmoins, il faut être conscients d'une chose. En réduisant notre dépendance à l'énergie fossile, nous aurons besoin de toujours plus d'énergie. Qu'est-ce que cela implique pour nous? Nous devons produire beaucoup plus d'énergie renouvelable. Nous avons le solaire, l'éolien, le bois et l'hydraulique.

Le problème c'est que pour l'extension de l'hydraulique, nous avons le dos au mur. À CHAQUE projet, il y a des plaintes des organisations de protection de la nature ou de l'environnement. Tu ne peux pas savoir à quel point cela m'énerve!

Léonore Porchet / Martin Candinas
Photo: Blick - creative lab

Toute personne ayant trois enfants mérite de l'indulgence cher Martin. Je n'ai pas de voiture, mais je sais aussi, venant du Nord Vaudois, que vivre en campagne ne permet pas toujours ce que je considère comme un confort et une sécurité. Je soutiens à fond le développement des transports publics, mais nous devons garder en tête que nous vivons dans un monde fini. Le développement sans fin, même vert ou «durable», n'existe pas: nous devons réduire, réduire, réduire notre consommation des ressources.

Nous nous retrouvons sur la rénovation énergétique, mais nous devons aussi forcer les fabricants à opter pour des objets qui consomment peu, lutter contre l'obsolescence programmée, etc. En parallèle aux transports publics, nous devons donc revitaliser les espaces ruraux, pour qu'on puisse y faire nos achats, y travailler, y vivre et avoir besoin de se déplacer moins.

«Plus, plus, plus» ne sauvera pas l'habitat des humains, même en ayant recours à l'électrique. Et il ne fait pas oublier que le climat n'est qu'une seule des neuf limites planétaires. L'effondrement de la biodiversité est même plus menaçant. Régler un problème en en créant/renforçant un autre, plus dangereux encore, avec des barrages partout n'est vraiment pas la bonne solution. Le solaire a une grande marge de progression possible, c'est vrai, mais nous devons surtout miser sur la réduction de notre consommation. La sobriété heureuse, ce n'est pas un vain mot 😌

Réduire la dépendance aux ressources, c'est plus facile à dire qu'à faire... Il n'y a pas 36 solutions, il faut compter sur la responsabilité individuelle. Et je ne suis pas sûr que la gauche et les Vert·e·s veulent assumer davantage de responsabilités que tous les autres en la matière. Je ne les vois en tout cas pas porter des pulls en laine et des sandales, ni refuser d'avoir un laptop et un smartphone.

Je suis cependant d'accord avec toi: il faut revitaliser les espaces ruraux. À ce titre, c'est mieux d'avoir une résidence secondaire en Suisse qu'en France ou en Italie 😊 Mais là encore, nous sommes énormément entravés par les organisations environnementales.

Les deux initiatives «agricoles», qui Dieu merci ont été refusées, auraient été contreproductives. Nous devons développer notre amour pour la patrie, pour nos propres produits et pour notre énergie «maison»! Et je ne pense là pas qu'à l'hydraulique, mais aussi au solaire. Tu as raison, nous devons passer la deuxième vitesse au plus vite.

En été, je produis moi-même avec ma petite centrale photovoltaïque plus de courant que ma famille n'en consomme. Le problème c'est l'autre moitié de l'année... Nous avons besoin d'un train de mesures et des aides financières incitatives. Dans dix ans, la majorité des toits devront être utilisés pour produire de l'énergie. Ce n'est qu'avec le progrès technologiques que nous pourrons réduire nos émissions.

Léonore Porchet / Martin Candinas
Photo: Blick - creative lab

S'il te plaît Martin, pas le cliché des sandales et des pulls en laine grise 🙄 Tu sais très bien (?) que les produits locaux et écolo ne correspondent pas à cette idée triste et que cette question dépasse la responsabilité individuelle, c'est le système qui doit changer et permettre à tout le monde de faire facilement les bons choix pour l'environnement.

Nous devons agir sur la production, pas toujours taper sur la tête de celles et ceux qui consomment. C'est ça qui n'a pas marché avec la loi CO₂. C'est aussi ce que les Vert·e·s proposaient avec notre initiative Economie verte. Pour l'énergie ☀️, nous sommes d'accord. Mais quel argent investissons-nous pour atteindre cet objectif, alors?

Le Centre est prêt à envisager plus d'investissements dans la promotion de la production d'énergies renouvelables. C'est pour ça que nous avons soutenu, par exemple, l'initiative parlementaire de ton collègue de parti Bastien Girod.

La balle est désormais dans le camp du Conseil fédéral, qui doit sortir sa machine à calculer et définir les prix. Nous continuons, en parallèle, de soutenir les contributions en matière de recherche et développement. Nous sommes actifs également au niveau des bâtiments, par exemple dans les rénovations énergétiques, ainsi qu'au niveau des transports publics.

En matière de politique climatique, je crois pouvoir dire que nous sommes un partenaire de confiance. Il n'y a pas besoin d'initiatives populaires mais de majorités au Parlement et au sein de la population. Une initiative «Green Economy» n'a aucune chance et est contre-productive!

Toutes ces mesures ne doivent pas relever que de la politique environnementales, elles doivent également être envisagées sur les plans de la politique économique et de la politique sociale.

Léonore Porchet / Martin Candinas
Photo: Blick - creative lab

Même la loi sur le CO2 ne suffisait pas pour atteindre les objectifs de Paris. Pour rappel, au-delà de 1,5 degré de plus, la moitié de l'humanité va mourir!!!!

Nous devons être beaucoup plus ambitieux que les consensus mous auxquels est seulement prête la majorité de ce Parlement, basée sur une vision ultralibérale des solutions qui ne convainquent pas la population et qui ne s'attaque pas au problème pour le climat que sont les inégalités des richesses (on n'a même pas réussi à taxer correctement les vols en jet privé... 🤦🏻‍♀️).

Notre planète a des capacités finies et nous ne devons plus prendre des décisions qui dépassent ces limites. C'est pour cela que je soutiens l'initiative sur la responsabilité environnementale des Jeunes vert-e-s. Ainsi, des décisions absurdes, comme augmenter la taille des autoroutes, version Los Angeles, ne devraient plus pouvoir être prises.

Mais, ma chère Léonore, si la loi CO₂ n'est pas parvenue à convaincre une majorité de la population, une proposition plus radicale n'aura simplement aucune chance.

A mes yeux, la loi CO₂ n'était d'ailleurs pas particulièrement libérale. Le Centre l'aurait d'ailleurs volontiers vue un peu plus libérale...

Je me suis toutefois engagé pleinement en faveur de cette loi, car je suis aussi d'avis que la Suisse doit en faire davantage en matière de politique climatique. L'idéologie peut certes flatter tes électrices et électeurs, mais n'apporte aucune pierre à un monde plus écologique.

Il n'y a que des solutions capables d'obtenir des majorités qui nous font progresser. C'est le principe même de notre démocratie directe! Des émissions «zéro carbone» d'ici à 2050 restent l'objectif de mon parti. Il est complètement faux de vouloir à tout prix être meilleurs sur le plan climatique en oubliant les aspects économiques et sociétaux.

Notre planète a des capacités limitées, c'est vrai, mais la Suisse ne produit qu'un pour mille des émissions mondiales de CO₂. Comme tous les autres pays, nous avons l'obligation de faire notre partie du travail, mais notre contribution restera très anecdotique en comparaison internationale!

Tu as raison: nous devons trouver des solutions qui soient soutenues par le peuple. Et pour cela, elles doivent toucher les secteurs qui font beaucoup contre le climat et peu pour la population, comme le secteur de la finance, très puissante en Suisse.

En ce sens, notamment, la Suisse a une très grande responsabilité au niveau mondial. Et elle sera particulièrement touchée, notamment pour les régions de montagnes chères à nos cœurs, mon cher collègue. C'est cela qui va les plonger dans le marasme économique et social. J'espère que nos vacances en Suisse cet été nous inspireront pour des solutions efficaces et justes pour tout le monde. Avec un peu de chance, nous nous croiserons en Suisse orientale 😎🍹

C'est très sympa que tu viennes cet été en Suisse orientale. Je m'en réjouis. Pense à la Suisse orientale du sud!

«Blick-Pong», c'est quoi?

Toutes les semaines, deux parlementaires se mettent d'accord sur un thème d'actualité pour en débattre et apporter un peu de hauteur de vue sur les désaccords sous la Coupole.

La co-présidente du PS Mattea Meyer croise le fer avec le vice-président du PLR Philippe Nantermod, tandis que la Verte Léonore Porchet tente de convaincre Martin Candinas (Centre), 2e vice-président du Conseil national.

Toutes les semaines, deux parlementaires se mettent d'accord sur un thème d'actualité pour en débattre et apporter un peu de hauteur de vue sur les désaccords sous la Coupole.

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